Associons nous
Questionnons-nous !

Les règles de juste conduite

Liberte""Quand chacun fait ce qu'il veut, on se dit - c'est le bordel - Eh bien, chacun fait ce qu'il veut...et ce n'est pas le bordel !"

Celui qui parle ainsi, Jean-Fabien Spitz, est professeur de philosophie à paris I; c'est ainsi qu'il nous résume, hilare, la philosophie de Friedrich Hayek, chantre de l'économie de marché et inspirateur des politiques modernes de dérégulation, prix Nobel d'économie en 1974, inspirateur direct des politiques menées en Angleterre par Margaret Thatcher ( qui revient à la mode en ce moment grâce à Merryl Streep).

Le sujet, " Hayek et l'ordre spontané", était celui de la conférence de l'AJEF la semaine dernière, cycle de conférences de grande qualité, tant par les sujets que la qualité des orateurs.

Jean-Fabien Spitz ne faisait pas exception : Il nous a promis dès le début que, bien que n'adhérant pas personnellement à ses thèses, il allait nous présenter la philosophie de Hayek de la manière la plus convaincante possible. Tout ça avec un sourire malicieux, un ton de farceur, qui ne le quittera pas de tout l'exposé. Nous étions conquis d'avance par ce magicien.

On n'a pas complètement compris ce qu'il reprochait au fond à Hayek, tant l'illusion était parfaite; et l'exposé d'une grande clarté ( on n'est pas professeur pour rien).

Pour Hayek, il n'existe pas de loi objective des sciences sociales. La réalité sociale n'est faite que des représentations individuelles de chacun; et ces représentations peuvent converger. C'est ainsi que des gens, en grand nombre, ont une représentation de ce que sont les échanges et le marché, et orientent leurs comportements en fonction de ces représentations.

La seule question à se poser, pour Hayek, c'est : est-ce que les gens qui ont ces représentations des échanges et du marché réussissent ? La réponse, sous forme de constat, est oui. Et tous ceux qui ont d'autres représentations, telle par exemple une vision de la planification centralisée, réussissent moins bien.

Cela suffit à Hayek pour nous dire que, puisque ce système de représentation apporte plus de réussite que les autres systèmes de représentation ( même si on ne comprend pas pourquoi ni comment complètement), autant l'adopter.

Oui, mais dis-moi, Hayek, ça veut dire quoi que "ça marche", ce système ? ( Oui, Jean-Fabien Spitz nous tenait en haleine en interpellant ainsi ).

Cela marche, cela veut dire que le système de représentations définit une "sphère d'actions" que l'individu peut mener sans subir de contrainte ni d'intervention arbitraire d'autrui. Chacun, dans le système de représentation du marché libre, peut acheter et vendre ce qu'il veut, définir et payer le prix qu'il veut. La presse est libre, les opinions sont libres. L'individu peut agir à sa guise.Il n'y a pas de monopole.

Ceux qui pratiquent ces représentations, et bien, ça marche pour eux : ils survivent, ils prospèrent, ils réussissent mieux que les autres. Nous constituons ainsi un "groupe civilisé" qui résout de façon satisfaisante les problèmes de l'harmonisation entre individus qui peuvent ne pas s'aimer, ne pas penser pareil, mais ça marche.Avec ce système de représentation, articulé sur le marché, on constitue " la grande société" ou " l'ordre complexe", expressions de Hayek.

Hayek ne dit pas qu'il explique quoi que ce soit, il ne se veut pas idéologue; non, il veut juste constater là où il y a cette "sphère privée" , "sphère d'action", ça marche. Alors que tous ceux qui croient ou ont essayé autre chose, en intervenant, et bien ceux là conduisent au socialisme ( et pour Hayek il n'y a pas de demie mesure; à partir du moment où l'on veut intervenir dans le système, on ne peut plus s'arrêter et on court vers le socialisme total). Et le socialisme, et bien, ça ne marche pas.

Mais, dis-moi, Hayek, cet ordre spontané qui s'est formé, quelle est l'attitude rationnelle la meilleure pour nous face à lui ? Oui, Jean-Fabien Spitz ne le lâche pas, et pose les questions à notre place; il joue les deux rôles, nous et Hayek; et avec le sourire du malicieux qui en a une bien bonne à nous sortir, il nous rpond du tac au tac...

Eh, bien, face à cet ordre spontané, qui est le résultat d'une évolution, d'une convergence des représentations qui n'a été décidée par personne, qui est comme elle est, Hayek imagine deux attitudes rationnelles possibles...la mauvaise et la bonne.

Jean-Fabien Spitz, pour nous tenir en haleine, commence par la mauvaise attitude : celle du rationnel naïf. Avec un nom pareil, on devine tout de suite qu'il se trompe celui-là.

Le rationnel naïf, c'est celui qui croit qu'il faut se donner un objectif précis, puis se donner les moyens de réaliser cet objectif. C'est le modèle de l'artisan qui fabrique une montre ou une porte de placard, et qui, si ça ne marche pas complètement comme il veut, comme il faut, la démonte complètement et la remonte. Pour le rationnel naïf, si ça ne marche pas, il faut refaire, il faut corriger.

On le voit venir Hayek avec son rationnel naïf : il s'en prend ainsi aux "réformateurs", ceux qui pensent que si quelque chose ne va pas dans la société, eh bien il faut le corriger, le réformer; et celui qui va s'y coller c'est l'Etat. Ouh la la, la grosse erreur !  Ce réformateur est un rationnel naïf car il croit que l'ordre, ce qui marche bien, c'est ce qui a été fait et pensé par quelqu'un ( quelqu'un de bien qui a imaginé la société parfaite). Mais non : regardez les cristaux de neige, nous dit Hayek, ils sont dans un ordre impeccable, mais personne ne les a pensés.

Autre grosse erreur du rationnel naïf, il croit que si il y a des effets indésirables dans la société, il faut les corriger : ainsi il en arriverait à imaginer qu'il faut faire quelque chose pour les pauvres; quelle hérésie ! Tiens, par exemple pour le coût du logement trop cher, il voudrait bloquer les loyers; mais alors le système se déglingue ailleurs et c'est la crise de l'immobilier, plus de logements à louer par les propriétaires. En fait, oui, il y a des effets indésirables dans l'ordre spontané, mais si on essaye de les corriger, on fait plus de mal que de bien. On le sait bien, le mieux est l'ennemi du bien. Pour Hayek, dans un système qui voudra intervenir, eh bien il y aura plus de pauvres que dans un système basé sur la représentation du marché libre.

Pour Hayek, il y a toujours des effets indésirables, et peut-être même qu'il n'y a pas d'ordre sans effet indésirable.Pour Hayek, il existe des systèmes que l'on ne comprend pas complètement et qui, si on voulait les corriger pour en éliminer les effets indésirables, ne marcheraient plus du tout. Par exemple le langage : personne ne met exactement les mêmes choses dans les mêmes mots, chacun s'exprime différemment, et on ne sait pas complètement comment ça marche. Mais celui qui déciderait de ne plus parler à personne tant qu'il n'aurait pas compris complètement comment marche le langage se retrouverait bien seul pendant longtemps.

C'est simple, pour Hayek, l'ordre spontané, avec ses qualités et ses imperfections, sait produire des choses qu'aucun cerveau ne pourrait imaginer, et si on voulait le corriger, on risquerait de le détruire.

Il faut accepter pour Hayek que ces ordres n'ont pas été inventés, ils sont le résultat d'une évolution lente, et évoluent encore. Ils produisent des effets extraordinaires, nous le voyons, mais on ne comprend pas pourquoi.

Pour Hayek la bonne attitude, ce n'est pas celle du rationnel naïf, mais au contraire de celui qu'il appelle le "rationnel critique", qui ne cherche surtout pas à casser le système pour essayer d'en éliminer les effets indésirables, mais qui accepte le système tant qu'il résout des problèmes complexes qu'il ne comprend pas, mais en produisant des effets miraculeux ( correxpondant pour Hayek à la satisfaction des besoins et à la création de richesses).

Ce qu'il faut, pour Hayek, c'est adopter des "valeurs", des "façons d'agir", celles qui réussissent; il appelle ça une "attitude abstraite".

Le "rationnalisme critique", c'est en fait une règle générale de conduite, que chacun se représente, pas toujours de manière complètement explicite, dont les effets concrets sont imprévisibles, mais qui à long terme, permettent à ceux qui pratiquent cette attitude abstraite, en tant que groupe, d'être gagnants.

Pour Hayek, la raison, c'est l'ensemble des règles que nous pratiquons entre nous spontanément ( et non des règles qui auraient été inventées, et imposées).Les groupes qui vivent d'aprés ces valeurs réussissent mieux que les autres, même si il y a toujours des escrocs qui ne les respectent pas parmi eux.

C'est ainsi que l'ordre marchand, le marché libre, correspond à de telles valeurs, et ceux qui le pratiquent réussissent mieux que les autres.

Oui, mais dis-moi Hayek - oui, Jean-Fabien Spitz revient mettre son grain de sel - qu'y a-t-il dans ces valeurs, cette "sphère privée", dont tu nous parles ? Comment on s'y retrouve.

La voix de Hayek le facécieux revient...

Pour Hayek, il y a deux types d'attentes vis à vis des autres.

La première catégorie, ce sont les attentes qui, si elles sont déçues, empêchent l'ordre social : Ainsi, je vend quelque chose, je m'attend à être payé du prix accepté. Si je suis déçu, si ce n'est pas le cas, systématiquement, cet ordre social ne peut pas marcher. Et bien, ce sont ces attentes, que je pourrais ou non lister complètement, qui correspondent à la "sphère privée", à l'ordre ( j'avais l'impression que jean-Fabien Spitz / Hayek me disait " tu comprends ça jeune Padawan ?").

Alors qu'il existe d'autres attentes qui, elles, peuvent être déçues, mais ne remettent pas en cause l'ordre social. Ainsi j'aimerais séduire tous ceux qui me plaisent; je n'y arrive pas toujours; mais j'accepte cette déception. Cela ne remet pas en cause l'ordre social.

Ces règles qui ne peuvent être déçues pour que ça marche, Hayek les appelle les "règles de juste conduite". Personne n'a décidé ces règles, elles sont là, ce sont les règles dont le respect donne naissance à  "l'ordre civilisé", "l'ordre complexe".

Et, on y arrive, on voit ce que Hayek confie à l'Etat ( car, contrairement aux libertariens et amis de Ron Paul, Hayek n'est pas contre l'Etat) : l'Etat, les Lois, sont là pour traduire ces "règles de juste conduite", ces normes qui président à l'ordre complexe.

L'Etat est là pour appuyer les décisions, la Justice pour sanctionner ceux qui contreviennent aux normes.

Mais ces Lois, pour Hayek, elles sont déjà là. La notion de souveraineté d'un Etat est absurde; elles sont là les Lois.

La seule chose que doit faire l'Etat c'est que les normes soient respectées, soient transmises ( l'Education est majeure). C'est l'application de ces règles qui fait réussir.

Alors, oui , chacun fait ce qu'il veut, sans contrainte, ....et ce n'est pas le bordel .

Ainsi le système présenté par Hayek, c'est celui qui marche, qui permet de faire vivre ensemble des gens qui n'ont pas les mêmes besoins, pas les mêmes objectifs,qui peuvent ne pas s'aimer et même se détester, et qui réussissent quand même à vivre ensemble.

On renonce ainsi à avoir une identité d'objectifs qui seraient imposés par la contrainte ( l'Etat); car, il nous l'a dit et répété, ça ne marche pas. Les règles sont ouvertes, les objectifs sont ouverts. Tous ceux qui veulent fermer, fermer les objectifs, mettre des règles imposées, construisent des systèmes qui ne fonctionnent pas.

Dans nos entreprises aujourd'hui, ce système d'ouverture, de valeurs et de "règles de juste conduite" est celui qui les fait réussir. Et toute les évolutions du management et du fonctionnement du travail vont dans ce sens.

On comprend que cela est plus compliqué pour les politiques et tous ceux qui veulent changer la société.Ceux là, ils sont loin de se "Hayekiser". 

Pas facile de faire émerger les "règles de juste conduite" en ce moment.

En tous cas, nous avions tous, je pense, la "juste conduite" d'avoir admiré la prestation de Jean-Fabien Spitz.

Et repartions, qu'on n'adhère ou pas, avec de l'admiration pour la cohérence du système présenté.

Commentaires

L'utilisation des commentaires est désactivée pour cette note.