La culture de la honte contre l'empathie
02 novembre 2011
Le dernier ouvrage de Jeremy Rifkin ( auteur connu pour " la fin du travail"notamment), s'attaque, avec ses 600 pages, à un sujet ambitieux : l'avenir de l'espèce humaine dans un monde en crise. Cela s'appelle " Une nouvelle conscience pour un monde en crise - vers une civilisation de l'empathie".
De quoi s'agit-il ?
Jeremy Rifkin est allé recherché dans les travaux des psychologues et scientifiques, notamment biologistes, ce qu'il identifie comme le moteur principal des mutations de notre civilisation : la conscience altruiste de l'être humain.
Selon lui, nous sommes empathiques par nature, et l'altruisme est l'expression la plus mûre de notre attention empathique aux autres.Nous serions donc des animaux aptes à la coopération comme à la compétition, mais c'est la première sensibilité qui est biologiquement innée et qui fixe les règles du jeu. Nous sommes d'abord et avant tout une espèce sociale.
L'empathie, c'est cette capacité à comprendre les émotions de l'autre, la joie comme la souffrance, au point de la revivre soi-même en même temps que l'autre. C'est une forme particulièrement aboutie de ce que l'on pourrait appeler l'écoute.
Partant de là, Jeremy Rifkin prévoit que c'est en retrouvant ce comportement empathique que nous serons aptes à affronter les défis des décennies à venir. Vaste programme.
Ce comportement " empathique" prend le relais des recherches que nous connaissons sur " l'intelligence émotionnelle", la réhabilitation des émotions dans la résolution des problèmes, jusqu'au terrain du management de l'entreprise et des organisations.
Un phénomène qui nous empêche, dans notre vie quotidienne, d'adopter ce comportement empathique, c'est ce que Jeremy Rifkin appelle " la culture de la honte". Il en détaille longuement les symptômes dans les comportements des parents et des enfants; il nous est facile d'en extrapoler les traits sur des comportements dans le management de nos entreprises.
" La honte dénigre l'être même de quelqu'un, l'amène à se sentir indigne et inhumain. Être couvert de honte, c'est être rejeté. Faire honte, c'est exclure quelqu'un du " nous" collectif. Il n'est plus des nôtres, il n'existe plus. La honte désactive la pulsion empathique innée. Si l'on se ressent comme comme inexistant, mis au ban de la société et sans valeur personnelle, on est incapable de puiser dans ses réserves d'empathie pour éprouver la douleur d'un autre. Ne pouvant plus se lier émotionnellement, l'intéressé se replie sur lui-même ou extériorise son sentiment d'abandon en déchaînant sa rage sur les autres. Pourquoi la rage ? Parce que c'est souvent le seul moyen qui lui reste d'entrer en contact et de communiquer avec ses frères humains. Le " solitaire " coupé de la communauté et fou de rage contre ses semblables existe dans toutes les sociétés".
La culture de la honte dont il parle, c'est celle où une pression à la perfection s'exerce, avec les contrôles qui vont avec. Elle correspond à ces environnements où l'on feint d'adhérer à des normes de perfection et d'excellence, dont le détenteur, celui qui a le pouvoir, se porte garant et modèle, et où l'on produit, en fait, le mépris de soi, l'envie, la jalousie, la haine pour les autres.
Appliqué au contexte familial, cette culture est celle où, en réaction à la mauvaise conduite d'un enfant à l'égard des autres, on lui inflige un châtiment corporel et on lui fait honte.
Ramenée au contexte de nos situations de management, il est trés facile d'identifier ce manager qui, croyant être le garant de l'excellence, est en fait le propagateur de cette honte et de ce mépris qui engendre la rupture des comportements empathiques, et bloque toute écoute et respect de soi et des autres.
En grandissant dans une culture de la honte, l'enfant, comme le jeune collaborateur, finit par se croire tenu de se conformer à un idéal de perfection et de pureté, sous peine de subir les foudres de la communauté; il sera alors probablement enclin à juger tous les autres à l'aune de ces mêmes critères inflexibles. "Manquant d'empathie, il ne pourra pas éprouver la soufrance des autres comme si c'était la sienne : il estimera probablement que leurs malheurs sont de leur faute, puisqu'ils n'ont pas su vivre à la hauteur de la perfection que la société attendait d'eux".
Intéressante réflexion, qui nous aide à porter un autre regard sur nos systèmes de contrôle et d'évaluations. Cette vertu de la perfection, quand elle prend la forme de cette "culture de la honte", conduit nos systèmes de management dans le mur.
Au moment où approche la fin de l'année, et où se préparent les séances d'évaluations des managers et collaborateurs, à nous d'éviter ces pièges, et de retrouver cette empathie à laquelle nous appelle Jeremy Rifkin.
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