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Le trio infernal

Confiance" Vous connaissez le trio infernal qui conduit les entreprises dans le mur, et en font perdre le contrôle ?"..." Ce sont les process, les indicateurs de performance ( les fameux KPI's), et les reportings".

Qui parle ainsi ?

François Dupuy, sociologue et auteur de " Lost in management - La vie quotidienne des entreprises du XXIème siècle", avec qui j'ai déjeuné cette semaine.

Avrc un sens de l'humour un rien british, et des expressions paradoxales, voilà le genre de personne avec qui on passe un bon moment. Son livre est à l'image du personnage et je vous en conseille la consommation.

François Dupuy se présente comme un sociologue, spécialiste de la sociologie des organisations, dans la ligne de Michel Crozier, dont il a été l'élève et l'admirateur. Crozier et son fameux ouvrage " Le phénomène bureaucratique", paru....en 1954.

En sociologue des organisations, François Dupuy considère que les entreprises ont perdu le contrôle d'elles-mêmes, surtout celles qu'on appelle les grandes entreprises, les multinationales. Elles ont souvent détruit la confiance qui a assuré le succés initial de la plupart d'entre elles ( basée sur un entrepreneur créateur ou une grande figure du management),

" Dès lors qu'elles souhaitent substituer à l'initiative, à la bonne volonté ou au sérieux de leurs salariés des processus et des contrôles renforcés, elles font passer un message clair de défiance et tout le monde le comprend ainsi".

Pris dans ces systèmes de contrôles inéfficaces, les salariés, surtout ceux en contact avec le client ou le produit, ont appris à se créer des zones de confort et de liberté qui leur permettent de faire ce qu'ils veulent. Et la structure ou l'organisation de l'entreprise n'y peut rien, car ce qui compte, ce n'est pas pas la structure, mais la façon dont les gens travaillent, les modes de fonctionnement. Et plus il y a de ces contrôles et de ces KPI's, plus les cadres en profitent pour se créer des zones de liberté.

C'est ce que François Dupuy appelle des " bérézinas du management", dans lesquelles les entreprises se dirigent, poussées par le couple infernal des " bureaucrates qui en salivent à l'avance et des responsables qui veulent se couvrir, tant ils contrôlent de moins en moins ce qui se passe chez eux".

Prenez ces structures dites " matricielles", bonheur des consultants et de l'organisation des entreprises des années 90; et ces larmes de crocodiles de ceux qui disent " je n'y arrive pas, j'ai deux chefs" : François Dupuy leur répond souvent que ce qu'il leur faudrait, c'est trois chefs; car ce sont les mêmes qui ont précisément appris à vivre dans une formidable zone de liberté avec ses deux chefs, sur lesquels on peut renvoyer tous les problèmes, et dont on se protège.

Autre élément protecteur du travail, les fameuses formes tayloriennes du travail : ceux qui ont critiqué les formes tayloriennes du travail ne sont pas les travailleurs concernés, mais plutôt les des personnes extérieures, et intellectuelles. Car, pour les acteurs directement concernés, la forme taylorienne du travail est, là encore, trés protectrice du travail.

Ce manque de confiance, cette défiance, d'où viennent-ils ? Pour François Dupuy, le sujet, c'est " l'incertitude" :

" Nous ne nous fions pas aux autres , quand nous ne savons pas ce qu'ils feront si tel ou tel évènement se produit ou si nous leur communiquons une information importante. ils sont donc "incertains", pour nous et leurs comportements sont imprévisibles. Et cette imprévisibilité n'est pas le fait d'acteurs erratiques qui réagiraient au hasard et au gré des évènements. Elle est de nature "stratégique" car elle nous prive de la possibilité de savoir ce qui est important pour les autres, donc d'apprécier le pouvoir que l'on pourrait avoir sur eux".

En clair, plus l'acteur est incertain, plus il a de pouvoir, et moins on peut lui faire confiance.

Pour s'en sortir, il ne s'agit surtout pas de renforcer les procédures de contrôle, source de défiance, mais de rétablir la confiance, en réduisant l'incertitude des comportements. La solution, pour françois Dupuy, ce n'est pas le contrôle, mais l'éthique : être éthique c'est précisément accepter de réduire l'incertitude de son comportement, en acceptant et en respectant des " règles du jeu" acceptées par tous.Celles qui fixent ce qui est acceptable, et ce qui ne l'est pas, dans les relations et les comportements. Quand ils sont incarnés, ces comportements, ce sont les collaborateurs entre eux, selon une forme de "contrôle social", qui se chargent de les faire respecter dans les communautés qui interagissent pour faire fonctionner l'entreprise.

Car ce sont précisément cette éthique et ces règles du jeu qui vont garantir à celui qui se "découvre", qui accepte de rendre aux autres ses comportements plus prévisibles, qu'il existe des limites à l'usage que les autres peuvent faire de cette ouverture.

Devant ce diagnostic de sociologue, plutôt sévère, j'ai quand même demandé à François Dupuy si il était quand même optimiste pour les entreprises : il l'est, car il trouve que les entreprises ont en elles une formidable capacité d'adaptation, et que, quand il faudra détricoter les process et systèmes de contrôle qui ont amené l'entreprise dans le mur, ceux qui en seront le plus capables seront précisément ceux qui les ont mis en place, c'est à dire les managers et surtout les consultants. Il est convaincu qu'un nouveau marché s'ouvre, qui promet d'être passionnant, pour les consultants du XXIème siècle qui auront compris le virage.

Alors, soyons prêts à entrer dans le monde de l'éthique et de la confiance pour inventer et rendre réelles les entreprises du XXIème siècle qui auront envie, ou devront, se libérer du trio infernal.

Cela donnait de l'espoir.

Merci, François!


Arrêtez de squatter mes dîners entre copains !

DinerImaginez-vous à un dîner avec des amis; on échange des blagues et des opinions; on s'amuse; et tout d'un coup, un étranger ouvre la porte, prend place à table avec vous, ouvre une malette, et s'adresse à chacun " Hey; est-ce que je peux vous vendre quelque chose ?"...

On imagine comment on va le recevoir...

C'est pourtant ce qui se passe quand les entreprises aujourd'hui essayent de se lancer dans des " stratégies digitales" sur le web et les réseaux sociaux; elles ont leur page Facebook, elles sont sur Twitter et accumulent les followers et les amis...elles payent des Marjolaine et des Kevin, jeunes filles et jeunes garçons avec de petits cerveaux, qui se prennent pour des " community managers", qui nous bassinent avec leurs betises...et finalement ne nous font rien acheter.  Toutes ces stratégies " digitales" servent-elles à quelque chose ?

En fait, pour que ça marche, il faut complètement inverser la démarche; c'est ce que nous raconte Mikolaj Jan Piskorski, professeur à Harvard,  dans un article de HBR de Novembre ( il va aussi sortir bientôt un livre sur le sujet). Les stratégies ne doivent pas être " digitales", mais " sociales", c'est à dire apporter une réelle valeur aux membres des communautés, tout en procurant un avantage concret à l'entreprise ( qui est, soit une réduction de ses coûts, soit un accroissement de la volonté de payer du consommateur). Ce que doit faire l'entreprise, c'est, non pas s'installer avec ses trucs à vendre dans les communautés, mais être l'instigateur, l'influenceur, de surcroît de valeur pour les membres de ces communautés.

Dans ces communautés des réseaux sociaux, de Facebook à LinkedIn, ce que recherchent les membres, c'est soit rencontrer des nouvelles personnes, soit appronfondir la relation et les échanges avec des amis, ou connaissances.

D'où les quatre stratégies que Mikolaj Jan Piskorski identifie ( que l'on peut représenter dans une belle matrice carrée), avec un axe pour " l'impact social" et un axe pour le " bénéfice stratégique" :

- Réduire les coûts en permettant aux personnes de se rencontrer,

- Réduire les coûts en aidant les personnes à appronfondir leurs relations,

- Accroître la volonté de payer ( et donc les revenus) en permettant aux personnes de se rencontrer,

- Accroître la volonté de payer ( et donc augmenter les revenus) en aidant les personnes à approfondir leurs relations.

Exemple de la première stratégie ( réduire les coûts en permettant aux personnes de se rencontrer) : Yelp, un site où l'on peut donner des avis sur des lieux, comme des restaurants; c'est ce contenu qui donne de la valeur au site, et attire ainsi les visiteurs, et les annonceurs pour la publicité, qui finance le site. Les contributeurs sont appelés les " Yelpers", et les plus passionnées d'entre eux, ceux qui donnent le plus d'avis, sont invités à rejoindre une sorte de club d'élite, avec des invitations à des évènements particuliers; tout ça à condition qu'ils continuent à produire des avis en grand nombre, car l'adhésion au club est renouvelée chaque année; donc il ne faut pas s'arrêter. Résultat : Yelp estime obtenir ainsi, gratuitement, environ 25% d'avis en plus; tout en permettant aux personnes " élites" de rencontrer de nouvelles personnes.

Exemple de la deuxième stratégie ( réduire les coûts en permettant aux personnes de renforcer leurs relations) : Zynga, cette entreprise de de trois ans d'existence est celle qui commercialise des jeux sur Facebook comme CityVille ou FarmVille; ça a déjà attiré plus de 250 millions de joueurs ! Pour jouer dans les versions les plus avancées, il faut acheter des ressources en ligne à Zynga; ces achats constituent la source principale de revenus de l'entreprise. Il est possible de publier son statut de joueur sur son profil Facebook, et d'inviter des amis à participer. Ceci permet aussi de reprendre contact avec des anciens amis, à qui on n'a pas donné de nouvelles depuis longtemps, grâce à ces échanges provoqués par le jeu. Selon Piskorski, ces mécanismes sociaux ont réduit le coût d'acquisition des clients et augmenté le taux de rétention d'au moins 50% ! Ainsi cette stratégie a augmenté l'acqusition et la rétention des clients ( et donc réduit les coûts) en permettant aux personnes de se reconnecter avec des amis.

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Prendre le métro pour écouter

MetroCette semaine j'ai rencontré un dirigeant d'une entreprise de plus de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires qui prend le métro pour venir à son bureau tous les jours.

N'en déduisez pas qu'il suffit de prendre de le métro pour amener votre entreprise à 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires....

Mais, nous avons parlé d'écoute, de proximité clients, de performance et de développement.

Tout - ou presque - est dans ma chronique du mois sur " Envie d'entreprendre".

Allez-y voir directement ( pas besoin de prendre le métro).


Audit : héritage de la culture orale

EcouteAvec l'écriture, l'imprimerie, notre civilisation est passée d'une culture orale à une culture écrite. Mais cette transition s'est faite doucement; et pendant longtemps on a privilégié ce qui était dit à ce qui était ecrit.

c'est ainsi que, au Moyen Âge, même les livres de comptes étaient lus à haute voix, pour garantir à tous qu'on pouvait faire confiance à ce qui s'y trouvait écrit.

La communication orale était le mode le plus prestigieux de communication.

J'apprend ainsi que le mot "audit" est une survivance de ce passage à une culture alphabétisée, et un rappel de l'importance de " dire les choses", oralement, pour leur donner de la valeur.

Cette capacité à dire, à officialiser la réalité par la parole, et ne pas se contenter de l'écrit, c'est à dire des procédures écrites et théoriquement applicables, voilà une jolie façon de se représenter le rôle des auditeurs dans l'entreprise, et aussi le rôle des auditeurs externes.

Cela donne une sorte de noblesse à la fonction. Mes amis auditeurs apprécieront j'espère, d'être ainsi les   témoins de nos anciennes traditions du Moyen Âge.

( information lue dans " une nouvelle conscience dans un monde en crise" Jeremy Rifkin )


La culture de la honte contre l'empathie

HonteLe dernier ouvrage de Jeremy Rifkin ( auteur connu pour " la fin du travail"notamment), s'attaque, avec ses 600 pages, à un sujet ambitieux : l'avenir de l'espèce humaine dans un monde en crise. Cela s'appelle " Une nouvelle conscience pour un monde en crise - vers une civilisation de l'empathie".

De quoi s'agit-il ?

Jeremy Rifkin est allé recherché dans les travaux des psychologues et scientifiques, notamment biologistes, ce qu'il identifie comme le moteur principal des mutations de notre civilisation : la conscience altruiste de l'être humain.

Selon lui, nous sommes empathiques par nature, et l'altruisme est l'expression la plus mûre de notre attention empathique aux autres.Nous serions donc des animaux aptes à la coopération comme à la compétition, mais c'est la première sensibilité qui est biologiquement innée et qui fixe les règles du jeu. Nous sommes d'abord et avant tout une espèce sociale.

L'empathie, c'est cette capacité à comprendre les émotions de l'autre, la joie comme la souffrance, au point de la revivre soi-même en même temps que l'autre. C'est une forme particulièrement aboutie de ce que l'on pourrait appeler l'écoute.

Partant de là, Jeremy Rifkin prévoit que c'est en retrouvant ce comportement empathique que nous serons aptes à affronter les défis des décennies à venir. Vaste programme.

Ce comportement " empathique" prend le relais des recherches que nous connaissons sur " l'intelligence émotionnelle", la réhabilitation des émotions dans la résolution des problèmes, jusqu'au terrain du management de l'entreprise et des organisations.

Un phénomène qui nous empêche, dans notre vie quotidienne, d'adopter ce comportement empathique, c'est ce que Jeremy Rifkin appelle " la culture de la honte". Il en détaille longuement les symptômes dans les comportements des parents et des enfants; il nous est facile d'en extrapoler les traits sur des comportements dans le management de nos entreprises.

" La honte dénigre l'être même de quelqu'un, l'amène à se sentir indigne et inhumain. Être couvert de honte, c'est être rejeté. Faire honte, c'est exclure quelqu'un du " nous" collectif. Il n'est plus des nôtres, il n'existe plus. La honte désactive la pulsion empathique innée. Si l'on se ressent comme comme inexistant, mis au ban de la société et sans valeur personnelle, on est incapable de puiser dans ses réserves d'empathie pour éprouver la douleur d'un autre. Ne pouvant plus se lier  émotionnellement, l'intéressé se replie sur lui-même ou extériorise son sentiment d'abandon en déchaînant sa rage sur les autres. Pourquoi la rage ? Parce que c'est souvent le seul moyen qui lui reste d'entrer en contact et de communiquer avec ses frères humains. Le " solitaire " coupé de la communauté et fou de rage contre ses semblables existe dans toutes les sociétés".

La culture de la honte dont il parle, c'est celle où une pression à la perfection s'exerce, avec les contrôles qui vont avec. Elle correspond à ces environnements où l'on feint d'adhérer à des normes de perfection et d'excellence, dont le détenteur, celui qui a le pouvoir, se porte garant et modèle, et où l'on produit, en fait,  le mépris de soi, l'envie, la jalousie, la haine pour les autres.

Appliqué au contexte familial, cette culture est celle où, en réaction à la mauvaise conduite d'un enfant à l'égard des autres, on lui inflige un châtiment corporel et on lui fait honte.

Ramenée au contexte de nos situations de management, il est trés facile d'identifier ce manager qui, croyant être le garant de l'excellence, est en fait le propagateur de cette honte et de ce mépris qui engendre la rupture des comportements empathiques, et bloque toute écoute et respect de soi et des autres.

En grandissant dans une culture de la honte, l'enfant, comme le jeune collaborateur, finit par se croire tenu de se conformer à un idéal de perfection et de pureté, sous peine de subir les foudres de la communauté; il sera alors probablement enclin à juger tous les autres à l'aune de ces mêmes critères inflexibles. "Manquant d'empathie, il ne pourra pas éprouver la soufrance des autres comme si c'était la sienne : il estimera probablement que leurs malheurs sont de leur faute, puisqu'ils n'ont pas su vivre à la hauteur de la perfection que la société attendait d'eux".

Intéressante réflexion, qui nous aide à porter un autre regard sur nos systèmes de contrôle et d'évaluations. Cette vertu de la perfection, quand elle prend la forme de cette "culture de la honte", conduit nos systèmes de management dans le mur.

Au moment où approche la fin de l'année, et où se préparent les séances d'évaluations des managers et collaborateurs, à nous d'éviter ces pièges, et de retrouver cette empathie à laquelle nous appelle Jeremy Rifkin.