Arrêtez de squatter mes dîners entre copains !
19 novembre 2011
Imaginez-vous à un dîner avec des amis; on échange des blagues et des opinions; on s'amuse; et tout d'un coup, un étranger ouvre la porte, prend place à table avec vous, ouvre une malette, et s'adresse à chacun " Hey; est-ce que je peux vous vendre quelque chose ?"...
On imagine comment on va le recevoir...
C'est pourtant ce qui se passe quand les entreprises aujourd'hui essayent de se lancer dans des " stratégies digitales" sur le web et les réseaux sociaux; elles ont leur page Facebook, elles sont sur Twitter et accumulent les followers et les amis...elles payent des Marjolaine et des Kevin, jeunes filles et jeunes garçons avec de petits cerveaux, qui se prennent pour des " community managers", qui nous bassinent avec leurs betises...et finalement ne nous font rien acheter. Toutes ces stratégies " digitales" servent-elles à quelque chose ?
En fait, pour que ça marche, il faut complètement inverser la démarche; c'est ce que nous raconte Mikolaj Jan Piskorski, professeur à Harvard, dans un article de HBR de Novembre ( il va aussi sortir bientôt un livre sur le sujet). Les stratégies ne doivent pas être " digitales", mais " sociales", c'est à dire apporter une réelle valeur aux membres des communautés, tout en procurant un avantage concret à l'entreprise ( qui est, soit une réduction de ses coûts, soit un accroissement de la volonté de payer du consommateur). Ce que doit faire l'entreprise, c'est, non pas s'installer avec ses trucs à vendre dans les communautés, mais être l'instigateur, l'influenceur, de surcroît de valeur pour les membres de ces communautés.
Dans ces communautés des réseaux sociaux, de Facebook à LinkedIn, ce que recherchent les membres, c'est soit rencontrer des nouvelles personnes, soit appronfondir la relation et les échanges avec des amis, ou connaissances.
D'où les quatre stratégies que Mikolaj Jan Piskorski identifie ( que l'on peut représenter dans une belle matrice carrée), avec un axe pour " l'impact social" et un axe pour le " bénéfice stratégique" :
- Réduire les coûts en permettant aux personnes de se rencontrer,
- Réduire les coûts en aidant les personnes à appronfondir leurs relations,
- Accroître la volonté de payer ( et donc les revenus) en permettant aux personnes de se rencontrer,
- Accroître la volonté de payer ( et donc augmenter les revenus) en aidant les personnes à approfondir leurs relations.
Exemple de la première stratégie ( réduire les coûts en permettant aux personnes de se rencontrer) : Yelp, un site où l'on peut donner des avis sur des lieux, comme des restaurants; c'est ce contenu qui donne de la valeur au site, et attire ainsi les visiteurs, et les annonceurs pour la publicité, qui finance le site. Les contributeurs sont appelés les " Yelpers", et les plus passionnées d'entre eux, ceux qui donnent le plus d'avis, sont invités à rejoindre une sorte de club d'élite, avec des invitations à des évènements particuliers; tout ça à condition qu'ils continuent à produire des avis en grand nombre, car l'adhésion au club est renouvelée chaque année; donc il ne faut pas s'arrêter. Résultat : Yelp estime obtenir ainsi, gratuitement, environ 25% d'avis en plus; tout en permettant aux personnes " élites" de rencontrer de nouvelles personnes.
Exemple de la deuxième stratégie ( réduire les coûts en permettant aux personnes de renforcer leurs relations) : Zynga, cette entreprise de de trois ans d'existence est celle qui commercialise des jeux sur Facebook comme CityVille ou FarmVille; ça a déjà attiré plus de 250 millions de joueurs ! Pour jouer dans les versions les plus avancées, il faut acheter des ressources en ligne à Zynga; ces achats constituent la source principale de revenus de l'entreprise. Il est possible de publier son statut de joueur sur son profil Facebook, et d'inviter des amis à participer. Ceci permet aussi de reprendre contact avec des anciens amis, à qui on n'a pas donné de nouvelles depuis longtemps, grâce à ces échanges provoqués par le jeu. Selon Piskorski, ces mécanismes sociaux ont réduit le coût d'acquisition des clients et augmenté le taux de rétention d'au moins 50% ! Ainsi cette stratégie a augmenté l'acqusition et la rétention des clients ( et donc réduit les coûts) en permettant aux personnes de se reconnecter avec des amis.
Exemple de la troisième stratégie ( accroître les revenus en permettant aux personnes de se rencontrer) : American Express a un problème majeur à régler qui est précisément le churn des clients; elle a ainsi investi les réseaux sociaux en créant un club particulier pour les membres Business ( elle cible plutôt les dirigeants de PME), leur permettant de se rencontrer ( à condition de rester membre client de la carte Amex spéciale OPEN); Résultat cet avantage pour les chefs d'entreprise à rencontrer ainsi leurs pairs apporte une garantie de revenus à Amex. Bien sûr, ils pourraient aussi faire ce genre de rencontrers via LinkedIn, mais Amex a trouvé un avantage différenciant en ciblant plus précisément une catégorie de dirigeants, qui se sentent ainsi membres privilégiés.
Exemple de la quatrième stratégie ( accroître les revenus en permettant aux personnes de renforcer leurs relations) : eBay a lancé fin 2010 une application pour faire des cadeaux en ligne à ses amis; cela permet à des personnes de mettre ensemble de l'argent pour faire un cadeau commun à un ami; un leader s'inscrit, et invite les amis, et choisit le destinataire; eBay propose des cadeaux ( il peut aller, si autorisé, chercher des idées dans le profil Facebook, " About me", du destinataire). Ce système a permis à eBay de vendre ces objets beaucoup plus chers que les ventes normales; et d'accroître les revenus, tout en permettant aux personnes de renforcer les relations avec leurs amis ( impact social).
Bon, ça a l'air simple; suffit de choisir une case , l'impact social ciblé ( de nouvelles rencontrers ou bien des relations renforcées) et un objectif stratégique ( réduire les coûts ou augmenter les revenus), et c'est parti !
A condition toutefois que l'entreprise apporte une vraie légitimité pour l'avantage social que ne pourrait pas apporter un concurrent; un truc qu'il ne pourra pas copier. Autre test à vérifier : il faut que le client ait vraiment besoin de cette entreprise pour l'avantage recherché ( si il peut lui même rencontrer de nouvelles personnes, par ses propres moyens, avec le même avantage que celui proposé par l'entreprise, alors il n'aura pas besoin que cette entreprise vienne s'en mêler). Et puis, il faut aussi faire attention que cela réduit vraiment les coûts, ou augmente les revenus, et de combien. Sinon, on se raconte des histoires.
Alors, pour tous ceux que l'on connaît, les entreprises, les Business Units, les dirigeants qui hésitent encore à s'intéresser aux réseaux sociaux, ne voila-t-il pas une bonne façon pédagogique de commencer à poser le problème ?
On essaye ?
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