Sympa : terrorisme de la pire espèce !
24 juillet 2011
Relisant un ouvrage de Renaud Camus de 1990 (vingt ans déjà !), " Esthétique de la solitude", je retombe sur un de ses dadas, les malheurs de la langue française, la perte de la culture française, et du langage. Cela ne s'est pas vraiment amélioré depuis ces années 90.
Un des mots qu'il déteste, et qu'en entend encore aujourd'hui en permanence, c'est " sympa" : ce mot qui " répugne". Ouh la ! Sont " sympas", en 1990, comme aujourd'hui, tout et n'importe quoi : non plus seulement des êtres humains, dont on veut dire qu'ils nous sont sympathiques ( comme on dirait, en mieux, qu'on les trouve séduisants ou gentils), mais aussi un canari, un restaurant, un film, une robe, une exposition, une oeuvre d'art. Et je pourrais rajouter une organisation d'entreprise, un projet, car même dans le monde professionnel de l'entreprise et des consultants, il y a plein de "sympas". Nombreux sont ceux qui veulent croquer cette pomme " sympa".
Analysant l'expression, Renaud Camus y voit un acte de " terrorisme de la pire espèce" :
" Déclarer de quelqu'un qu'il est " sympa", c'est signifier à peu près qu'il est simple, " qu'il ne fait pas d'histoires", qu'il est familier, naturel, authentique".
Cette expression nous dit que celui qui est "sympa" est finalement " comme moi". Et, appliquée à l'art, elle nous dit que nous ne sommes pas seul, que nous pouvons partager cette " authenticité", qui nous ressemble, qui est " sympa" pour tout le monde, car tout le monde va la trouver "sympa".
Or, comment ne pas constater, avec Renaud Camus, que l'art, comme la connaissance, au lieu de nous rassembler, nous isole : Je m'intéresse à une discipline, à un style d'art, à un peintre, à un auteur; au point d'en connaître toutes ses oeuvres, tous les commentaires. Je vais peut-être m'intéresser à la vie de cet auteur; aller visiter les lieux qu'il a fréquentés. Plus je me spécialise, plus je me passionne, plus je passe du temps pour cette connaissance ou cette expérience esthétique, plus je m'isole de mes congénères;
" Dans tout ce que j'aime esthétiquement je m'isole, et d'autant plus que je l'aimerais plus fort".
Cette expérience, c'est celle que nous ressentons lorsque les oeuvres qui nous touchent vraiment nous font entrer dans un état de quasi-communion avec elles ( et en ce sens elles nous rendent aussi moins seuls), mais elles nous disent " comme le Christ, que nous devons tout quitter pour les suivre et pour les aimer".
C'est pour quoi, pour renaud Camus, l'art ne peut être " sympathique".
" Le sympathique comme valeur presque suprême d'une civilisation, qu'il s'agisse des êtres ou des oeuvres, le sympathique est un terrorisme de la pire espèce, sans visage mais à des millions de têtes. N'est sympa que ce qui est semblable, et peut donc être commun : ni trop en arrière, ni trop en avant, ni trop élevé, ni trop intellectuel, ni trop radical."
Impossible, avec ce "sympa", d'être original, autonome, dans son oeuvre ou son travail.
Cette dénonciation du "sympa", elle reste d'actualité incroyable vingt ans aprés, non ?
elle participe de cette lutte contre tout ce qui nivelle les " goûts" et les "styles". Et, alors que l'individualité devient une des valeurs fortes de la société d'aujourd'hui, on devrait voir disparaître les "sympas"; c'est pourtant apparemment l'inverse qui se produit. On se veut " soi-même", et pourtant cette originalité du " sympa" nous transforme en moutons conformistes.
De quoi réfléchir pour l'été : non, non, ne dîtes pas que c'est "sympa", s'il vous plaît....Soyez...." sympas"...Ah, ZUT !
Le bouton "Like" ou "+1" c'est un peu ça non... Sympa ?
Rédigé par : Romain Cherchi | 24 juillet 2011 à 18:04