Pour mieux vivre ensemble : Hegel ?
Grosso modo

Mer agitée

Mer

Suite à cet exposé, pour passer encore un peu de temps avec Hegel, je me suis plongé dans l'ouvrage de Jean-François Kervégan : "L'effectif et le rationnel - Hegel et l'esprit objectif" (Editions Vrin).

Bonne occasion de revenir à la notion d'Etat que Hegel a particulièrement étudié.

Il passe d'ailleurs pour en être le défenseur acharné, en opposition aux penseurs libéraux, qui voudraient s'en passer.

Forcément, en fouillant un peu, on constate, grâce à Jean-François Kervégan, que c'est plus subtil que ça.

Dans un Peuple sans Etat, Hegel voit ce qu'il appelle le vulgus, c'est à dire une collection d'individus et de groupements supposés exister par eux-mêmes, et qui, si elle pouvait exister comme ça serait " une puissance sans forme, sauvage, aveugle, comme celle de la mer agitée".

Une telle masse, selon Hegel, " ne sait pas ce qu'elle veut".

Hegel rejette alors les deux visions de ce Peuple, tant la vision démocratique que la vision libérale.

Vision démocratique : la masse des individus se tient face aux gouvernants,selon le principe de la souveraineté populaire. Or, pour Hegel, une masse inorganisée n'est pas susceptible d'une volonté unifiée. c'est d'ailleurs pourquoi Hegel ne croit pas non plus au sufffrage universel. Pour lui la qualité de " membre de l'Etat" (citoyenneté) est une " détermination abstraite", alors que le statut de membre de la société civile (métier, corporation), lui, ne l'est pas. Donc, exit la conception de la souveraineté populaire.

Vision libérale : le peuple est un conglomérat d'individus dotés chacun d'un projet ou d'une volonté propre. La vision libérale du peuple, c'est celle d'un peuple dont la volonté est celle d'une majorité d'individus. Hegel rejette cette vision, parce qu'elle repose sur le postulat inexact de l'indépendance de la volonté singulière, et parce qu'elle end impensable le lien politique lui-même, qu'il appelle " la réunion en tant que telle".

Alors, l'Etat hegelien, ni souveraineté populaire, ni majorité d'individus, c'est quoi ?

Pour Hegel, selon Jean-François Kervégan, c'est en tant que peuple unifié ( populus) grâce à la médiation représentative, c'est donc en tant qu'Etat, que le peuple est souverain.

La définition de la souveraineté selon Hegel ( que Jean-François Kervégan qualifie d' "énigmatique" ) est : " pensée universelle de l'idéalité".

Cette "idéalité" correspond au fait que les pouvoirs de l'Etat sont dans " l'unité de l'Etat en tant qu'elle est leur soi simple".

L'Etat de Hegel est donc une "idéalité" : il est la vie du tout, l'identité mobile d'une multiplicité ( ainsi parle Jean-François Kervégan), " la réunion en tant que telle" ( ainsi parle Hegel).

Pour Hegel, le populus n'est ni vulgus, ni multitudo, comme le voient les doctrines démocratiques et libérales de la souveraineté du peuple.

L'Etat est souverain parce qu'il est le suel fondement de sa propre puissance.

Cet Etat est donc vu comme une puissance naturelle qui s'impose d'elle même en tant que souveraineté. C'est une vision effectivement trés idéale de l'Etat que porte Hegel. C'est en fait l'identité d'une communauté. Et, pour Hegel, elle doit aussi s'incarner :

" La personnalité de l'Etat n'est effective qu'en tant qu'elle est une personne, le monarque".

Jean-François Kervégan poursuit la pensée : " Même en démocratie, un individu doit se détacher et prendre sur lui l'actualisation de la volonté commune; sinon il faudrait s'en remettre pour le choix du kairos à un destin aveugle ou aux diverses formes de la divination".

En cette pèriode où se prépare le renouvellement d'un poste important de l'Etat en France, cette lecture hegélienne vient porter un regard particulier sur la situation : Face à notre mer agitée, aux individus pris dans une société civile agitée par la mondialisation, le choix de celui qui viendra "actualiser notre volonté commune" (j'aime bien l'expression), sera celui qui, le mieux, représentera "l'identité mobile d'une multiplicité" (joli aussi).

L'Etat que veut Hegel pour nous n'est pas celui qui entrerait en lutte contre la société civile, mais au contraire il est une médiation entre la sphère du social et la sphère du politique.

Et Jean-François Kervégan nous appelle à méditer sur un des paradoxes de notre modernité :

" Alors même que l'espace institutionnellement politique a pour assise la fluidité du monde social, celui-ci suppose, pour ne pas succomber aux contradictions qui le traversent, la médiation de ce qu'il médiatise. Là réside sans doute l'impossibilité de tout dépassement du politique".

De quoi nous faire aimer la politique ?

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