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Vive l'échec ? Pas en-dessous du menton

Gouvernance : la fin du pouvoir ?

Boussole

Diriger une entreprise, une équipe, un projet, ça avait l'air simple : je dirige, ils obéissent.

Et pourtant, aujourd'hui, comment ne pas constater que le pouvoir est à la baisse dans l'opinion.

On parle maintenant des pouvoirs, au pluriel, qui se multiplient : le pouvoir des fonds de pension, le pouvoir des médias, le pouvoir des lobbyes, le pouvoir des vieux, des énarques, etc... Il y en a partout. Alors, vouloir être le chef, qui a LE pouvoir, dans un tel bordel, c'est pas facile.

Le pouvoir, ça n'est plus possible : les blogs, les masses, les écologistes, ils sont là pour empêcher et contraindre les chefs. Pas facile de se faire obéir si on les contredit.

C'est encore plus inimaginable dans une grande entreprise ou organisation. Dans son dernier ouvrage, "Réussir...et aprés", Richard Branson, le charismatique patron du groupe Virgin, qu'il a créé, fait une prédiction :

" Les patrons qui se vantent d'afficher un chiffre d'affaires de 100 milliards de livres avec 100 000 salariés appartiennent à la préhistoire. Avant dix ans, ils auront disparu, comme les dinosaures, sauf s'ils ont su morceler leur affaire en cent ou deux cents entreprises, chacune responsable de sa gestion et de ses comptes, avec chiffre d'affaire d'un demi-milliard".

Ce qui a bonne presse par contre, ce qui s'oppose à ce pouvoir, c'est le chouchou des libéraux, c'est : la gouvernance.

La gouvernance, c'est quelque chose qui remplacerait toute forme de contrainte, qui permettrait de mettre spontanément en oeuvre des valeurs de "bonne gouvernance" : la solidarité, le développement durable, le respect, de diversité,...On peut charger autant qu'on veut, la gouvernance est une bonne fille.

C'est aussi cette "corporate governance" qui permet le grand amour entre les dirigeants et les actionnaires, avec des mécanismes explicites ou implicites que le MEDEF aime bien mettre dans des chartes. C'est ainsi que les salaires des patrons, grâce aux règles de "gouvernance", deviennent acceptables par l'homme de la rue.

Cette idée de gouvernance semble s'opposer à celle de hiérarchie ou d'autorité. Il y aurait comme une façon naturelle de manager l'entreprise, et ses collaborateurs, qui dispenserait ainsi le dirigeant de prendre des décisions, surtout celles qui fâchent. Parfois, on met les consultants dans le coup: dites-moi, Monsieur le Consultant, ce qu'il faut faire, et surtout que cela soit accepté par tous (on appelle ça la gestion du changement, ça permet notamment de ne pas trop changer).

Cette gouvernance, elle est le symbole de la modernité, du pragmatisme. Dans un projet, une strqatégie, la bonne gouvernance, c'est le facteur-clé de réussite. Elle est aussi le secret pour régler tous les conflits d'intérêts.

Elle recouvre, en vrac, tous les critères possibles d'honnêteté, de bonne gestion, de contrôle des gouvernés comme des gouvernants.

La mode a dépassé le cadre des entreprises; la bonne gouvernance, aujourd'hui, c'est aussi celle des Etats, des organisations internationales. La fin du pouvoir pour tous : vive la "gouvernance mondiale".

On est alors dans un système qui fait croire que la décision devient quelque chose qui advient naturellement, comme la résultante de tout un tas d'actions : co-gestion, intelligence collective, codirection. L'autorité disparaît au profit du consensus.

C'est pourquoi quand j'entend certains dirigeants parler un peu trop de "gouvernance", et de toutes les merveilleuses règles qu'elle permet de faire jouer, comme une belle horlogerie, je me méfie toujours un peu.

Car cela peut parfois signaler une démission de leur pouvoir, signifiant leur incapacité à choisir et à décider (c'est l'horreur  de travailler avec des gens pareils; ils sont toujours insatidfaits, sauf quand on ne change rien).

Ou pire, cela peut aussi indiquer une forme subtile de manipulation, où la décision du chef est déguisée en gouvernance, en faux consensus, tous les béni-oui-oui de ses équipes n'osant pas le contredire, ou émettre une opinion divergente (alors qu'ils n'en pensent pas moins).

Alors, en ce temps où la gouvernance devient tellement à la mode, peut-être faut-il réhabiliter le pouvoir, celui qui permet aux innovateurs, aux entrepreneurs, de prendre les risques que d'autres ne veulent pas prendre. Et de faire bouger les entreprises, les équipes, d'oser des fonctionnements différents.

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