Pour débureaucratiser : mettons de l'anarchie dans nos organisations!
16 février 2011
Le dernier ouvrage d' Edgar Morin a pour titre "La voie - Pour l'avenir de l'humanité".
C'est un programme ambitieux, qui vise à proposer une autre voie pour sauver l'humanité, en réformant tout : les politiques de l'humanité, réformes de la pensée et de l'éducation, réformes de sociétés, réformes de la vie..Tout, tout; il faut vraiment s'appeler Edgar Morin pour avoir une telle ambition (à part Alain Delon et Nicolas Sarkozy peut-être...).
Il consacre notamment quelques pages à ce qu'il appelle "la débureaucratisation généralisée".
Cette histoire de phénomène bureaucratique, c'était déjà le titre d'un livre de Michel Crozier...en 1971.
Edgar Morin y revient...A croire que rien n'a changé. Quel triste constat.
Dans les organisations quelles qu'elles soient, les entreprises publiques, les grandes entreprises multinationales, les partis, les associations, etc.., la bureaucratisation se développe quand s'y manifeste un excès de centralisation, un excès de hiérarchie, et un excès de spécialisation et de formalisation des procédures.
Cela concerne les organisations où il y a beacoup d'employés, mais pas forcément, on peut aussi être une petite entreprise bureaucratique.
Dans la bureaucratie, ce sont les schémas de pensée qui sont caractéristiques : la conviction qu'il doit exister une dichotomie forte entre le dirigeant et les exécutants en fait partie.
Pour Edgar Morin :
" Cette rigide dichotomie dirigeant/éxécutant enferme la responsabilité personnelle de chacun dans un petit secteur, mais inhibe la responsabilité et la solidarité de chacun vis-à-vis de l'ensemble dont il fait partie. De fait, la bureaucratie génère l'irresponsabilité, l'inertie et l'inintérêt hors du secteur compartimenté, et opprime à l'intérieur de ce secteur quand le travail y est monotone, mécanique et répétitif".
Une telle organisation devient vite inhumaine pour ceux qui ont besoin de ses services; c'est quand on est client de celle-ci qu'on se sent baladé d'un guichet à l'autre, d'un service à l'autre, tombant régulièrement sur des interlocuteurs qui nous expliquent que "c'est pas de leur ressort", "c'est un problème...chez l'autre". Et on ne s'en sort pas.
C'est aussi dans ces entreprises que la capacité de réaction aux phénomènes urgents ou non prévus est trés faible; tout est traité avec retard, et souvent mal. " La bureaucratie, avec ses paliers hiérarchiques et sa répartition des tâches, stoppe ou freine l'arrivée de l'information aux sommets qui décident".
D'où cette loi :
" toute information qui dérange les esprits et les institutions parvient toujours avec retard dans les systèmes d'idées ou les corps constitués, et, une fois qu'elle y est parvenue, les décisions salutaires qu'elle devait entraîner sont elles-mêmes retardées".
Des entreprises comme ça, on a l'impression d'en connaître plein, non ? En tant que client, ou en tant qu'employé.
Bon, mais, Edgar ne se contente pas de porter le diagnostic, il nous propose aussi ...la voie; la voie de la débureaucratisation.
Cela peut nous servir si on sent son entreprise déjà un peu trop bureaucratisée, mais aussi pour nous empêcher de le devenir, pour prévenir plutôt que guérir.
Pour Edgar Morin, c'est la forme de l'organisation qui est en cause, la "bonne organisation" étant celle où les aptitudes et qualités des individus qui y travaillent sont employées au mieux. Pas facile à évaluer, mais cela se voit quand il y a une véritable capacité d'initiative et de liberté des collaborateurs, notamment dans les situations inattendues et urgentes.
Pour cela, il faut plusieurs centres (et non une hiérarchie unique), avec capacité de décision, et liberté d'action en cas d'imprévus. C'est ce qu'il appelle le "polycentrisme".
Edgar Morin encourage aussi ce qu'il appelle la "polyarchie", c'est à dire la pluralité des hiérarchies différentes selon les domaines et selon les circonstances. Il préconise même de mettre une part d'anarchie :
" Anarchie ici ne signifie pas "désordre", mais modes d'organisation spontanée à travers les interactions entre individus et groupes".
Enfin, pour agir contre le méfaits de la spécialisation, Edgar Morin promeut les multi-compétences, la "polyspécialisation"; et le mélange entre ceux qui apportent leurs spécialisations et ceux qui sont responsables du processus de décision et qui ont une compétence plus générale.
Dans ces organisations polycentristes, polyarchiques, et polyspécialisées, il ne s'agit surtout pas de rationaliser : rationaliser, c'est supprimer les temps morts, c'est mettre des procédures partout, c'est tenter de faire fonctionner les humains comme des machines.
Non, ce dont ont besoin ces organisations débureaucratisées, ce n'est pas de rationalisation, mais de rationalité : la rationalité correspond à la pleine utilisation des aptitudes de ceux qui participent à l'entreprise. Et pour cela, on a besoin de temps libres, d'échanges et de hasards, de "redondance", de savoirs communs (et non pas de chacun dans une case avec un dialogue impossible), de répétition. De ces "apparentes pertes de temps qui, en réalité, sont des gains de rationalité".
Pour rendre possible ces organisations débureaucratisées, il faut aussi "restaurer le sens des responsabilités et celui des solidarités". C'est dans les comportements, les modes de pensée que ça se joue.
Pour cela il faut des réformes, en même temps : réformes de l'organisation des entreprises, réformes de la pensée, réformes politiques, réformes sociales et économiques....oui, vous l'avez deviné, pour Edgar, il faut des "polyréformes".
Avec tous ces poly-trucs on va peut-être enfin y arriver....enfin, espérons-le.
Et puis, promouvoir l'anarchie pour mieux s'organiser...voilà un bon slogan pour commencer à faire bouger les choses, non ?
Alors, on essaye ?
Merci Edgar.
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