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Corruption au Kremlin

Bribery

Il a cinq ans, on avait parlé du plus grand scandale de corruption en Allemagne depuis la seconde guerre mondiale. On découvrait que Siemens avait, pendant de longues années,  payé des pots-de-vin à des gouvernements pour obtenir des contrats d'infrastructures dans plusieurs pays dont l'Irak et la Russie.

On en parle encore, par exemple le Premier Ministre grec, Papandreou, qui a déclaré récemment qu'il voulait réclamer des dommages et intérêts à Siemens pour corruption des officiels grecs.

L'histoire est racontée dans un article cette semaine de Bloomberg Businessweek.

L'article rappelle la peur que cela a suscité chez Siemens : que les marchés publics se ferment, que les gouvernements ne veulent plus de Siemens. Le genre de crise qui a de quoi faire frémir, et qui nécessite beaucoup de sang froid pour les dirigeants.

C'est pourquoi les administrateurs de Siemens sont allés cherché de l'autre côté de l'Atlantique leur dirigeant, chez General Electric, le concurrent de Siemens. C'est une grande première, les dirigeants précédents étant tous issus des troupes de Siemens. Et c'est comme ça que Peter Lösher, un autrichien ,ancien de GE, est depuis trois ans, le CEO du Groupe.

Alors, quand on vient de GE, qu'on débarque chez siemens, dans une telle ambiance, et dans un tel contexte, on fait quoi ? Voilà un bon cas de transformation d'entreprise, forcée, qui ne peut qu'inspirer tous ceux qui hésitent, qui ne savent pas trop comment entreprendre les actions de changement dans leur entreprise ou leur équipe. Là, on n'a pas le choix.

 En terme de management, Peter Lösher a fait le grand ménage : Tout le comité de Direction a été remplacé, pratiquement la moitié du middle management a changé de poste.

Lösher a caractérisé cette histoire de corruption de "catalytic event" pour Siemens : " il n'aurait pas été possible de mener à une telle vitesse tous les changements que nous avons menés sans cet évènement".

On retrouve bien là le discours : la crise, c'est bien, ça force à changer vite; on irait presque se féliciter de l'avoir connue...Bon, il y a de la Com' là-dedans, mais pas seulement.

Alors, Lösher en a profité pour "changer la culture", en mettant un peu de culture GE dans Siemens. Et cette culture a un nom : Exécution.

Un ex de GE, recruté chez Siemens, le rappelle : " Chez GE,  ils fixent un objectif, et ils l'atteignent, c'est comme ça".

 Cette notion de "Performance Based Management" n'était apparemment pas la norme chez Siemens auparavant. Les processus étaient trés formels; ce même nouveau venu ex GE témoigne sur son arrivée chez Siemens : " La première fois que je suis arrivé, je me sentais comme au Kremlin".

J'avais déjà évoqué un autre dirigeant "newcomer", en l'occurence l'arrivée de Lou Gertsner chez IBM. Dans son livre "J'ai fait dansé les éléphants", on retrouve cette même envie de bousculer, de mettre par terre la vieille culture qui passe, en quelques phrases, comme tellement ringarde.

Autres changements apporté par Peter Lösher, la fin des baronnies, où le dirigeant géographique local de Siemens pouvait acheter une entreprise. Il a revu le protefeuille d'activités, a recruté des managers avec des expériences internationales; il tient des Comités de Direction en-dehors de l'Allemagne, histoire de remuer ce "conglomerat allemand".

D'un point de vue plus stratégique, Siemens y va à fond pour être "Green". Objectif de devenir leader dans les énergies renouvelables, l'éolien. C'est le nouveau credo; Lösher dit s'être concentré sur les "megatrends", pour faire un vrai saut en-dehors de ces histoires de corruption, pour passer vraiment à autre chose; comme le "green business" pour assurer le futur de l'entreprise. C'est déjà 38 Milliards de dollars qui sont réalisés dans ce secteur, l'éolien, le solaire, les turbines éoliennes, etc..Environ 25% de ses 400 000 employés sont auhjuord'hui des "green-collars workers", ceux qui produisent ou vendent des produits "reource-efficient".

Cette transformation laisse rêveur non ? On dirait un conte de fées.En un an l'action Siemens a gagné 48% ! Deux fois plus que celle de GE; et ABB, autre concurrent, entreprise elle aussi dirigée par un ancien de GE, n'a vu son action progresser que de 17%.

Ce mélange de "Performance Based Management", d'ambition, de "megatrends", de "green", tout ça aprés un moment "catalytic", qui oblige à aller vite et fort : encore une leçon pour nos managers trop frileux...qui ne se sont peut-être pas encore aperçu qu'ils étaient au Kremlin !


Un monde merveilleux

Andy-Warhol-Mao[1]

J'avais déjà rendu compte d'un ouvrage qui m'avait été adressé par un éditeur souhaitant recuillir mon avis sur "la vraie des managers"; ça parlait d'histoires vécues par des managers de terrain, la vraie vie quoi; parfois des histoires drôles, parfois des histoires cruelles.

J'ai reçu récemment une sollicitation du même genre d'une chargée de communication pour un livre rédigé à plusieurs mains par les employés d'une entreprise de conseil et services informatiques qui m'a l'air dynamique, OCTO.

Le livre s'appelle "Partageons ce qui nous départage". Il y a un blog qui prend le relais.

La démarche est originale : une trentaine de collaborateurs ont écrit des sortes de billets, sans vraiment de liens entre eux, pour raconter des histoires vécues à l'intérieur de l'entreprise.

 L'entreprise a l'air française, mais on y parle souvent avec un jargon anglais..normal, c'est une entreprise de "geeks", avec même des "Neo-Geekettes"..L'écriture est trés proche d'un langage parlé et branché. Accrochez-vous si vous n'êtes pas membre de la secte.

Je ne connais pas cette entreprise, mais au vu du livre et des anecdotes et témoignages qui y sont rapportés, ça m'a l'air de ressembler à un monde merveilleux; tout le monde rigole, on est "cool"; on s'amuse avec des "boîtes à Meuh", on chasse le "Plouf" (ben oui, vous savez, quand ça fait Plouf!);

On aime aussi la productivité, le travail bien fait (les collaborateurs sont mo-ti-vés !); on surveille le ROTI (Return On Time Invested - oui, je vous l'ai dit, on est adepte de la cuisine anglaise dans cette entreprise).

Dans le livre, il y a des citations rigolotes; des dessins, des photos détournées..J'ai reconnu Bernard Pivot, un dinosaure d'une génération oubliée;

Et puis c'est un livre techno, forcément : on peut y flasher des flashcodes, avec l'application "QR Code" téléchargeable sur Iphone, pour envoyer des commentaires et "interagir avec le livre".

Dans cette entreprise, on aime faire des réunions où tout le monde s'exprime, on aime prendre des pots le soir;..

En fait, le format de cet ouvrage ressemble beaucoup à celui d'un bestseller américain, "Re Work", de Jason Fried et David Heinemeier Hansson, dont les auteurs avouent s'être inspirés; il est d'ailleurs cité dans la bibliographie avec d'autres ouvrages qui les passionnent (la plupart de ses ouvrages existent en version française, mais les auteurs préfèrent citer la version anglo-saxonne..Snobisme de geek ?).

D'ailleurs on aime les livres dans cette entreprise de geeks; chaque consultant a un budget infini sur les livres; ça "facilite l'innovation"; les collaborateurs organisent des déjeuners de lectures où les participants échangent leurs réflexions sur le chapitre de la semaine; des livres sont offerts aux nouveaux arrivants...Oui, c'est un monde merveilleux.

On rigole, on rigole, on ne se prend pas trop au sérieux, cette ambiance de potaches, il faut sûrement aimer ça pour y vivre aussi bien; avec un patron appelé le "cher PDG 'que 1000 louanges soient chantées quotidiennement en son honneur)", une sorte de Mao Tse Toung geek en quelque sorte.

Oui, ça ressemble à une cellule du parti communiste chinois , avec les visages souriants, les travailleurs qui vont travailler en sifflottant, la faucille et le marteau en bandoulière.

Oui, pour apprécier cette lecture, il faut "kiffer" : un des articles du livre relate l'existence de "kifomètres"  : chacun met des pastilles de couleurs sur le mur, ou bien montre des doigts levés, pour dire "je kiffe grave" (ça, c'est cinq doigts !), ou bien " j'anti-kiffe" (1 doigt). Avec trois doigts vous pouvez communiquer "mi kiffe, mi raisin"...Quel plaisir !

Ah, et puis il y a un baby foot à la cafetaria....Ouahhh...ça permet de "gommer les différences", même si le PDG est "un peu plus égal que les autres quand même. Surtout qu'il est bon le saligaud".

La lecture de ce livre devrait horripiler certains, les anti-geeks, peut-être rendre jaloux d'autres (pourquoi c'est pas comme ça dans ma boîte), inspirer d'autres (tiens, moi aussi je vais mettre un "kifomètre" dans ma boîte).

N'espérons pas y trouver des conseils de management inspirés; juste un truc marrant par ci par là;

Mais Bravo à ces collaborateurs pour avoir mené à bout un tel projet, en trois mois (l'exploit est relaté dans un des articles) somme toute plutôt original;

Cela donne envie de les connaître; ils ont l'air sympa et bons vivants ! Et bravo au patron Mao, le saligaud du baby foot,  pour avoir inspiré une telle équipe;

Et longue vie à cette entreprise. Cela nous change des récits misérabilistes qui encombrent les librairies, à coup de sucides et de stress. Rien que pour ça : merci;

Et merci à Céline de m'avoir adressé cet ouvrage plein d'optimisme entreprenarial.


Notre époque aime la laideur ...et le faux !

Soldats

J'en suis encore tout ébahi.

L'armée des soldats de terre cuite, les 8000 guerriers, découverte dans le tombeau du premier empereur de Chine, près de Xian, l'empereur Ts'in Che Houang-ti , sont des faux.

Pour moi qui m'était extasié lors de cette visite il y a quelques années, devant ces statues impeccables, au patrimoine de l'Unesco, quelle désillusion !

c'est Jean Levi qu révèle l'imposture dans son livre " La Chine est un cheval et l'Univers une idée".

Cette armée de 8000 soldats d'argile qui a été exhumée il y a maintenant trente ans du tombeau du Grand Empereur est entièrement constituée de faux fabriqués à la chaîne à l'époque de Mao. Selon Jean Levi, " il ne s'agit pas de reconstitutions maladroites, car trop poussées, mais d'une pure et simple falsification".

Car le tombeau en question a été rasé, pillé, brûlé, par le général Hsiang Yu lorsqu'il pénétra à l'intérieur des passes du Qin et s'empara de la ville.

Dans ces conditions, " l'armée de terre cuite ne pouvait être qu'un monceau de débris calcinés, impossibles à reconstituer. Or, quand on les voit maintenant, tous les guerriers sans exception sont dans un état de conservation parfaite."

Personne n'en parle. toute la planète fait semblant. Incroyable non ?

Le plus incroyable, c'est comment on a reconstitué ces guerriers :

" Les statues ont été refaites, non pas d'aprés l'original, dont on ne peut rien connaître, mais d'aprés l'idée que les cadres butés du Ministère de la Culture se font d'une statue funéraire du Premier Empereur - ce que le Grand Timonier aurait commandé pour lui, si au lieu de vivre au XXème siècle il était mort au IIIème siècle avant notre ère. Leur facture anachronique a d'ailleurs frappé tous les spécialistes, sans qu'ils en tirent les conséquences qui s'imposaient.

Il s'agit d'un travail moderne, éxécuté à la chaîne par des armées de forçats contemporains, dans des fours du XXème siècle, sous la surveillance de bureaucrates maoïstes. L'on ne peut qu'être saisi par la parenté entre les guerriers Ts'in du mausolée de Ling-tong et les productions du réalisme socialiste. Le modèle dont se sont inspirés les artistes chinois me paraît être une statue en bronze de Lénine fondue en 1937".

Bon, une fois avalée cette histoire, on se demande forcément : pourquoi ?

 Pourquoi est-ce que cette imposture marche aussi bien, personne ne venant la mettre en cause. C'est une véritable unanimité sur ces merveilleux guerriers. Et tout le monde les admire, quand ils se promènent dans tous les musées de la planète.

Jean Levi, forcément, donne son explication, particulièrement effrayante :

" Le faux est devenu fait historique par simple décision d'Etat, avec la complicité de toute la planète qui a collaboré avec zèle à cette entrepise de mystification. Les statues ont trouvé dans l'homme moderne un terrain particulièrement réceptif. Notre époque aime la laideur. Si les gigantesques crottes de terre cuite du mausolée de Ling-tong ont pu rencontrer l'adhésion unanime tant du public que des esthètes, c'est qu'elle flattaient le mauvais goût général. Ces statues portent l'empreinte d'un matérialisme obtus et épais aux antipodes de l'esprit des Royaumes Combattants. C'est parce qu'elles sont frappées du sceau irrémédialbe de l'esprit petit-bourgeaois qu'elles remuent nos contemporains de cette façon.".

Ce qui plaît, et qui explique l'admiration du grand public, c'est aussi la quantité, le grand nombre :

"Nous vivons aujourd'hui sous la tyrannie des grands nombres. Produit et vecteur de fabrication en série, la foule, qui veut un monde à son image, tient le nombre pour une des dimensions nécessaires de l'esthétique. Investi d'une sorte de sacralité technoscientifique, lui seul peut suppléer désormais à la perte de l'aura de l'oeuvre d'art".

Ces guerriers trés lisses, trés industriels, ils sont également, selon Jean Levi, en perfecte adéquation avec le goût de la multitude (j'ai l'impression que cet auteur n'aime pas trop la foule; un côté un peu snob, on dirait..) :

" Les soldats de Ts'in Che Houang-ti impressionnent non parce qu'ils sont le fruit du génie humain, mais parce qu'ils portent la marque mécanique de la production à la chaîne. Le siècle a flairé avec une intuition trés sûre le caractère industriel de leur fabrication. Comme il n'a pu qu'être sensible à la modernité de la facture. Ces guerriers façonnés au IIIème siècle avant notre ère pourraient être d'aujourd'hui, s'est-il émerveillé. Ils ne portent aucun stigmate temporel : ni fêlures, ni usure, ni patine ne les déparent. Ils brillent comme des sous neufs. Pas plus que leur réalisme consternant ne propose une autre vision du visage humain, plus spirituelle ou plus épurée. On peut être sûr qu'aucune âme ne les habita jamais".

Jean Levi va encore plus loin en considérant que nous sommes aujourd'hui dans le mythe de la perfection du présent. Le passé, qaund il subsiste, ne peut être considéré que comme un simili :

" Il est un faux passé, reconstruit de façon à en fournir une image édulcorée et remaniée, acceptable pour l'homme d'aujourd'hui, même si et surtout si cette édulcoration se présente sous les traits du gigantisme".

Dans cette histoire, telle que décrite et commentée par Jean Levi, on se sent vivre, piégé, victime consentante,  dans un monde façonné par des faussaires..

Et si le faux a l'air aussi vrai, ne va-t-on pas finir par croire que le vrai, lui, devient de plus en plus faux ?


Décors

Decor

Je recevais cette semaine, pour le cycle d'échanges de PMP sur l'Innovation Managériale, Lin Cheng, dirigeant Europe du groupe chinois ZTE, et Chloé Ascencio, spécialiste du management en Chine, et auteur de "Être efficace en Chine, le management à l'épreuve de la culture chinoise".

Echanges intéressants sur le sujet : Comment manager ensemble culture chinoise et cultures européennes ?

Je retiendrai notamment une remarque sur cette histoire de cultures et de nationalités.

Dans les échanges dans l'entreprise, entre ceux qui sont français, ceux qui sont allemands, ceux qui sont chinois, il peut y avoir un risque que chacun se sente dans un rôle où il va sur-jouer une carctéristiuqe valorisante de l'imagerie de son pays.

C'est que Lin Cheng a joliment appelé "dresser un décor".

Quand je suis allemand, je dresse le décor de la qualité allemande, de la rigueur, du sérieux, et je fait la promotion de ce décor, car je suis allemand, et il me permet de me valoriser en valorisant les caractéristiques allemandes.

Quand je suis chinois, je vais dresser le décor d'une Chine toute en harmonie, le yin et le Yang, et plein de caractéristiques de ce qui fait toute la bonne réputation de cette culture chinoise, et là encore, je vais m'installer dans ce décor, qui va me valoriser en tant que chinois.

Dans un tel système, les décors ainsi dréssés ne sont bien sûr pas la vraie Allemagne, ni la vraie Chine, ni la vraie France. C'est juste un jeu d'oppositions, de comparaisons, de fausses valeurs.

Lin Cheng ,conscient de ce risque pour son entreprise où se côtoient justement de nombreuses nationalités, prône plutôt le respect des autres et des individus; il n'y a pas de modèle unique, qui serait le reflet de l'efficacité.ni de modèle des uns qui devrait s'imposer aucx autres. Pas de soumission des minorités à une majorité, contrairement à .

L'efficacité du management interculturel, c'est précisément de ne pas vouloir imposer des règles et des procédures identiques partout. Les gaps culturels entre les uns et les autres sont un fait, ils existeront toujours, mais, dans l'entreprise, nous avons des objectifs communs; et c'est en restant ouverts aux autres méthodes, aux méthodes de ceux qui viennent d'une autre culture que moi, que nous allons trouver les clés pour le succés du management.

Et c'est en veillant à ne pas dresser des décors que nous trouverons la sincérité et l'authenticité des relations de management. Opposer les chinois aux européens ne peut pas mener bien loin, même si Lin Cheng reconnaît qu'il a eu tendance, au début, à se comporter comme un chinois avec les chinois, et comme un allemend avec les allemands (en leur parlant de qualité, puisqu'ils aiment ça). Maintenant il essaye de faire tomber les décors.

Oui, cette expression (qui fait vraiment chinoise je trouve), de "dresser les décors", elle m'est restée en tête comme un antidote.

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Faut-il toujours appeler un cerf un cheval ?

Cerf

Dans son dernier livre d'essais, Jean Levi ( " La Chine est un cheval et l'Univers une idée"), relate cette anecdote tirée de l'histoire de la Chine :

" Aprés avoir éliminé le Premier Ministre Li Sse, l'eunnuque Tchao Kao occupa son poste et eut la haute main sur l'administration. Sûr de détenir les leviers du pouvoir, il décide de brusquer les choses en montant une comédie. Il présente un cerf à son souverain et déclare : " Tenez, Sire, je vous offre ce cheval." Le souverain rectifie le lapsus de son ministre, mais celui-ci insiste : "Voyons! Majesté, c'est un cheval". Et comme une bonne partie de la cour est là pour appuyer ses dires, le souverain finit par douter du témoignage de ses sens.

Dans la mesure où il s'est déjà saisi des rênes de l'Etat, Tchao Kao peut appeler un cerf un cheval. Et de cette maîtrise sur les désignations - signe de sa domination absolue sur les hommes - Tchao Kao va user habilement pour écarter l'empereur de la cour sous prétexte qu'il a perdu l'usage de la raison et l'enfermer dans un domaine campagnard où il sera totalement à sa merci. La garde impériale, sur ordre de l'ennuque, exécutera l'infortuné monarque quelque temps plus tard sans que nul ne s'en émeuve".

 Désigner, donner des noms aux choses, aux faits, c'est gouverner; c'est détenir le pouvoir; telle est la leçon de cette anecdote.

Comment ne pas évoquer ce qui se passe dans nos entreprises, en ce moment, dans les discours des dirigeants.

" Nous avons fait une excellente année", même si les résultats ne sont pas si terribles que ça; il suffit que le chef désigne le cheval pour que tout le monde oublie le cerf.

C'est vrai que le pouvoir des mots est extrêmement fort; écoutons ces discours de fin d'année et de voeux, toujours bien arrangés, et on comprend que cela n'a pas trop changé depuis Tchao Kao.

Et pour se sortir de cette tendance ce n'est pas si simple. Et le veut-on ?

Revenons à Jean Levi :

" Tout système de domination, pour être accepté durablement par ceux sur qui il s'exerce, doit se revêtir d'un voile, du voile trompeur des mots à l'abri duquel les supérieurs peuvent opprimer, pressurer, et faire trimer leur peuple à leur guise, en toute bonne conscience, abusés qu'ils sont eux-mêmes par les mensonges d'une propagande où rien n'est jamais désigné par son nom. "

Car cette remarque que j'ai prise pour évoquer les discours dans l'entreprise, elle est encore plus vive si l'on regarde du côté des politiques et des gouvernants; et des discours des plus hauts représentants de l'Etat (suivez mon regard).

Jean Levi est catégorique :

" L'évolution du monde actuel où la domination sur les hommes passe par la fausse dénomination des choses, montre bien qu'en politique, il faut toujours appeler un cerf un cheval".

En politique seulement ?

Pas sûr....on pense à plein d'autres cas, non ?

Bons discours de début d'année : il suffit d'appeler le cerf cheval...


2011 : ça va faire mâle !

Herb_ritts_a

2011, l'année qui commence par un week-end, ça commence bien; ça va être cool, comme on aime ?

Ho la, détrompez-vous !

L'année 2011, ça va être dur, dur, dur.

On est passé, paraît-il au "New Normal" ; c'est Obama qui l'a dit dans une interview en novembre, et depuis, aux etats-Unis, on n'arrête pas : le "New Normal" ça veut dire que on aura le profit dans les entreprises (enfin parfois), la croissance, mais pas de jobs et d'emplois pour autant, car on pourra faire plus avec moins de monde.

Et puis, l'occident est passé à la périphérie du monde; c'est au tour de l'Est, de l'Asie, de la Chine, de faire son tour.

Alors, forcément, dans cette ambiance, on oublie l'insouciance, les frivolités.

C'est le New York Times , sous la plume du chroniqueur Guy Trebay, observateur attentif de la mode, qui a repéré le truc : la mode des garçons un peu éthérés, les styles Dior, genre costume taille XS, les jambes et les bras épais comme des cure-dent, fini !

Maintenant, pour affronter les temps difficiles, la mode et les podiums veulent revenir aux valeurs sûres, aux hommes, aux vrais.

Tout y passe, la mode, les photographes. Herb Ritts, celui que l'on connaît pour cette photo de l'homme qui tient deux pneus, trés costaud (voir photo qui illustre ce post), oui, il revient à la mode.

Ce qi'on recherche maintenant, ce sont les marques "authentiques", les travailleurs manuels. Dans les publicités et les défilés, les hommes deviennent plus hirsutes, larges d'épaules, avec de la maturité.

Un directeur de création publicitaire le confesse au New York Times : " C'est une réaction à la situation économique, confortant, comme la cuisine de grand-mère. Quand les temps sont durs, on a besoin de mâles".

Un directeur de casting en rajoute : " Lorsque nous faisons un casting, nous voulons un mannequin avec de la substance, et du vécu. Quelqu'un qui a un peu vielli et qui se considère comme un homme".

Dans les styles vestimentaires de l'entreprise, cette tendance, paraît-il, va se traduire par un peu moins de relâché, un peu plus de tenue; on met un costume pour les entretiens d'embauche; on se rase; on se tient plus droit. Tout un tas de petites choses qui vont dans la même direction : du maintien.

Dans nos entreprises aussi, on va peut-être retrouver ce besoin de matérialité, et pourquoi pas d'éthique, de morale.

A l'heure où tout a l'air virtuel, où Facebook devient le meilleur endroit pour une rencontre, et si on retrouvait ce besoin d'authentique, de cassoulet et de choses bien matérielles ?

Comment cette tendance va-t-elle influencer nos manières de gérer nos entreprises et de manager nos collaborateurs?

A suivre....