Faut-il toujours appeler un cerf un cheval ?
09 janvier 2011
Dans son dernier livre d'essais, Jean Levi ( " La Chine est un cheval et l'Univers une idée"), relate cette anecdote tirée de l'histoire de la Chine :
" Aprés avoir éliminé le Premier Ministre Li Sse, l'eunnuque Tchao Kao occupa son poste et eut la haute main sur l'administration. Sûr de détenir les leviers du pouvoir, il décide de brusquer les choses en montant une comédie. Il présente un cerf à son souverain et déclare : " Tenez, Sire, je vous offre ce cheval." Le souverain rectifie le lapsus de son ministre, mais celui-ci insiste : "Voyons! Majesté, c'est un cheval". Et comme une bonne partie de la cour est là pour appuyer ses dires, le souverain finit par douter du témoignage de ses sens.
Dans la mesure où il s'est déjà saisi des rênes de l'Etat, Tchao Kao peut appeler un cerf un cheval. Et de cette maîtrise sur les désignations - signe de sa domination absolue sur les hommes - Tchao Kao va user habilement pour écarter l'empereur de la cour sous prétexte qu'il a perdu l'usage de la raison et l'enfermer dans un domaine campagnard où il sera totalement à sa merci. La garde impériale, sur ordre de l'ennuque, exécutera l'infortuné monarque quelque temps plus tard sans que nul ne s'en émeuve".
Désigner, donner des noms aux choses, aux faits, c'est gouverner; c'est détenir le pouvoir; telle est la leçon de cette anecdote.
Comment ne pas évoquer ce qui se passe dans nos entreprises, en ce moment, dans les discours des dirigeants.
" Nous avons fait une excellente année", même si les résultats ne sont pas si terribles que ça; il suffit que le chef désigne le cheval pour que tout le monde oublie le cerf.
C'est vrai que le pouvoir des mots est extrêmement fort; écoutons ces discours de fin d'année et de voeux, toujours bien arrangés, et on comprend que cela n'a pas trop changé depuis Tchao Kao.
Et pour se sortir de cette tendance ce n'est pas si simple. Et le veut-on ?
Revenons à Jean Levi :
" Tout système de domination, pour être accepté durablement par ceux sur qui il s'exerce, doit se revêtir d'un voile, du voile trompeur des mots à l'abri duquel les supérieurs peuvent opprimer, pressurer, et faire trimer leur peuple à leur guise, en toute bonne conscience, abusés qu'ils sont eux-mêmes par les mensonges d'une propagande où rien n'est jamais désigné par son nom. "
Car cette remarque que j'ai prise pour évoquer les discours dans l'entreprise, elle est encore plus vive si l'on regarde du côté des politiques et des gouvernants; et des discours des plus hauts représentants de l'Etat (suivez mon regard).
Jean Levi est catégorique :
" L'évolution du monde actuel où la domination sur les hommes passe par la fausse dénomination des choses, montre bien qu'en politique, il faut toujours appeler un cerf un cheval".
En politique seulement ?
Pas sûr....on pense à plein d'autres cas, non ?
Bons discours de début d'année : il suffit d'appeler le cerf cheval...
Commentaires