Des épaules de géants de plus en plus difficiles à atteindre...
27 décembre 2010
Pourra-t-on encore innover en 2011 ?
Drôle de question; mais réfléchissons-y.
Pour innover, ne faut-il pas déjà avoir assimilé toutes les connaissances préalables déjà découvertes par ceux qui nous ont précédé ? C'est Newton qui disait "Si j'ai vu plus loin que les autres, c'est que je me suis placé sur les épaules de géants".
On imagine bien, en effet, que ceux qui veulent produire de nouvelles idées dans un domaine doivent déjà investir le temps nécessaire, souvent considérable, dans l'apprentisage des savoirs existants dans leur discipline.
Dans ce cadre, il n'est plus possible d'être le "touche à tout" comme Léonard de Vinci; non, aujourd'hui, le mot c'est : spécialisation. C'est en se spécialisant de plus en plus que l'on progresse.
Et pour que l'on puisse couvrir des champs d'analyse suffisamment larges, et bien il faut que les innovateurs travaillent en équipe, chaque membre de l'équipe avec sa spécialité. Mais cette collaboration est forcément plus coûteuse, plus compliquée à organiser, que la recherche individuelle. Et on est oligé d'imaginer des méthodes, des process, pour la recherche d'idées innovantes, qui peuvent être moins productives.
D'où l'inquiétude de certains : Et si tout cela conduisait à ce que la capacité de l'humanité à innover aille en s'amenuisant ?
Cédric Argenton, dans le numéro d'Automne de la revue "Commentaire", aborde ce sujet, en référence à un article d'un professeur de l'Université Northwestern, Benjamin F. Jones.
S'appuyant sur un historique des dépôts de brevets américains, Jones démontre que, au cours du temps, l'âge lors de la première invention, le degré de spécialisation des innovateurs et la taille des équipes de recherche ont augmenté de manière substantielle. C'est ce qu'il appelle la "malédiction du savoir" : les agents réagissent à l'accroissement continu du stock de connaissances à assimiler par une durée plus longue d'études et une spécialisation de plus en plus grande.Du fait de cette "malédiction", il devient de plus en plus dur de se porter à la frontière des connaissances; la compétition entre chercheurs augmente, et les capacités d'innovation diminuent du fait de la spécialisation poussée.
Ce modèle de Jones fonctionne comme un filet où la pêche aux idées devient de plus en plus difficile : une fois pris les premiers poissons, la chance d'en attraper d'autres s'amenuise. Cet effet ne peut être compensé que par un constant effort de resserrement des mailles du filet.
Ce modèle de la malédiction, il repose en fait sur l'hypothèse que la spécialisation serait en fait l'ennemi de l'innovation; et que c'est en perdant les visions d'ensemble que l'on devient maudits.
Cette hypothèse peut encore être interrogée, comme le remarque Cédric Argenton dans son commentaire.
Et il souligne un enjeu trés important, dans le cas où ce modèle aurait du sens : Un des objectifs cruciaux de l'innovation pour demain sera de maîtriser le taux auquel une génération transfère ses connaissances à la suivante, ainsi que la capacité des individus à collaborer au-delà des barrières disciplinaires.
Des sujets que l'on a encore peu abordé, malheureusement, dans les discussions agitées par le débat sur les retraites en France en 2010...Un bon sujet pour 2011 alors.