Où faut-il frotter pour laver plus blanc ?
Equipe en équipage

Bureaucratie de verre

Tourdeverre L'entrepreneur est une des figures héroïques du monde de l'entreprise. Quand on parle de l'entrepreneur, on pense bien sûr au vrai, celui qui monte sa boîte, qui prend le risque, et innove.

Mais le terme s'applique, plus généralement, à un certain type de comportement, que l'on peut retrouver  dans n'importe quel contexte, y compris pour caractériser les comportements les plus audacieux dans une grande entreprise. Un terme barbare d' "intrapreneur" a même été inventé pour le caractériser.

Et cette notion d'"entrepreneur" est ainsi devenue la source de belles histoires avec un type génial, un peu solitaire, qui se rebelle contre l'entreprise, refuse de faire comme tout le monde...et donne le jour à un business formidable, une idée qui fera le produit du siècle, et révolutionnera de l'intérieur l'entreprise où il travaille. Une sorte de Jérômre Kerviel en gentil, en quelque sorte.

En fait, cette légende n'est pas sans ambiguïtés. Pierre-Yves Gomez - dont j'avais bien aimé le livre "la république des actionnaires"ici et ici -  apporte sa contribution au sujet dans un article du dernier numéro de "L'Expansion Entreprenariat", évoquant une notion curieuse qu'il appelle " la bureaucratie de verre".

Ce terme décrit, pour lui," une entreprise principalement tournée vers la production de données économiques et financières pour un usage extérieur à l'entreprise".

C'est l'entreprise que l'on connaît bien, où il faut tout dire, ne rien cacher. Les marchés financiers, les investisseurs, la société civile, tous veulent la transparence totale. Cacher quelque chose serait suspect; on doit tout savoir, comme dans une tour de verre. Et cette bureaucratie de verre s'auto-organise pour que les employés soient au service de cette soif de transparence. D'où les normes, les reportings, les comités de toutes sortes, le management des risques, le contrôle interne. tout doit être aligné; l'horreur, c'est la surprise, l'imprévu.

Les rois de cette entreprise sont le contrôle et la communication des résultats financiers. L'entreprise bureaucratie de verre fabrique des résultats financiers, point.

Pour satisfaire cette fabrication des résultats financiers, le succès de l'entreprise va dépendre de sa capacité d'adaptation. Dans cette conception, tout le monde est susceptible de librement participer, suivant ses inclinations propres, à la réalisation de l'optimal économique. Les "entrepreneurs" de l'entreprise prennent la place des "managers"; C'est le volontarisme entreprenarial qui tire l'entreprise; plus besoin de stratégie cadrée à l'avance; le pouvoir est à l'audace et l'envie d'oser. C'est le résultat qui compte.

Cette vision est néanmoins assez contradictoire avec ce qui se passe réellement. Pierre-Yves Gomez est assez pessimiste sur le sujet, constatant que :

" En dépit des discours, rares sont les organisations qui peuvent vraiment intégrer les pratiques entreprenariales dans leurs processus et les intrapreneurs dans leurs structures de pouvoir".

Peu d'entreprises sont capables de s'offrir le luxe de l'autonomie individuelle et de la prise de risques de ses collaborateurs; et on pense toujours aux mêmes (Google, 3M, la Silicon Valey).

" Attention au mythe de l'entreprise décontractée, où tout le monde travaille les pieds sur le bureau, se tutoie, et invente un produit génial chaque jour".

L'immense majorité des entreprises reste des organisations trés contrôlées; et les activités d'exploration et d'innovation ont tendance à être externalisées. Le schéma fréquent est, pour la grande entreprise, de repérer les start-up à l'extérieur, et de les acheter, plutôt que de nourrir en leur sein ces hypothétiques "entrepreneurs", et d'investir dans des programmes de développement incertains et coûteux.

Cette vision est peut-être un peu trop monolithique, et les situations d'une entreprise à l'autre sont différentes; néanmoins, elle permet de tempérer ces belles histoires d'entrepreneurs que l'on lit dans de nombreux ouvrages et publications.

Et puis, aprés tout, les pieds sur le bureau, c'est peut-être pas obligatoire pour être une entreprise décontractée ?

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