Petits pâtés, charbon, teintures : nourritures d'impressionnistes
17 août 2010
Rouen est en fête cet été, avec une superbe exposition sur les impressionnistes. Laurent Salomé, Directeur des Musées, est allé cherché des oeuvres dans le monde entier, Etats-Unis, Mexique, Japon, Canada, Danemark, en plus des collections du Musée.
De quoi s'en mettre plein les yeux de Monet, Pissarro, Angrand, Gauguin, Boudin,...
Intéressant aussi en parcourant le catalogue et les salles d'exposition d'aller voir d'où viennent ces oeuvres.
Et l'on replonge dans la fin du XIXème Siècle, quand ces peintres aujourd'hui célèbres sont apparus.
Accueil trés froid, voire de dégoût des autorités officielles, oui, les prédessesseurs de Laurent Salomé à la Direction du Musée. Pour eux, cet art des impressionnistes, c'est de l'art de "dégénérés", et les critiques pleuvent : tableaux mal finis, exécutés à la va-vite, en "plein air" (quelle horreur); etc..
Alors, qui sont ceux qui ont soutenu et encouragé ces peintres ? Des entrepreneurs.
Que de belles histoires d'entrepreneurs on apprend grâce aux impresionnistes.
Quelques exemples.
Eugène Murer
A 16 ans, c'est un apprenti pâtissier placé à Paris par sa grand-mère. Il se passionne déjà pour la peinture. A 25 ans, juste aprés la guerre de 1870, il ouvre une pâtisserie boulevard Voltaire; il se met à y vendre des "petits pâtés". Cela fera sa fortune ! (on a du mal à imaginer aujourd'hui comment faire fortune en vendant dess petits pâtés boulevard Voltaire, mais c'est le charme de cette histoire).
Puis il débarquera à Rouen en 1883, y achetant un hôtel.
Il va être un mécène actif de Camille Pissarro, qui séjournera dans son hôtel en octobre et novembre 1883 (à "prix d'ami" on s'en doute), et il organisera des expositions-ventes des tableaux (y compris les siens car Eugène peint aussi, mais n'a pas l'air aussi doué que Monet -rien de lui dans cette exposition) pour les vendre aux voyageurs de passage. Sa collection est riche de Monet, Sisley, Pissarro, Gauguin,..Tout ça pour pas trés cher (en plus, le fin Eugène discute les prix, et tente d'obtenir une remise sur le portrait que fera de lui Pissarro - on peut voir cette oeuvre dans l'exposition, que Laurent Salomé est allé cherché au Musée de Springfield (Massachusetts), mais Eugène n'est plus là pour en discuter le prix (il en serait tout étonné, probablement).
Une autre histoire, celle du charbonnier...
François Depeaux
Sa fortune à lui, c'est notamment le boulet de charbon. Car c'est à cette époque qu'est inventé un nouveau poêle de chaffage, la Salamandre, par un ingénieur, Edmond Chaboche. Le génie de François Depeaux, c'est d'avoir trouvé la bonne taille de noix de charbon de 27/55 mm, celle qui répond exactement au calibrage du combustible requis par ce poêle, ni trop gros pour éviter une température de combustion trop importante pour l'appareil, ni trop petit, la combustion étant dans ce cas trop importante ou trop rapide, avec un rendement faible.
C'est cette petite noix de charbon, entre autres, qui va aussi assurer le chauffage des impressionnistes, et François Depeaux va être un acheteur important des oeuvres impressionnistes. Il achète les Monet en cours d'éxécution, et notamment quelques-une de ces "cathédrales de Rouen" admirables dont on en retouve 11 ensemble, venues là encore du monde entier, dans cette exposition.
Anecdote croustillante, François Depeaux semble avoir eu de la peine à donner sa collection au Musée de Rouen qui l'aurait refusée (pas si sûr à en croire Laurent Salomé qui revient sur cette anecdote dans son introduction au catalogue, et qui la met en doute, mais ce qui est sûr, c'est que c'est pas le fol enthousiasme). Cette collection n'atterrira dans le Musée qu'aprés plusieurs péripéties, notamment un conflit sur le sujet entre François Depeaux et sa femme, qui aurait souhaité gardé la collection en héritage (pas folle !). C'est cette donation Depeaux qui constitue en fait le principal de la collection du Musée de Rouen (merci le charbon !).
Passons maintenant aux teintures...
Lui, il a un nom qui nous dit quelque chose..
Léon Monet
C'est son frère.Encore un homme d'affaires, installé aussi près de Rouen, dans une zone qu'on dirait aujourd'hui "industriel". C'est un industriel, de produits de teinture (on est dans la peinture, mais pas tout à fait la même chose). Lui aussi va être un acheteur des toiles de son frère, trés tôt. Il invite Claude Monet, quand il passe à Rouen , à des diners trés chics avec des industriels et des chimistes. Mais Léon aide aussi Sisley, Pissarro, ..Et se démène pour faire connaître ces impressionnistes à Rouen; dans des expositions diverses.
Le catalogue fourmille de ces histoires d'entrepreneurs, pleins d'audace, à fond dans le développement industriel de cette fin du XIXème Siècle, qui sont à l'origine du développement de cette peinture impressionniste.
Alors que les "officiels", les fonctionnaires, les bureaucrates des administrations, sont à la traîne et ne comprennent que tardivement ce qui est en train de se passer.
Pas de quoi, bien sûr, faire la moindre comparaison avec l'époque actuelle...quoique ?
Il y a encore aujourd'hui par ailleurs quelques uns qui ne manquent pas de rappeler que ces oeuvres d'impresionnistes ont été achetées à l'origine par des pâtissiers, et non la vraie bourgeoisie locale, et qui parcourent l'exposition avec cet oeil critique, comme ICI. Décidément, les entrepreneurs seront toujours, pour certains, un peu suspects...Genre des affairistes qui ne comprennent pas grand chose à la culture, etc..Et puis ces impressionnistes qu'ils ont financé, qui ont bénéficié de la propagande de ceux qui ont acheté leurs oeuvres, ce sont ceux-là qui ont encouragé toutes ces générations de "peintres du Dimanche" qui se sont pris pour Monet en peignant leur jardin...
Raison de plus de saluer cet esprit d'entreprise, en solidarité avec les entrepreneurs d'aujourd'hui.
Cela les encouragera peut-être à acheter des oeuvres d'art (qui sont en plus, grâce à Laurent Fabius, Vice-président de cette exposition de Rouen, exonérées de l'Impôt Sur la Fortune).
Bonjour,
Je me permets de vous informer de la parution le 2 juin 2010 de mon livre sur François Depeaux.
Vous pouvez consulter pour de plus amples renseignements mon site Internet à l'adresse www.francois-depeaux.fr
Avec mes remerciements et à votre disposition.
Rédigé par : Tellier Marc-Henri | 17 août 2010 à 16:57