Les profits tuent ils le capitalisme ?
08 juillet 2010
On l'entend souvent, les entreprises voient trop à court terme, sont obsédées par les profits trimestriels, et n'investissent pas assez dans le futur et le moyen/long terme.
Certains de ceux qui se lancent dans ces tirades ont en tête que c'est l'Etat qui seul peut penser ainsi loin et dans le futur; et vite fait on enchaîne vers une société idéale où on nationalise tout, on met Staline ou Mao aux commandes, et tout baigne. Malheureusement, on a déjà vu Staline et Mao à l'oeuvre, et on a pu constater que ce n'était pas aussi facile que ça.
C'est pourquoi il est d'autant plus intéressant de lire cet article paru cette semaine dans le New York Times, et repris dans le Herald Tribune :"Are profits hurting capitalism ?"; écrit par Yves Smith, auteur du blog Naked Capitalism, et Rob Parenteau, dirigeant d'en société de conseil financier.
Les deux auteurs nous font remarquer que depuis près de quinze ans, les entreprises ont eu tendance à faire plus d'économies, et à investir moins. Ceci concerne les Etats-Unis, comme l'Europe, mais aussi la Chine et le Japon. Obsédées par leurs "quarterly earnings", et de montrer des profits à court terme, elles évitent d'investir dans le futur.
Car c'est sûr, développer de nouveaux produits, acheter de nouveaux équipements, ou se développer géographiquement, ce n'est pas gratuit; il faut claquer de l'argent dans des recherches marketing, dans des consultants, le design de produits, des avocats, bref tout un tas de prestataires et partenaires.
Alors, au lieu de payer toutes ces dépenses, et prestataires, et investissements, les entreprises n'ont-elles pas plutôt tendance à choisir de gonfler les profits, ce qui permet d'affecter l'argent à d'autres destinataires: les actionnaires via les dividendes, les bonus de plus en plus gros des dirigeants, les spéculations financières, qui permettent de faire encore plus de fric avec le fric ainsi sauvé et dégagé...?
On pourrait penser que cela résulte d'un manque d'opportunités d'investissements; car il est forcément préférable de réaliser son bénéfice que de l'investir dans un choix hasardeux; oui, on est d'accord. Mais c'est un peu réducteur, car il est difficile de croire qu'il n'existe plus de domaines d'investissements rentables.
Alors, si les entreprises préfèrent mettre leur argent dans les poches des actionnaires et dans les bonus des dirigeants plutôt que dans l'investissement, à qui va revenir de faire ces investissements ? Les auteurs ont leur réponse : c'est l'Etat et le secteur de l'import-export.
Mais, drame de drame, l'Etat est justement en train d'imaginer l'inverse : moins de dépenses, plans d'austérité, etc..
Résultat prévisible : moins de croissance, les salaires qui baissent, profits qui chutent, baisse des prix, déflation, récession, dépression...
C'est pourquoi Yves et Rob pensent que la solution, c'est d'inciter plus que jamais les entreprises à réinvestir leurs profits dans leur business. C'est une question vitale.
Et la conclusion de leur article vaut la peine :
C'est la poursuite d'une croissance rentable qui a été le meilleur moteur de la prospérité depuis la révolution industrielle. Aujourd'hui, les dirigeants des entreprises sont récompensés pour leur myopie et leur spéculation, minant ainsi le vrai capitalisme. Nous avons besoin de régulation pour empêcher ce développement destructeur; et reconnaître que les déficits de l'Etat ne font que compenser l'argent économisé, et non investi, par les entreprises. En ce sens, ces déficits sont considérés par nos deux auteurs comme nécessaires et salutaires.
C'est sûr que cet article, à l'heure où l'on entend à longueur de journée notre gouvernement et nos politiques clamer le besoin de réduire drastiquement la dépense, et où l'on constate que les profits redistribués en bonus et dividendes enflent, ne peut que nous aider à être un peu moins les moutons bêlants abrutis par la pensée unique.
Cet article nous fait revenir au fondamental : ce qui fait le développement du capitalisme et de l'entreprise, au sens de l'entrepreneurship, c'est d'abord la prise de risque et l'investissement.
Et oui... Mais attention à l'inverse. Les startups innovantes ont souvent tendance à ne faire qu'investir dans l'avenir sans prendre le temps de faire du chiffre et de servir les clients actuels...
Rédigé par : Romain Cherchi | 08 juillet 2010 à 21:58
C'est donc de vision dont il est question? Laisser tomber le sacro saint principe de précaution pour enfin croire en l'avenir...
Rédigé par : Franck Joseph-Maurin | 15 juillet 2010 à 21:04
Bel été placé sous le signe de la littérature et du bien-être. Pascal, journaliste et auteur.
Rédigé par : Djemaa Pascal | 17 juillet 2010 à 10:03