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Etat mais pas trop

Leviathan Ce matin, les anciens élèves HEC recevaient un hôte qui nous a étonné.

Quand on lui demande si, à son avis, il faut plus d'Etat dans l'économie française pour faire repartir l'économie, il répond :

" Non, je suis convaincu que moins il y a d'Etat, plus l'économie est performante".

Il est pour plus de régulation, mais moins d'Etat, moins d'interventions, et les interventions ne sont légitimes que si elles pallient un manque.

L'étonnant n'est pas dans le propos; on a déjà entendu ailleurs cette chanson libérale.

L'étonnant est dans l'auteur : Augustin de Romanet, Directeur général de la Caisse des Dépôts, incarnation s'il en est de l'intervention de l'Etat, et investisseur plutôt éclectique (y compris dans Quick, qu'il a justifié par un espoir de retour sur investissement prometteur...).

Le genre de déclaration qui laisse songeur.


Femme de marin

Barbara Cette chanson de Barbara me revient en tête quand on parle du sujet...

"Je n'ai pas la vertu des femmes de marins"...

Une de ces phrases chef-d'oeuvre qu'on n'oublie plus. 

 Le sujet, c'est la vertu.

Ghislain Deslande, professeur à l'ESCP, y consacre un article dans le dernier numéro de "L'Expansion Management" de Juin 2010 : Ethique des organisations : le retour de la vertu.

De quoi s'agit-il ?

Dans l'entreprise, on a longtemps parlé de "déontologie", avec des "chartes de déontologie" pour l'affirmer. La profession de consultant n'échappe pas à cette sauce, le SYNTEC s'honorant de faire signer une telle charte à ses membres.

Ghislain Deslandes ne croit pas trop à ce qu'il appelle le "déontologisme" :

" Pour le déontologie, que l'on rattache traditionnellement à la philosophie d'Emmanuel Kant, est moral celui qui, sur un plan personnel, respecte les règles prescrites, sans avoir le souci des conséquences directement ou indirectement induites par ses actions".

Cette conception amènerait ainsi par exemple celui à qui l'on proposerait de sauver la vie de cent personnes innocentes en en tuant une, elle aussi innocente, à refuser cette proposition au nom précisément de cette règle déontologique que rien ne justifie la mort d'un innocent, même pas la survie de cent autres.

Plus concrètement, la posture déontologique est construite sur ce que l'on pourrait appeler le sens du devoir, l'obéissance à une règle.

Or, dans l'entreprise aujourd'hui, il est de plus en difficile de prévoir les règles et les devoirs permettant de trouver le bon comportement et la bonne réponse à toute situation. Et puis, ça fait pas trés responsabilisant.

Donc, même si quelques règles déontologiques peuvent être utiles, à condition de trouver les moyens de les faire respecter, une autre notion prend le relais, plus puissante et plus profonde : la vertu précisément.

Là, on quitte Kant pour Aristote.

il ne s'agit plus de fixer des règles que chacun doit appliquer, mais de considérer l'individu lui-même, le manager, le collaborateur.

Comme le souligne Ghislain Deslandes :

" Un agent vertueux est celui qui produit en lui-même l'impératif catégorique que les disciples de Kant imposent à tous et à chacun".

" L'agent devient l'investisseur de sa propre règle de vie. Et dans chaque situation de vie il trouve, en lui-m^me, la réponse qu'il convient de donner. Le contournement de la règle n'est plus possible, puisqu'elle est consubstantielle à l'individu, véritablement authetique, jamais imposée. Ainsi l'éthique n'est-t-elle plus une série d'actes à faire ou à éviter, mais un accomplissement de soi dans le dépassement de ses conflits intérieurs".

Cette conception a effectivement un sens plus individuel, chacun faisant don propre parcours pour satisfaire son aspiration à la vertu.

Reste à déterminer, et l'auteur y consacre une partie importante de son article, ce qui constitue ces "vertus managériales"..Le choix est vaste.

C'est là que l'on en revient à des valeurs universelles, qui peuvent être retrouvées dans Aristote.

Il est certain que c'est une démarche qui n'est jamais aboutie, car il paraîtrait bien arrogant celui qui oserait dire que l'orientation de sa vie professionnelle montre de façon certaine un usage permanent des vertus.

La première vertu que nous suggère Ghislain Deslandes, c'est la "parrêsia", c'est àdire la franchise. Elle est une question de relation à autrui et une mise à l'épreuve de soi-même.

" Relation à autrui dès lors qu'il s'agit, en lui communiquant le vrai, d'affranchir celui qui écoute pour lui donner les moyens d'être autonome dans son jugement. Relation à soi-même, dans la mesure où, comme une première exigence pour celui qui ambitionne de diriger, il convient de dire courageusement aux autres la vérité sur soi".

L'autre vertu managériale que Ghislain Deslandes identifie comme décisive et qui se rapporte directement à Aristote est le concept de "phronésis", qui désigne à la fois la sagesse, la prudence, la maîtrise de soi et le jugement.

Elle est cette vertu qui :

" suppose une capacité à se nourrir de l'expérience accumulée, d'être capable aussi de se soustraire à sa propre activité pour mieux en rendre compte, de se distinguer soi-même de son "oeuvre"."

"Car l'homme vertueux se "gère" en permanence, il ne s'emporte pas, il exerce une souveraineté sur lui-même en sachant se distinguer du monde dans lequel il évolue".

Être un manager vertueux, c'est aussi difficile que d'être la femme de marin que nous chante Barbara...

Allez, on l'écoute, ok ? ( femme de marin à 2:23 mn).