Plans d'action, d'action, d'action....
20 février 2010
Une rencontre, cette semaine, qui m'a marqué.
C'est le Directeur Europe d'une Division d'un grand groupe industriel. Il est en plein marasme, comme beaucoup d'autres à la même place que lui, dans des Divisions de grands Groupes industriels du même genre : l'activité a baissé vertigineusement en 2009, de 20 à 40% selon les pays et les segments de produits. Il a préparé le Barco, il pilote tout depuis son ordinateur. Il me montre la courbe à l'écran, ça ressemble à une piste de ski de Vancouver...C'est en bleu, en rouge, en noir, il y a des chiffres autour, en-dessous, au-dessus; et derrière ces chiffres, il y a des emplois qui sautent, des managers qui se font sortir.
Quel âge a-t-il, lui ? un âge suffisamment mûr pour être sur la sellette quand les résultats ne sont pas là. Je le sens anxieux, en sur-activité, on pourrait dire stressé. il me reçoit en retard, aprés m'avoir fait attendre dans le couloir environ un quart d'heure; il parle dans son bureau; j'attend.
Il vient de faire un "road show", comme il me le dit. Cela a consisté à rencontrer les cadres dans toute l'Europe, avec ces courbes noires et rouges sous le bras, dans la clé USB, et les Powerpoint qui expliquent bien tout. C'est impressionnant.
Il est en chemise, plutôt agité, on dirait qu'il a chaud (au propre et, je pense, au figuré). Il agite sa jambe droite, un peu comme lui (lui, c'était la jambe gauche), il me fait penser à lui d'ailleurs.Il s'agite beaucoup, tout est rapide. Il connait tous les chiffres, tous les détails par coeur; le discours est nickel; Regardez, j'ai tout prévu, j'ai compris; et en même temps je sens comme une angoisse. C'est physique.
Puis il me présente les "plans d'actions" : il y en a partout; plein de couleurs, des noms anglais, ça s'appelle "Fast ". L'idée, on le comprend vite, c'est de redresser la barre; mais au fur et à mesure que le chiffre d'affaires s'effondre, même en réduisant les coûts de plusieurs millions d'euros, on reste en pertes. Et le budget 2010 est en pertes. Alors le programme "Fast ", avec des économies ici, des réductions là, on se retrouve à l'équilibre. Il me débite ces slides à toute allure, moi aussi je fais partie du "road show". J'ai le sentiment d'entendre quelqu'un en détresse, mais qui veut sauver la face.
Et puis il se calme un peu, et vient la question : "peut-être qu'il existe encore quelque chose à laquelle je n'ai pas pensé, qui existe dans une entreprise qui ressemble à la mienne, alors, vous, le consultant, si vous me dites ça, ça m'intéresse que vous me le disiez; d'ailleurs j'ai déjà parlé à d'autres consultants...". Je suis le consultant; il me toise; il me demande un miracle, une nouvelle action qu'il pourra jeter dans son plan d'actions multicolore, une solution à laquelle il n'a pas pensé..Je n' arrive pas à en placer une. Il attend quoi ? que je sorte un miracle ? Pourquoi m'a-t-il proposé cette rencontre ? pas pour me parler de lui, ni de ses ressentis; non, il cherche LA solution. Il a l'air tellement stressé. Je lui souris en me tournant vers lui, délaissant l'écran où brillent les courbes qu'il vient de me commenter. Je lui aurait presque mis la main sur l'épaule; mais je sens que ce n'est pas le moment; un consultant, pour lui, c'est une sorte de machine à solutions. Pas de sentiments entre nous.
Et puis il me précise que là on n'a plus le temps, il a autre chose, une nouvelle épreuve qui l'attend; on peut se rappeler par téléphone la semaine prochaine. Et sa jambe continue de remuer comme un mécanisme automatique.
Il s'agite encore, il appelle autour de lui; il a un rendez vous, encore.
Je me lève. Je lui dit merci.
Bon, je lui dois un retour; oserais-je lui dire les sentiments qui m'ont parcourus pendant cet entretien qui n'en était pas un.
Et puis-je vraiment l'aider ?
En tout cas, je ne vais pas lui sortir le truc magique de l'entreprise qui a trouvé un truc auquel il n'a pas pensé.
Peut-être devrait-il juste se reposer un peu.
Même les patrons, surtout les dirigeants managers, sont en stress en ce moment.