La Chef est parano
Charme

Papillon blanc

Papillon2  La question de l'identité de l'entreprise est un sujet qui revient régulièrement.

Car une entreprise, ça ne peut pas se résumer à des objectifs financiers, des taux de croissance, des parts de marché.

Il se pose aussi la question : qui sommes-nous ? qui voulons-nous être ? C'est quoi notre différence, ce qui nous rend unique.

Question d'autant plus compliquée quand on s'aperçoit que les réponses que nous avons données hier et parfois encore aujourd'hui à ces questions, ne pourront plus être les mêmes demain. Tous ceux qui sont confrontés à des ruptures technologiques connaissent bien ces sujets. Cela ne concerne pas que les entreprises de technologie, mais aussi, par exemple, celles qui évoluent dans les secteurs de l'énergie (aprés le pétrole, il y a quoi ?), l'automobile (est-ce que ça va marcher, la voiture électrique ? et quand ?), les transports publics (c'est quoi le métro du futur ?). Tout le monde s'y met.

 Mais pour l'entreprise, l'identité, ça ne peut pas se résumer non plus à un choix de positionnement stratégique guidé par une unique préoccupation : où est-ce qu'il y a le plus de fric à se faire ? Là, on ne parle pas d'identité, mais d'opportunisme.

Non, l'identité, l'individualité, de l'entreprise, ça parle plutôt de ses valeurs, de sa vocation, de ce qui fait, allez, osons, son âme.

C'est sûr que de l'âme de l'entreprise, on ne parle pas souvent.

Comment s'approprier ce mot ?

Le plus simple est d'aller fréquenter ceux qui ont passé leur vie à s'occuper de leur âme, c'est à dire les auteurs mystiques.

Un de mes préférés, c'est Sainte Thérèse d'Avila, et son "château de l'âme".

Sainte Thérèse a écrit ce livre, comme un témoignage, en six mois, en 1577, depuis le Carmel où elle résidait, prés de Séville.

Elle y décrit une vision, celle ôù l'âme est représentée par un château divisé en sept demeures, qui correspondent aux sept degrés de l'oraison ou de l'intimité avec Dieu. L'âme doit ainsi parcourir ces sept demeures l'une aprés l'autre pour atteindre la demeure suprême au plus près de Dieu.

Ce qui est éblouissant dans ce livre, c'est de parcourir ces sept demeures, avec les descriptions des sensations et émotions de Sainte Thérèse dans sa vision du parcours à accomplir pour élever son âme.

La première demeure est décisive, puisque c'est celle où l'on passe de l'extérieur à l'intérieur du château. C'est l'image du moment où l'on passe du monde des "affaires", le monde matériel, représenté par une forêt pleine de serpents, à ce château de l'âme, l'endroit où l'on va s'occuper de soi, où l'on va lever les yeux vers un but qui nous appelle et nous dépasse. La première demeure de ce château n'est que le début du parcours, mais elle marque un profond changement. Cette demeure, pour Sainte Thérèse, c'est celle de "la connaissance de soi". Car pour atteindre un but plus élevé, il est nécessaire de prendre conscience d'où l'on part.

Le rapport avec notre sujet de l'entreprise peut paraître bien lointain, voire sacrilège...

Néanmoins, cette connaissance du point de départ, cette capacité à se livrer à un dagnostic sans complaisance, ça nous parle aussi de stratégie.

Et cette vision qui nous appelle, qui vient chercher notre âme, c'est cette sensation qui nous fait voir loin et nous donne envie.

De demeure en demeure, les métaphores vont se multiplier, et, avec un sens poétique certain, Sainte Thérèse nous fait sentir combien ce parcours est exigeant, douloureux, et comporte toujours le risque de retourner en arrière.

Arrivés à la cinquième demeure, elle utilise la métaphore de la chenille qui devient papillon : une rupture forte se produit; l'âme se fait "petit papillon blanc". Mais ce papillon n'arrive pas à s'habituer, il ne trouve pas le repos; il ne sait "ni où se poser, ni où se fixer". " Désormais, il ne compte pour rien les oeuvres qu'il a accomplies, quand il n'était qu'un simple ver et formait peu à peu le tissu de sa coque. Les ailes lui ont poussé; comment se contenterait-il de marcher à pas lent lorsqu'il peut voler ?".

Ce moment où l'on ne veut plus marcher à pas lent, où l'on veut voler, mais où l'on se sait pas où se poser, ce mouvement de l'âme vers une autre dimension, quelle jolie métaphore. Mais Sainte Thérèse nous fait aussi participer aux émois de ce papillon qui veut voler, mais se sent enchaîné.

Alors la sixième demeure va lui faire connaître une autre sensation : le"vol d'esprit". C'est ce moment où l'on se sent décoller, porté et protégé.

Sainte Thérèse aborde sa vision de la septième demeure avec humilité, car elle est persuadée qu'elle n'est elle-même pas encore parvenue à cette demeure, et peut-être même pas à la sixième. Ce qui ne peut que nous rendre humble à notre tour dans notre propre quête.

Cette septième demeure, c'est celle du mariage divin, celle où "notre petit papillon est mort dans une allégresse indicible".

On l'a compris, ce château de l'âme que Sainte Thérèse nous invite à visiter, c'est notre château intérieur, celui où l'on peut entrer et se promener à toute heure. "Nous pouvons considérer l'âme non comme une chose qui est dans un coin et à l'étroit, mais comme un monde intérieur où trouvent place ces demeures si nombreuses et si resplendissantes".

Oui, s'imerger et se laisser porter, lâcher prise, dans ce voyage dans le "château de l'âme", c'est un merveilleux moment pour porter ses regards, sa générosité, vers un but qui nous dépasse, qui nous appelle, plusque nous le visons avec précision.

Parler d'identité, de soi-même, de l'entreprise, d'une organisation, c'est cette remise en cause, cette confrontation avec le château. Le plus grand courage est de franchir la porte, de laisser les serpents, pour parcourir ces demeures nombreuses et resplendissantes.

Pour ceux qui manquent d'idéal, qui voient tout en gris, qui n'ont plus d'inspiration pour eux-mêmes, leurs équipes, leur entreprise, un voyage dans le "château de l'âme" constitue un excellent remède.

Alors, ouvrez la porte...la visite peut commencer....

Commentaires

konan arsene

je trouve votre article très enrichissant;
Merci de nous en produire d'avantage

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