Les nouveaux Princes
25 janvier 2010
Les chefs d'entreprises sont-ils les nouveaux Princes ?
C'est l'opinion de Dominique Reynié, Professeur à Sciences Po, entendu la semaine dernière lors d'une manifestation organisée par l'ESSEC-ISIS.
Pour lui, la conception d'un monde régulé par les Etats, pouvoir suprême, souverain, au-dessus desquels il n'y a rien, aucun pouvoir (c'est la définition du terme "souverain"), c'est fini.
Sa thèse est simple à suivre.
Aujourd'hui, la puissance politique s'est déplacée vers la société civile et les entreprises.
Ainsi les entreprises sont devenues des entités non plus seulement économiques, mais politiques. Quand Google parle avec l'Etat chinois pour savoir si il va rester en Chine, il fait un acte politique. Quand l'Etat français et la BNF tentent de contrecarrer les ambitions de Google sur la numérisation des bibliothèques, c'est de la politique.
Conséquence pour les entreprises : on ne leur demande plus dde vendre des produits, de satisfaire leurs clients, de faire du profit. Non, on attend maintenant de l'entreprise qu'elle soit capable de rendre des comptes sur l'égalité sociale, la parité, l'équité des rémunérations, la diversité, la protection de la planète,...
Quand l'entreprise veut innover, pour conquérir de nouveaux marchés, de nouveaux clients, ou améliorer la qualité ou le service aux clients, elle doit, aux yeux des citoyens, se justifier en tant qu'entité politique sur des critères complètement extérieurs à l'entreprise : l'utilité sociale de l'innovation, l'effet sur l'emploi, sur la santé, sur l'écologie,.
Le jugement que l'on porte sur l'entreprise est ainsi devenu complètement politique.
Ces nouvelles exigences qui pèsent sur l'entreprise lui demandent ainsi de rendre des comptes devant un auditoire qui dépasse complètement ses actionnaires, ses clients, ou même ses employés. C'est la société toute entière, l'homme de la rue, qui se donnent le droit de juger, de sanctionner, l'entreprise et ses dirigeants. Si l'on n'aime pas les produits, on peut casser la vitrine du MacDo; si je pense que tes fournisseurs de tes fournisseurs sont des pollueurs, je met le feu à ton usine, etc...
On pourrait ajouter le droit du citoyen vis-à-vis des salaires, des bonus, des dirigeants, et pourquoi pas bientôt des cadres, des employés ( tous des Proglio en puissance, chacun à son niveau). L'entreprise déshabillée par l'opinion publique. Ses décisions soumises au tribunal du Peuple. Un nouveau modèle en effet, qui n'est pas forcément trés rassurant.
On en arrive à faire peser sur l'entreprise, la responsabilité des conséquences de toutes ses innovations, même celles ( et surtout) qu'elles ne peut pas prévoir. Et donc, diriger l'entreprise aujourd'hui, c'est faire de la politique, plus que jamais; c'est poser son discours, ses actes, comme un discours et des actes politiques.
C'est pourquoi pour Dominique Reynié, les chefs d'entreprise sont assimilés à de nouveaux Princes, référence implicite à celui de Machiavel.
Faudra-t-il alors relire Machiavel pour pouvoir diriger ainsi les entreprises d'aujourd'hui ? Dominique Reynié a arrêté là sa démonstration. Mais c'est une piste intéressante à poursuivre.