Pendant que l'herbe pousse le cheval meurt de faim
22 novembre 2009
C'est Hamlet qui s'exprime ainsi à l'acte III de la célèbre pièce de Shakespeare. Pièce dont on peut voir une version déstructurée, mais avec le texte intact, au théâtre de l'Odéon, sous le nom "Hamlet Cabaret", dans une mise en scène de Mathias Langhoff. Attention, ça dure quatre heures et demi, accrochez-vous.
Mais l'expérience est unique. Cela finit le 12 décembre. Dépêchez-vous.
Nous sommes accueillis dans une ambiance de cabaret; les fauteuils à l'orchestre sont remplacés par des tables de cabaret; c'est là bien sûr que j'étais assis; on peut même trouver des places quasiment sur la scène, au milieu des acteurs. A un moment, il y a distribution de bière danoise. Bref, c'est Hamlet, toujours la tragédie, to be or not to be, mais c'est l'ambiance cabaret.
Cette expérience, je l'ai partagé avec plusieurs collaborateurs de mon entreprise. C'est ma façon de proposer des moments de culture générale aux collaborateurs. (oui, je suis comme ça; j'ai plus de plaisir à offrir Shakespeare à mes collaborateurs que, par exemple, une soirée bowling).
Pour avoir les avis sur cette mise en scène, on peut lire ça (pour les contre), ou ça (pour les pour, comme moi).
Mais revenons au texte, et à cette réplique qui reste à trotter (l'image est de circonstance) dans la tête.
Revenons au contexte : Hamlet c'est le fils de son père,roi du Danemark, celui-ci a été assassiné par son frère, qui est ainsi monté sur le trône, et la mère d'Hamlet est devenue la maîtresse , la femme de ce frère usurpateur et criminel, et donc la reine. Vous suivez ?
Cet assassinat; et le nom du coupable,c'est le spectre du père d'Hamlet, revenu pendant la nuit, qui le lui révèle.
Hamlet est ainsi celui qui se sent appelé par cette situation; comme il le clame "mon destin crie".
Hamlet qui se trouble, qui devient fou. Et la magie du spectacle de Matthias Langhoff c'est de nous faire sentir que, plus Hamlet est fou, plus ce sont les autres autour de lui que nous prenons pour fous, et plus, lui, il nous paraît le seul en état de veille.En cri. Souvent il nous fixe, debout, en avant, et nous autour de nos tables de cabaret, presque frissonnants. "To be or not to be"...
Hamlet qui avoue son trouble à un courtisan Rosencrantz, qui l'interroge sur la "cause de votre trouble".
Et Hamlet qui répond : " Je voudrais de l'avancement". Et Rosencrantz surpris : " Comment est-ce possible quand vous avez la voix du roi lui-même pour lui succéder au Danemark ?".
Et c'est là la réplique :
" Oui, Monsieur, mais en attendant que l'herbe pousse, le cheval meurt de faim".
C'est d'impatience dont on parle, de cette attente, de ce temps qui passe, et pendant lequel on n'est pas en action.
Ce qui nous bouge, comme Hamlet, dans cette réplique, c'est ce sentiment que l'attente nous empêche d'être dans l'action. Pourquoi attendre que l'herbe pousse, que quelque chose se passe, au lieu de foncer, de prendre ses responsabilités, de se lancer dans l'action.
Ce sentiment d'Hamlet, il appelle à l'action. Et l'on a envie, comme nous le rappelle Matthias Langhoff dans ses notes préparatoires du spectacle, de "rassembler tous nos sens, entendre avec les yeux, voir avec le nez, sentir avec les oreilles".
Ce sentiment du cheval qui meurt de faim, c'est celui de changer le monde, d'être l'acteur de son destin. C'est de cet "avancement" dont chacun, et tous collectivement, nous rêvons. C'est cette capacité de rêve, et de faire rêver les autres, qui fera sortir de ce que les plus pessimistes appellent la "crise".
Ce sentiment de conquérant, d'ambition, de dépassement, de noblesse, c'est la folie d'Hamlet, mais aussi sa grandeur..
Elle renverse tout, c'est comme une soirée bowling finalement....
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