La vie n'est pas faite que de pouvoir
Pendant que l'herbe pousse le cheval meurt de faim

Grandeur inspirée

Jardin L'Ecole de Paris du Management recevait cette semaine Jean-claude Ellena, parfumeur en titre d'Hermès, créateur renommé et passionnant à écouter.Ils ne sont pas nombreux, parmi les parfumeurs, à communiquer ainsi.

Ce qui a attiré l'attention, c'est que les créations qu'il fait ne sont pas confrontées à des études de marché ou à des tests de consommateurs pour déterminer le parfum à lancer. Il est un pur créateur qui crée "une histoire avec des odeurs". Pour "écrire" (c'est comme ça qu'il parle), par exemple,  le parfum "Un jardin après la mousson" dont il nous a parlé longuement, il est allé sur place, en Inde, dans le Kerala, pour sentir l'ambiance, cette atmosphère pure après la mousson, avec cette humidité. Il a voulu rendre une odeur qui ferait penser à l'eau (une gageure quand on sait que l'eau n'a pas d'odeur). C'est plutôt l'émotion de sentir l'eau qu'il a recherché. C'est, comme il nous l'a dit, une démarche sincère. C'est l'inspiration pure qui le guide.

Quand on lui demande comment il fait pour toucher juste, pour rencontrer l'air du temps (car ses parfums sans études e marché, inspirés, marchent plutôt bien - sinon Hermès lui ferait peut-être moins confiance- exemple "Eau d'Hermès" est le troisième parfum masculin), il dit simplement : "je ne sais pas; je suis un intuitif autodidacte". Pur génie inspiré.

Comme il le dit lui même, "le prix de ma liberté est le prix de ma réussite". Et pour convaincre sa Présidente et la Directrice Marketing d'Hermès, il faut qu'il construise l'odeur qu'il écrit en même temps que le discours qui l'accompagne.

90% de ce qu'il crée est rejeté, non pas par la Présidente, et encore moins, on l'a compris, par le consommateur. C'est lui qui est son juge le plus exigeant. Il ne se tolère rien qui ne soit pas au niveau où il veut être, et qui capturera son époque.

Son secret, c'est que ses parfums soient "lisibles", qu'il soient dans son style (simple et élémentaire), qu'on puisse les "lire" comme il les a "écrits". Et parce qu'on peut les "lire", on peut y prendre du plaisir.

Et ce sont des parfums "évolutifs" qui changent avec le temps comme change celui ou celle qui les porte, ils laissent de la place à celui qui le met sur lui (et non, comme ces parfums envahissants et dits "stables" qui vous envahissent au point de vous faire disparaître derrière eux).

Bien sûr, en écoutant ces propos, comment ne pas essayer de transposer tout ça de façon plus générale pour réfléchir sur le processus de création,et d'innovation dans nos entreprises, au-delà du parfumeur.

Cette grandeur inspirée, qui nous rend grand parce qu'on a accès à une intuition particulière, c'est celle dont parle Boltanski et Thévenot, dans leur analyse des "économies de la grandeur". Le monde inspiré auquel correspond cette forme de grandeur, c'est celui ou la routine, l'habitude, la reproduction de ce que fait tout le monde, est rejeté comme "petit"; la grandeur inspirée, c'est le monde de l'aventure intérieure, d'un chemin personnel qui part de l'intérieur. C'est ce dépassement de soi-même, ce langage différent, qui donne accès à un monde différent, qui ne n'est pas accessible aux sens, mais se révèle par des signes.

Toute cette dimension inspirée, c'est exactement l'inverse d'un autre monde, "le monde de l'opinion", celui des sondages, des consensus, de la multitude. Et la confrontation de ces deux mondes est précisément analysée par Boltanski et Thévenot.

Avec Jean-Claude Ellena, nous étions bien loin de ce monde de l'opinion, et complètement baigné dans le monde de la grandeur inspiréé.

Car même en étant le troisième du marché, "Terre d'Hermès" représente environ 3% du marché; il s' agit donc de plaire à une personne sur cent (et non à une multitude). Jean-Claude Ellena nous l'a dit, pour lui, quand on lui présente une femme qu'il ne connaît pas avec des critères marketing (elle a 35 ans, deux enfants, vit en ville,...), pour lui, cette femme, elle n'a pas d'odeur. Rien à voir avec sa conception de l'inspiration.

Un bon moment pour réfléchir et sentir avec cette conviction qui l'anime. Nous sommes bien sûr repartis avec des cadeaux, dont ce "jardin aprés la mousson" que nous avions tous envie de "lire" aprés les explications simples et sensibles de l'auteur.

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