J'avais, il y a quelque temps, publié le "rapport d'étonnement" d'Arnaud, qui découvrait horrifié la vraie vie du manager dans ce qu'il appelait sa GBQPB.
C'est vrai que l'on trouve souvent dans ces témoignages des réalités qui nous éloignent des discours convenus sur le management.
C'est précisément le sujet d'un livre que m'a envoyé Tannguy Le Dantec, éditeur des Editions COOPIL, qu'il vient de publier : "La vraie vie des managers". (Oui, maintenant, mon blog me fait "trendseter" des livres de management).
L'ouvrage est original. Il présente des situations du quotidien des managers qu'on appelle "de terrain", c'est à dire ces managers qui sont confrontés aux clients, aux petits problèmes dont les dirigeants n'entendent jamais parler, et qui, dans des situations parfois difficiles, doivent se débrouiller tous seuls. Ces situations sont racontées par les managers eux-mêmes; c'est pas de la grande littérature; comme on dit, "ça sent le vécu".
En préambule de ces récits témoignages, une citation d'un dirigeant (qui ressemble souvent à une belle langue de bois), et en commentaire, un "expert", Jacky Chollet, qui ajoute sa perception au récit.
C'est donc à une série de "brèves" de "vécus", racontés par d'illustres inconnus, que nous convie ce "livre".
Les sujets sont assez banals : Donner du sens, anticiper, motiver un collaborateur, déléguer, écouter son équipe,...Mais correspondent à des situations habituelles (on dirait Caméra Café, en plus dramatique, car c'est Caméra Café en vrai, et on rigole moins). Car ils montrent souvent des situations où un dirigeant ou un super manager incompétent, vient casser la motivation du manager de terrain.
Jacky Chollet fait remarquer, dans l'introduction, que l'approche trés anglo-saxonne qui conçoit le management comme une série de techniques et de procédures qu'il suffirait d'apprendre dans les livres ou les formations, est un véritable danger, qui tend à réduire l'homme à une série de mécanismes élémentaires. Alors que ce qui fait la qualité du management c'est souvent le bon sens. Et ce bon sens, on a l'impression que les entreprises en manquent souvent.
Un des récits est particulièrement cruel; c'est celui de Sabrina. Jeune manager dans son entreprise, elle subit les injures et grossièretés d'un de ses collègues "manager". Elle l'entend parler d'elle dans son dos "quelle conne; quelle emmerdeuse"...et par contre, devant le Directeur, il est muet et respectueux.Elle essaye de se débattre; elle envoie finalement un mail pour se plaindre de ce collègue; et elle est licenciée..Cela rappelle le témoignage de Marie Pezé dont j'avais parlé.
Ce qui frappe, c'est que le Directeur de ces managers est complètement absent; idem toute Direction des Ressources Humaines. Sabrina est toute seule avec son horrible histoire.Et cet odieux collègue peut agir comme il le veut.
Autre histoire incroyable, celle de Laurence, qui travaille dans une entreprise où la situation économique se dégrade. Les perspectives ne sont pas bonnes. Elle fait de son mieux, tente de tenir face à ses collaborateurs. Un soir, alors que la Direction est partie, elle quitte l'entreprise et se retrouve face à un de ses collaborateurs, excédé, se plaignant de son salaire, qui la menace de violences. Là encore, comme on la sent seule Laurence.
Il y aussi des récits plus heureux, ceux de managers qui s'en tirent plutôt pas mal dans des situations où ils doivent faire prendre une décision par leur équipe, ou mener des entretiens d'évaluations.
Mais là encore,c'est souvent la grosse débrouille, le manager face aux décisions est seul.
Est-ce que ce livre servira les managers qui le liront ? Pas sûr car il ne fournit aucune méthodologie, ou recettes pour s'en sortir. Par contre il permettra à certains de se reconnaître dans Laurence, Sabrina ou Cyprien, et se sentiront donc moins isolés, peut-être.
Ce que nous dit ce livre, c'est aussi que que l'état et la qualité du management, à tous les niveaux, est clé pour la performance de l'entreprise, et qu'ils sont souvent défaillants. Quand on parle de performance on pense tout de suite aux process, à l'organisation, à la stratégie, mais l'état du management, on fait comme si cela allait de soi. Le simple fait qu'il existe des managers et des Directeurs suffit, pour certains, pour croire qu'il n'y a plus de problèmes. Pourtant, ce n'est pas parce que tel individu s'appelle "Directeur" ou "manager" que son comportement, sa capacité à motiver les collaborateurs qu'il encadre,sont au top.
Le livre présente un autre cas d'un Big Boss d'une entreprise de 120.000 personnes qui visite un Département Système d'Information et qui, répondant à une question, explique que les SI, c'est pas stratégique, par rapport aux produits de l'entreprise..Ambiance ! Tous les collaborateurs démotivés, affolés, et leur manager, qui avait préparé cette visite avec excitation, qui n'en peut mais. On me racontait cette semaine une histoire identique d'un Directeur visitant un des centres d'appels sous sa responsabilité, et se contentant d'y passer quelques minutes au pas de charge, sans parler à personne...Là, encore, motivation assurée des équipes.
Et l'on pense aussi, en lisant ce livre, aux futurs managers : un collaborateur cadre qui entre dans l'entreprise a souvent un bagage scolaire, acquis dans de grandes écoles; il va apprendre les techniques, un métier, dans l'entreprise qu'il rejoint. Mais qui va lui apprendre le management ? Et comment ?
Ce management, c'est d'abord le management de soi-même : identifier dans quelles situations il trouve les réponses, et dans quels cas il doit changer son style, ses manières.
La responsabilité de l'entreprise, de ses dirigeants, de ses managers, c'est aussi celle-là. Les collaborateurs ne seront les managers de demain qui feront gagner l'entreprise que si l'acquisition et la transmission de ces compétences et savoir-faires sont prises au sérieux.
Et pour le candidat dans une entreprise, vérifier qu'il trouvera bien, chez son futur employeur, cette formation et cette transmission, est vital, au sens propre; sans qualités de management, aucune carrière ne sera possible pour lui. L'entreprise, et ses dirigeants, vus ainsi, sont les offreurs de talent de management; C'est leur responsabilité.
Le manager qui s'en sortira sera celui qui s'occupera de son projet personnel de développement avec attention, et qui le confrontera en permanence à ce que lui apporte l'entreprise dans l'acquisition des compétences vitales de management. Et l'entreprise qui dépassera les autres le devra notamment à l'attention qu'elle portera à ces sujets de développement des qualités de management de ses collaborateurs.
On l'a compris, la lecture de ces vraies vies de managers ne peut que sensibiliser ceux qui pourraient encore en douter.