Previous month:
septembre 2009
Next month:
novembre 2009

Cruel séminaire à Chantilly

Chantilly Les séminaires d'entreprises, on n'en parle pas trop d'habitude. Ce sont des cérémonies assez secrètes, pour rassembler des collaborateurs sélectionnés, et réfléchir en-dehors du lieu de travail habituel.

Alors, quand on en parle dans les journeaux, c'est inhabituel.

Il faut dire que là, c'était le séminaire des cadres de TF1, et tout le monde en parle.

Que s'y est-il passé ?

Le Figaro, de vendredi, sous la plume de Enguerand Renault nous raporte que :

" Le fameux séminaire de Chantilly. Devant une centaine de cadres, les deux hommes ont laissé éclater leurs divisions".

Ces deux hommes, ce sont le PDG, Nonce Paolini, et celui qu'il a embauché lui-même comme Numéro Deux, ou Numéro Un Bis, il y a peine six semaines, Axel Duroux.

Et c'est quoi le différent qu'ils affichent devant ces cent cadres aux aguets ?

" A Nonce Paolini qui estimait que l'audience de la chaine était arrivée à l'étiage à 27% de part d'audience, Axel Duroux a répliqué qu'il ne fallait pas s'en contenter et qu'il fallait partir à la reconquête des 30%".

Quel cruel séminaire de se renvoyer ainsi à la figure les objectifs. Et qui dira ce que valent de telles exhortations à la part d'audience. En plus, les cadres ont voté !

"  Le malaise s'est épaissi lorsque les cadres présents ont exprimé par un vote leur désaprobation sur la stratégie du groupe".

Drôle d'idées cette histoire de vote des cadres sur la stratégie...ça doit être l'effet Star Academy...

Malheureusement, la Star Ac a renvoyé la stratégie.

Et puis un représentant syndical était là aussi, et ses propos sont repris dans le journal : c'est un certain Jean-Pierre Pernaud, qui reproche de "parler plus de stratégie que de contenu"...Oui, la stratégie, c'est moins bien que le contenu !

Suite et conclusion de ce cruel séminaire : Axel Duroux s'en va; Nonce Paolini, est alors, c'est le titre du lendemain, "seul maître à bord chez TF1".

Ce départ en grand seigneur pas d'accord sur la stratégie, c'est, selon Le Monde, facile à faire pour Axel Duroux, qui vient de gagner son procès contre Endemol qui l'avait licencié, lui a rapporté in fine 13 millions d'euros, ce qui lui permet d'être "plus virulent qu'il a moins à perdre qu'un autre salarié".

Séminaire où les dirigeants s'entretuent, un qui devient le "maître", l'autre qui n'a rien à perdre avec ses 13 Millions...Voilà encore une histoire qui ne va pas aider l'image de l'entreprise, de ses dirigeants, et des séminaires de cadres.

Pour ceux qui tentent d'y croire encore : non, non, non, toutes les entreprises ne sont pas comme ça, promis ! La preuve, c'est qu'on ne parle pas de leurs séminaires dans Le Monde et Le Figaro.


Surplus cognitif

Generosite  Le dernier opus de Chris Anderson, "Free", traduit en français, nous introduit dans le monde encore un peu mystérieux qu'on appelle "l'économie du gratuit"; C'est le monde où les modèles économiques sont complètement chamboulés par le gratuit; on donne le produit, et on vend autre chose.

Exemple étonnant, par exemple, de ce club de gym danois qui propose un abonnement qui ne coûte rien, tant que l'on y va au moins une fois par semaine. Si l'on manque une semaine, on doit payer le mois entier. Subtile comme formule, où si l'on paye cher, on ne s'en prend qu'à soi-même et son manque d'assiduité, et où tous les habitués qui entretiennent leur forme ne payent pas.

L'ouvrage nous initie à toutes subtilités. Et aborde aussi une autre facette de la gratuité : l'économie de l'échange non monétaire. J'en avais parlé ICI, .

Cette économie de l'échange non monétaire c'est celle qui nous fait rendre service à notre voisine pour lui faire ses courses, l'aider dans certaines tâches; c'est celle qui nous fait faire un geste bénévole, donner un conseil gratuit, celle de personnes qui détiennent des connaissances et qui ont envie de les partager. Forcément, ceux qui ne jurent que par l'échange monétaire et capitaliste voient cela comme une drôle de concurrence du gratuit contre des services toujours plus monétarisés qu'il faudrait faire payer à tout prix.

Pourtant, selon Chris Anderson, cette économie de l'échange non monétaire est en augmentation.

Pourquoi ?

En fait, dans une écomomie comme la nôtre en Occident, où les besoins de base (rappelons nous Maslow) c'est à dire la nourriture, le logement, sont satisfaits, sans qu'on ait à trimer dans les champs jusqu'à la tombée de la nuit, nous avons beaucoup de temps disponible. C'est paraît-il ce que les sociologues appellent le "surplus cognitif", ce temps pour nous.

C'est une énergie, des connaissances, que nous n'utilisons pas complètement dans notre travail, et nous avons besoin de les dépenser. Bien sûr, on peut les dépenser en glandant devant la télévision; mais c'est de moins en moins le cas; avec internet, nous préférons échanger, donner et recevoir, être nous même producteurs et consommateurs.

Forcément, certains mileux, certaines entreprises, profitent peut-être de ce "surplus cognitif" (même si Chris Anderson ne semble pas envisager le cas), en faisant en sorte que l'investissement, l'engagement, des collaborateurs soit au-dessus du minimum nécessaire. Mais il en reste pour des tas d'échanges aussi en dehors du travail.

Cette part d'énergie que nous donnons gratuitement, quelle que soit sa destination, c'est celle qui, selon Chris, nous rend heureux :

" Faire sans être payé des choses que nous aimons nous rend souvent plus heureux que de travailler en contrepartie d'un salaire"

Et le net est un facteur de multiplication de ces occasions d'être heureux :

" être créatif, participer , exercer un effet, être considéré comme un expert en quelque chose, tout cela rend heureux. Cette économie de production non monétaire existait potentiellement dans notre société depuis des siècles, attendant l'apparition des systèmes sociaux et des outils qui la réaliseraient pleinement".

Alors, si on s'intéressait aussi au surplus cognitif de nos collaborateurs, de nos entreprises, et que l'on faisait faire un grand bon d'échanges et de générosité dans tout ce que nous faisons ? C'est simple le bonheur, non ?

En tout cas, cela permettra d'éviter ce que montre ce macabre lipdub qui circule sur le net, que j'ai trouvé ICI, et qui m'a beaucoup effrayé (on n'ose pas croire qu'une telle entreprise puisse jamais existe...)


Plante folle

Plantefolle On connaît, ou on imagine, ces entreprises où il semble que tous les collaborateurs se ressemblent. Ils ont le même "dress code", les mêmes façons de s'exprimer (dans certains cabinets de conseil, cela se traduit par un charabia de mélange d'anglais et de français épouvantable), c'est ce qu'on appelle "une culture forte".

Cette caractéristique, qui est parfois présentée comme un point fort, est-ce vraiment un atout ?

Ce qui est sûr, c'est que si vous ne collez pas parfaitement à ces usages et "culture", vous risquez d'être bien malheureux dans de telles entreprises, vous vous y ferez peu d'amis, vous serez le marginal qui finira probablement par se faire éjecter (soit on vous le fera savoir, soit vous craquerez un jour).

Est-ce que c'est immuable cette histoire ? Est-ce qu'une telle "culture" peut changer ? Car on peut se poser la question si il n'est pas dangereux de conserver des caractéristiques des "tics" qui deviennent inadaptés aux évolutions de l'environnement, et si les nouvelles générations qui arrivent se plieront aussi facilement que leurs aînés à des usages et codes qu'ils ne comprennnent pas.

Le Monde offrait (pour un euro supplémentaire) la semaine dernière un exemplaire du livre célèbre de Charles Darwin, " L'origine des espèces", et je tombe sur ça en le feuilletant :

" On pourrait aisément donner une liste de plantes que les jardiniers appellent des "plantes folles", c'est à dire des plantes chez lesquelles on voit surgir tout à coup un bourgeon ou une pousse présentant un caractère nouveau et parfois trés différent de celui du reste de la plante. (...) De tels cas prouvent également que la variabilité n'est pas nécessairement liée, comme certains auteurs l'ont supposé, à l'acte générateur. Les jeunes plans d'un même fruit, et les petits d'une même portée, sont parfois considérablement différents les uns des autres, quoique les parents et leur progéniture aient été apparemment soumis aux mêmes conditions de vie, et cela montre le peu d'importance des effets directs des conditions de vie en comparaison avec les lois de reproduction, de croissance, et d'hérédité; car en cas d'action directe des conditions de vie, si l'un des jeunes avait varié, tous auraient probablement varié de la même manière. En cas de variation, il est trés difficile d'estimer ce qu'il faut attribuer à l'action directe de la chaleur, de l'humidité, de la lumière, de la nourriture; j'ai l'impression que ces agents n'ont que trés peu d'effets directs sur les animaux".

Et parmi nos entreprises, existe-t-il de telles "plantes folles" ? Voir tout d'un coup apparaître dans celles-ci quelqu'un de différent, qui va être le signe d'une rupture, d'une adaptation , comme une espèce qui s'adapte observée par Darwin. Cette thèse nous dit que ce ne sont pas les conditions de vie et de travail de l'entreprise qui vont changer quelque chose de significatif, c'est plutôt le mélange, la diversité.

On peut aussi se demander si certaines entreprises favorisent cette naissance de bourgeons et de pousses nouvelles, ou bien au contraire les empêche d'émerger, ou les rejette. J'étais encore cette semaine dans une entreprise où mon interlocuteur s'est présenté en me précisant qu'il était dans cette entreprise depuis 35 ans (c'est vrai que c'est une expérience qui marque) ...La question alors c'est : est-ce qu'il laisse les bourgeons nouveaux sortir ou non ?

Et puis, il ne suffit pas d'être une "plante folle", comment on fait pour faire sortir ces bourgeons nouveaux ? Les activités, le droit à l'expression, à l'erreur, la possibilité qu'il se passe dans l'entreprise des choses imprévues et inhabituelles, ça doit jouer aussi, non ?

Et inversement, les entreprises qui ne sont pas de telles "plantes folles", où tout est pareil et toujours, elles vont mourir quand ?

Bon, je vais poursuivre Darwin pour trouver, peut-être, des réponses....."folles"..


Managers en vrai

Manager1 J'avais, il y a quelque temps, publié le "rapport d'étonnement" d'Arnaud, qui découvrait horrifié la vraie vie du manager dans ce qu'il appelait sa GBQPB.

C'est vrai que l'on trouve souvent dans ces témoignages des réalités qui nous éloignent des discours convenus sur le management.

C'est précisément le sujet d'un livre que m'a envoyé Tannguy Le Dantec, éditeur des Editions COOPIL, qu'il vient de publier : "La vraie vie des managers". (Oui, maintenant, mon blog me fait "trendseter" des livres de management).

L'ouvrage est original. Il présente des situations du quotidien des managers qu'on appelle "de terrain", c'est à dire ces managers qui sont confrontés aux clients, aux petits problèmes dont les dirigeants n'entendent jamais parler, et qui, dans des situations parfois difficiles, doivent se débrouiller tous seuls. Ces situations sont racontées par les managers eux-mêmes; c'est pas de la grande littérature; comme on dit, "ça sent le vécu".

En préambule de ces récits témoignages, une citation d'un dirigeant (qui ressemble souvent à une belle langue de bois), et en commentaire, un "expert", Jacky Chollet, qui ajoute sa perception au récit.

C'est donc à une série de "brèves" de "vécus", racontés par d'illustres inconnus, que nous convie ce "livre".

Les sujets sont assez banals : Donner du sens, anticiper, motiver un collaborateur, déléguer, écouter son équipe,...Mais correspondent à des situations habituelles (on dirait Caméra Café, en plus dramatique, car c'est Caméra Café en vrai, et on rigole moins). Car ils montrent souvent des situations où un dirigeant ou un super manager incompétent, vient casser la motivation du manager de terrain.

Jacky Chollet fait remarquer, dans l'introduction, que l'approche trés anglo-saxonne qui conçoit le management comme une série de techniques et de procédures qu'il suffirait d'apprendre dans les livres ou les formations, est un véritable danger, qui tend à réduire l'homme à une série de mécanismes élémentaires. Alors que ce qui fait la qualité du management c'est souvent le bon sens. Et ce bon sens, on a l'impression que les entreprises en manquent souvent.

Un des récits est particulièrement cruel; c'est celui de Sabrina. Jeune manager dans son entreprise, elle subit les injures et grossièretés d'un de ses collègues "manager". Elle l'entend parler d'elle dans son dos "quelle conne; quelle emmerdeuse"...et par contre, devant le Directeur, il est muet et respectueux.Elle essaye de se débattre; elle envoie finalement un mail pour se plaindre de ce collègue; et elle est licenciée..Cela rappelle le témoignage de Marie Pezé dont j'avais parlé.

Ce qui frappe, c'est que le Directeur de ces managers est complètement absent; idem toute Direction des Ressources Humaines. Sabrina est toute seule avec son horrible histoire.Et cet odieux collègue peut agir comme il le veut.

Autre histoire incroyable, celle de Laurence, qui travaille dans une entreprise où la situation économique se dégrade. Les perspectives ne sont pas bonnes. Elle fait de son mieux, tente de tenir face à ses collaborateurs. Un soir, alors que la Direction est partie, elle quitte l'entreprise et se retrouve face à un de ses collaborateurs, excédé, se plaignant de son salaire, qui la menace de violences. Là encore, comme on la sent seule Laurence.

Il y aussi des récits plus heureux, ceux de managers qui s'en tirent plutôt pas mal dans des situations où ils doivent faire prendre une décision par leur équipe, ou mener des entretiens d'évaluations.

Mais là encore,c'est souvent la grosse débrouille, le manager face aux décisions est seul.

Est-ce que ce livre servira les managers qui le liront ? Pas sûr car il ne fournit aucune méthodologie, ou recettes pour s'en sortir. Par contre il permettra à certains de se reconnaître dans Laurence, Sabrina ou Cyprien, et se sentiront donc moins isolés, peut-être.

Ce que nous dit ce livre, c'est aussi que que l'état et la qualité du management, à tous les niveaux, est clé pour la performance de l'entreprise, et qu'ils sont souvent défaillants. Quand on parle de performance on pense tout de suite aux process, à l'organisation, à la stratégie, mais l'état du management, on fait comme si cela allait de soi. Le simple fait qu'il existe des managers et des Directeurs suffit, pour certains, pour croire qu'il n'y a plus de problèmes. Pourtant, ce n'est pas parce que tel individu s'appelle "Directeur" ou "manager" que son comportement, sa capacité à motiver les collaborateurs qu'il encadre,sont au top.

Le livre présente un autre cas d'un Big Boss d'une entreprise de 120.000 personnes qui visite un Département Système d'Information et qui, répondant à une question, explique que les SI, c'est pas stratégique, par rapport aux produits de l'entreprise..Ambiance ! Tous les collaborateurs démotivés, affolés, et leur manager, qui avait préparé cette visite avec excitation, qui n'en peut mais. On me racontait cette semaine une histoire identique d'un Directeur visitant un des centres d'appels sous sa responsabilité, et se contentant d'y passer quelques minutes au pas de charge, sans parler à personne...Là, encore, motivation assurée des équipes.

Et l'on pense aussi, en lisant ce livre, aux futurs managers : un collaborateur cadre qui entre dans l'entreprise a souvent un bagage scolaire, acquis dans de grandes écoles; il va apprendre les techniques, un métier, dans l'entreprise qu'il rejoint. Mais qui va lui apprendre le management ? Et comment ?

Ce management, c'est d'abord le management de soi-même : identifier dans quelles situations il trouve les réponses, et dans quels cas il doit changer son style, ses manières.

La responsabilité de l'entreprise, de ses dirigeants, de ses managers, c'est aussi celle-là. Les collaborateurs ne seront les managers de demain qui feront gagner l'entreprise que si l'acquisition et la transmission de ces compétences et savoir-faires sont prises au sérieux.

Et pour le candidat dans une entreprise, vérifier qu'il trouvera bien, chez son futur employeur, cette formation et cette transmission, est vital, au sens propre; sans qualités de management, aucune carrière ne sera possible pour lui. L'entreprise, et ses dirigeants, vus ainsi, sont les offreurs de talent de management; C'est leur responsabilité.

Le manager qui s'en sortira sera celui qui s'occupera de son projet personnel de développement avec attention, et qui le confrontera en permanence à ce que lui apporte l'entreprise dans l'acquisition des compétences vitales de management. Et l'entreprise qui dépassera les autres le devra notamment à l'attention qu'elle portera à ces sujets de développement des qualités de management de ses collaborateurs.

On l'a compris, la lecture de ces vraies vies de managers ne peut que sensibiliser ceux qui pourraient encore en douter.