La moitié cachée de la richesse
Importance vitale ?

Je veux tant !

Simone La lecture de cet essai de 1944 m'a fait revenir vers Simone de Beauvoir.

Danielle Sallenave a épluché l'année dernière tous ses écrits, et en a fait une biographie originale (pas vraiment une biographie, plutôt une évocation du siècle), toute de précision dans l'analyse de l'oeuvre, depuis les premiers romans jusqu'aux lettres de jeunesse et lettres diverses publiées aprés sa mort : "Castor de guerre".

Castor, car c'est le surnom qu'elle gardera (venant de "beaver", castor, qui rappelle Beauvoir).

Ce qui frappe, c'est cette volonté, trés précoce, de faire soi-même sa vie, de considérer que ce qu'il adviendra de soi dans la vie, on ne le devra qu'à soi-même.

Dans les "cahiers de jeunesse", a priori pas destinés à la publication (mais le sait-on ?), qu'elle écrit à vingt ans, tout est déjà écrit :

" Je construirai une force où je me réfugierai à jamais" Danièle Sallenave y décelle bien cette ambition, cette démesure, qui va colorer toute sa vie à venir. C'est en effet impressionnant.

Autre citation de 1926 ( 18 ans !) :

" Je me suis trouvée; je suis moi, et je sais que je suis moi. Je suis en pleine maturité et pleine possession de moi".

Quelle foi en elle, sûre de ses capacités, qui recelle aussi un peu d'angoisse :

" Quand je pense à moi, je vois avec tant d'angoisse cette vie inutile qu'il faudra remplir, moi qui n'ai pas de valeur, pas de force, et qui sait pourtant que tout le reste n'a pas de prix. J'ai peur et je suis seule".

Ce que Danièle Sallenave fait ressortir, c'est cette vocation, cet appel ressenti à devenir quelqu'un, le "désir d'y engager toute son énergie, toute sa puissance, toute sa vigueur".

Elle le ressent comme un besoin qui la dévore :

" Il me faut une vie dévorante ! J'ai besoin d'agir, de me dépenser, de me réaliser, je suis habituée à une forte discipline de travail, il me faut un but à atteindre, une oeuvre à remplir". " Je veux tant !".

Pour nous, qui pouvont connaître toute l'histoire, en parcourant chapitre aprés chapitre le livre de Danièle Sallenave, quelle tentation  de vérifier que cette volonté que l'on a vingt ans se retrouve dans l'éxécution.

Forcément, il y a des moments qui correspondent bien, et d'autres de lâcheté, de compromissions, tout n'est pas comme prévu. Mais cette "force" on la retrouve dans les engagements, les positions, et au moins sur l'oeuvre elle aura réussi, ce livre en est une preuve.

Pour l'engagement, on est servi; Simone de Beauvoir symbolisera le combat pour les femmes (on connaît tous "on ne naît pas femme, on le devient", même si l'on n'a pas lu "le deuxième sexe"). Mais aussi l'engagement pour les régimes les plus totalitaires, et ce ne sont pas les meilleurs souvenirs, a posteriori.

En 1929, elle rencontre Sartre; ils ne se quitterons plus, et formeront un couple pas comme les autrres, avec de l'audace et de la provocation.

Cette détermination qui caractérise Simone de Beauvoir, cette volonté de se construire soi-même, d'en accepter tous les risques, de "vouloir tant!", quel contraste avec les attitudes de ceux qui passent leur vie à ne pas savoir quoi faire de leur vie.

Et bien sûr, aussi, quand on parle de vie, on parle de mort.

L'expérience de la Collaboration sera l'occasion de cette réflexion pour Simone de Beauvoir, au moment de la Libération, en 1944 :

" Tant de coups reçus : aucun ne m'avait fracassée. Je survivais, et même j'étais indemne. En dépit de toutes ces morts derrière moi, je me rétablissais dans le bonheur".

" Quelle insouciance, quelle inconsistance ! J'avais honte pour eux tout en ayant honte de moi". Cette honte, c'est celle d'être le survivant en ayant vu mourir les autres. Cela déclenchera pour elle un engagement politique qui va devenir de plus en plus fort.

En repensant aux absents, ceux qui ont disparus, elle évoque l'oubli, et finit sur :

" Un jour, cet absent, cet oublié, ce sera moi".

Aprés avoir crû, jeune, à une immortalité, Simone de Beauvoir va introduire la mort dans son projet. On retrouve ces thèmes dans cet essai de 1944, dont j'ai déjà parlé : " sans la mort, il ne saurai y avoir de projets ni de valeurs". Elle écrit ce livre en trois mois; motivé par la prise de conscience que "tout projet est une action", et implique de "consentir" à la violence.Elle dira elle-même qu'elle a découvert que son sort était "lié à celui de tous".Et c'est en 1946 qu'elle publie un roman sur le même thème, " Tous les hommes sont mortels", qui met en scène un immortel qui se rend compte que "seul un être éphémère est capable de trouver de l'absolu dans le temps".

Relire le parcours de Simone de Beauvoir, et surtout sa montée en puissance dans ces années d'avant-guerre et de la guerre (après 1944, ce sera la révélation, les oeuvres majeures qui la rendront célèbre, les engagements politiques; mais tout ce qui se passe dans ces premières années éclaire ce parcours avec finesse), c'est retrouver, grâce au travail de Danièle Sallenave, des questions philosophiques essentielles, mises en pratique dans une vie.

C'est aussi parcourir et méditer, au travers de cette vie, sur tout ce qui a constitué le vingtième siècle. De quoi nous donner aussi à réfléchir à nos propres destins et à ce XXIème siècle qui ne fait que commencer..

Aprés avoir parcouru le futur avec Alvin Toffler, quoi de mieux que de parcourir le siècle passé avec Simone de Beauvoir et Danièle Sallenave.

Décidément ces vacances d'août grâce à de telles lectures, permettent de faire de trés grands voyages dans le temps et de nourrir ses convictions...ou de les changer.

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