Retourneront-ils travailler aprés la crise ?
N'écoutons pas Cinéas !

Le sens contre le contrat de travail

Souffrance Les Echos organisaient cette semaine une journée d'échanges et de témoignages, appelée pompeusement "Les Assises du Management"...

Le sujet est dans l'actualité : Gérer les hommes dans la tourmente.

Pas beaucoup d'idées nouvelles dans ces exposés. J'imagine que l'assistance, composée de nombreux représentants de la fonction "Ressources humaines" des entreprises ou d'organisations publiques (sans parler des spécimens de "consultants" toujours présents dans ce genre de trucs pour essayer d'y draguer de nouveaux clients), sont un peu restés sur leur faim.

La plupart des intervenants étaient des hommes; c'est pourtant le témoignage et le discours des femmes qui m'ont paru les plus intéressants.

Deux particulièrement.

Bénédicte Péronnin, Directeur Général de Legris Industries (entreprise qui s'est profondément transformée, et à carrément changé de métier, au gré des cessions et acquisitions ces dernières années), nous a parlé avec ardeur de sa conviction qu'il fallait que l'entreprise, et son dirigeant, doit, plus que jamais en période de tourmente, garder en tête le projet à long terme de l'entreprise, celui qui donne du sens à l'action. Alors, quelqu'un, un homme fier de lui, l'interpelle : "Oui, mais, aujourd'hui, on est dans la financiarisation, il n'y a plus que le cash qui compte; vous ne seriez pas un peu naïve, ma petite dame ?; c'est Dysney, votre truc.",...

Et la souriante Bénédicte ne se démonte pas : "Oui, ça fait un peu Alice au pays des merveilles, et bien je le revendique, j'aime bien être Alice au pays des merveilles qui revendique son envie de rêve et de vision pour l'entreprise que je dirige".

Ce sens qui donne du rêve et qui fait du bien à celui qui en parle comme à ceux qui l'écoutent, une autre intervenante en a parlé : Marie Pezé est psychanalyste et clinicienne, et reçoit en consultation à l'hôpital de Nanterre en "souffrance et travail", des personnes qui sont en souffrance à cause de leur travail. Elle a écrit rapports et livres sur ce sujet.

Philippe Escande, journaliste des Echos, l'interroge sur ce phénomène, et essaye de comprendre si c'est une caractéristique française ou mondiale.

Pour Marie Pezé, il y a une spécificité française là-dedans. On pourrait en effet se demander pourquoi des personnes dans un état de stress total, ressentant les rapports avec leur chef ou leurs collègues comme des situations de harcèlement insupportables (les anecdotes ne manquent pas, et les témoignages de Marie Pezé sont souvent effrayants et inquiétants), ne quittent pas ces entreprises pour se libérer d'une telle souffrance, et préfèrent rester et se détruire, pour finir gravement malades dans la consultation de Marie Pezé à l'hôpital.

Pour Marie Pezé, le coupable criminel, qui explique selon elle, que le sujet de la souffrance est particulièrement visible en France, c'est ...le contrat de travail.

Ce contrat de travail qui a valeur d'institution et de protection en France, devient une prison pour le salarié, qui a tellement peur de le perdre, de ne pas en retrouver un autre aussi protecteur, croît-il, qu'il supporte tout, y compris de souffrir, pour le garder. Le contrat de travail est la personnification du rapport de domination, introduit dans les relations entre les supérieurs et les employés des conflits, des situations où le chef se croit tout permis; où le salarié se perçoit lui-même comme un esclave qui doit tout supporter.Et qui va trouver des formes de rebellion ailleurs : par la violence, verbale, mais aussi physique, par la violence contre lui-même (voire jusqu'au suicide), par la violence contre l'outil de travail (Marie Pezé constate que les cas de destruction et de sabotages de l'outil de travail sont de plus en plus fréquents, et sont un signe trés inquiétant).

Elle nous a encouragé à prendre au sérieux ce sujet; à redonner du sens à ce que nous faisons dans nos entreprises (comme Bénédicte Alice au pays des merveilles !), à prendre le temps de faire circuler dans l'entreprise les marques de gratitude et de reconnaissance, qui ne coûtent rien : juste dire merci et bravo aux collaborateurs méritants; juste dédramatiser les erreurs et les non-performances (carlos Ghosn disait la même chose lorsqu'on l'interrogeait sur les suicides chez Renault).

Elle a appelé ça "faire un pas de côté", c'est à dire à prendre conscience que les relations agressives, les échanges chargés de violence dans les discussions entre les salariés et les dirigeants, tout ça peut faire chavirer les collaborateurs, et l'entreprise avec. Paradoxalement, ce ne sont pas les personnes dites les plus "fragiles" qui sont les plus vulnérables, mais au contraire ceux qui supportent tout, qui tiennent coûte que coûte, qui se donnent, comme on le dit "à fond dans leur boulot", et qui, d'un coup, peuvent tomber.

Oui, donner du sens dans l'entreprise, et au travail qui se fait à l'intérieur, c'est plus subtil que de rédiger des contrats de travail, et de se bagarrer pour obtenir des avantages, protéger ses droits, face aux sales patrons capitalistes. Finalement, à entendre Marie Pezé, ce sont les salariés eux-mêmes, excités par les syndicalistes, qui font leur propre malheur. Je ne sais pas si elle irait jusqu'à dire cela, mais cette désignation du contrat de travail comme coupable va vers cette conclusion.

Alors, j'entend bien les critiques possibles de ceux qui croient défendre les salariés en défendant le contrat de travail : et ho, mais si il n'y a pas de contrat de travail, c'est l'esclavage, la porte ouverte à toutes les turpitudes et excés des patrons,...heureusement qu'on a de quoi nous protéger, nous, salariés, etc...

Oui, bien sûr, mais les conséquences analysées par Marie Pezé font quand même réfléchir.

Et regardons ailleurs, aux Etat-Unis, où le contrat de travail est moins "protecteur", où on perd plus vite le droit au chômage : la mobilité des salriés est plus forte; la volonté forte de s'en sortir, de rebondir face à la crise, est plus intense; et c'est probablement cette dynamique qui va permettre à ce pays de s'en sortir plus vite, et avec plus d'innovation. Pendant que chez nous, ce sont les files d'attente dans le cabinet de consultation de Marie Pezé qui s'allongeront, et les phénomènes de violence (séquestration, sabotage de l'outil de travail) qui augmenteront.

Il est vraiment temps qu'Alice au pays des merveilles prenne la barre....

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