Retourneront-ils travailler aprés la crise ?
29 juin 2009
En 1970, c'était "le choc du futur"; en 1980, Alvin Toffler remet le couvert avec "la troisième vague".
Le choc du futur nous parlait du processus du changement, de ce qui allait vite, et de toutes les conséquences prévisibles, ou imaginables.
"La troisième vague" aborde plutôt l'organisation, la structure, de notre monde.
Etonnante description du futur, où l'on retrouve bien les tendances qui n'ont fait que se préciser depuis : la fin de la massification, c'est à dire notamment de la production de masse (ça, c'est la deuxième vague, le monde de l'industrialisation), la fin de la standardisation, le passage d'un monde où tout est centralisé à un monde décentralisé,...Mais par contre ce monde qui est le nôtre aujourd'hui, il y a une caractéristique qui lui manque : internet !
Et c'est pourquoi on a l'impression, en relisant aujourd'hui cet opus, de voir un monde du futur en noir et blanc; il y manque quelque chose pour nous y reconnaître...
Et pourtant...
Car on peut aussi en faire une autre lecture : et si l'essentiel, ce n'était pas internet, mais les mouvements plus fondamentaux, les évolutions plus profondes du monde, internet n'étant que l'outil qui s'est adapté à ces tendances. Et là, c'est passionnant, car Alvin Toffler, en nous décrivant le futur sans internet, nous fait peut être voir l'essentiel, aveuglés que nous sommes par la technologie du web, croyant que pour comprendre le monde il suffit d'être "branché", "web 2.0".
Car ce qu'explore Alvin Toffler, ce sont les transformations de ce qu'il appelle la technosphère, la sociosphère et l'infosphère, dans une vision globale.
L'une de ces transformations, dont on parle encore et qui est plus que jamais d'actualité, concerne ce qu'il appelle la "prosommation", c'est à dire le rapprochement du producteur et du consommateur.
Cette transformation, c'est par exemple les travaux à domicile, le bricolage, les services rendus à nos voisins, que nous délivrons gratuitement, dans un mode d'échange de services non marchands; ce sont autant de créations de richesses qui échappent à la mesure du PIB,et qui pourtant contribuent au développement (on pourrait dire que c'est aussi le travail au black, mais ça alvin n'en parle pas). C'est aussi l'automédication, où le patient se fait son propre médecin en achetant les appareils qui le permettent (en 1980, c'est ainsi le cas des tests de grossesse, que l'on peut faire soi-même, ou les appareils pour prendre soi-même sa tension). C'est aussi le cas des meubles que l'on monte soi-même (oui, Alvin invente IKEA), des matériaux de maçonnerie qui sont achetés par les particuliers (plus que par les professionnels).
Avec le développement du temps libre, qui va augmenter (bien vu Alvin !), soit volontairement, soit involontairement (chômage, incapacité), cette tendance de la migration de l'économie marchande vers l'économie "invisible" constitue un mouvement de fond.
Au point qu'il imagine que l'on assistera à des modifications de comportements : "une fois un certain seuil de revenus acquis, il sera peut-être plus profitable, économiquement et psychologiquement parlant, de prosommer que de gagner davantage d'argent".
Prosommer, c'est à dire faire soi-même plutôt que d'acheter.
De même, si l'on veut bien observer l'efficience du système global, c'est à dire le système marchand + le système de la "prosommation", on peut avoir des visions différentes.
Ainsi, le chômage :
" L'ouvrier licencié par une société de construction automobile, qui refait le toit de sa maison ou répare sa propre voiture est-il le même chômeur que celui qui, les pieds dans ses pantoufles, regarde un match de foot à la télévision ?"
Alors Alvin Toffler y voit une possible remise en cause du marché lui même :
" L'enjeu, dorénavant, c'est le rôle du marché dans notre existence et l'avenir même de la civilisation". (mazette !)
Il appelle ça la "première civilisation transmarché" (oui, alvin, il aime bien inventer son jargon, c'est son truc) : il ne s'agit pas de revenir aux petites communautés autarciques sans échanges, mais de voir venir :
"une civilisation qui dépend du marché mais n'est plus dévorée par le besoin de construire, élargir, parfaire et intégrer cette structure. Une civilisation capable d'adopter un nouvel ordre du jour - précisément parce que le marché existe déjà.." (bon, on n'y est peut-être pas encore complètement à cette "fin de la marchification"...).
Néanmoins, cette transformation en marche, cette "prosommation" subtile que nous fait percevoir Alvin Toffler, elle est là, sous nos yeux aujourd'hui.
Deux exemples relevés dans l'actualité de la semaine :
Aujourd'hui dans Le Monde, un article de Francine Alzicovici, sur "les services à la personne n'échappent pas à la crise" : la "marchification" (pour reprendre le Alvin dans le texte, que n'évoque pas Francine d'ailleurs) des services à la personne semble s'essoufler; Alors que Borloo nous prévoyait 500.000 emplois créés en trois ans, depuis le soutien scolaire jusqu'aux femmes de ménage, ce ne sont que 100.000 emplois environ qui ont été créés la première année du dispositif. Et de nombreuses boîtes ferment. ( "les particuliers rechignent à payer un intermédiaire pour leur trouver un prestataire" analyse le président de l'Association des enseignes de services à la personne).
Autre phénomène signalé par un article du Los Angeles Times (lu en français dans le "Courrier International" de cette semaine, N°973), sur "chômeurs et heureux de l'être" :
Il nous parle de ces personnes devenues chômeurs avec la crise, et qui découvrent les joies du " funemployment". En clair : l'état d'une personne qui profite d'une pèriode de chômage pour prendre du bon temps.
Le "funemployment", c'est donc le plaisir de trouver du bon au temps libre, et de faire plein de choses qu'on avaient oubliées, ou même jamais connues.(bon, ça fait un peu bobo comme truc, car il va bien y avoir un moment où le compte en banque va crier famine...mais à Los Angeles Times, il semble que les personnes interviewées, ont des réserves).
Un professeur de psychologie explique que : nombre de salariés,
"à force de passer leurs soirées et leurs week-ends au bureau, ne font plus la différence entre vie personnelle et vie professionnelle. Quand ils arrêtent de travailler, ils comprennent ce à quoi ils avaient renoncés".
Toujours selon cette psychologue, Jean Twenge, auteur de l'ouvrage célèbre "Generation Me", le travail occupe une place moins essentielle dans la vie de beaucoup de jeunes. Aujourd'hui, les gens sont plus nombreux que dans les années 70 à vouloir un travail qui leur laisse beaucoup de temps libre.
Autant de signes qui viennent s'ajouter aux prospectives d' Alvin.
De la "prosommation" au "funemployment", on pourrait se demander si, finalement, même aprés la crise, nous serons encore assez nombreux à avoir envie de retourner travailler....
Rien de tel que de relire le futur d'hier pour éclairer et interpréter notre présent, même sans internet.