François Bayrou et la touche 0
Complacency

La culture du malheur intime

Uncertainty Pour certains, l'incertitude, les pèriodes troublées, sont des stimulants : tout devient possible, les "cartes sont rebattues", les entrepreneurs trouvent de nouvelles opportunités d'entreprendre, de nouveaux leaders émergent pour remplacer ceux qui disparaissent.

C'est la version optimiste.

Mais il y en a une autre, moins joyeuse.

C'est celle du mal être, de la souffrance, occasionnée par une forme d'anxiété (formule des psychiatres) ou d'angoisse (formule des psychanalystes), face à l'incertude, au manque de repères, notamment dans le monde du travail.

Alain Ehrenberg, chercheur et sociologue, a particulièrement analysé ce phénomène dans ses ouvrages "L'individu incertain" et "La fatigue d'être soi". Ainsi que dans une interview dans le livre de Marie de Solenne, "Le mal d'incertitude"

Aujourd'hui, ce ne sont plus des règles, la religion, qui définissent le sens de l'existence d'une personne, mais l'individu lui-même. Nous sommes dans une société fondée sur l'individualisme et le droit, pour chacun, d'être libre, de devenir Soi. Comme une "démocratisation de l'exceptionnel" : N'importe qui peut devenir quelqu'un.

Dans l'entreprise, c'est cette même exigence qui s'impose : on va demander à l'employé, et pas seulement le cadre supérieur, non plus d'appliquer les gestes et de respecter les règles comme une machine, mais de démontrer sa capacité à proposer, à être "autonome", à "participer", à "prendre des responsabilités", surtout bien sûr dans "l'incertitude", quand aucun chemin ne semble s'imposer, quand justement il va fallir "faire preuve d'initiatives".

Et bien, cette exigence, qui en excite certains, elle est la cause de phénomènes de "dépression" et de "maladies mentales", ou simplement de ce que l'on appelle le "mal être", analysés par Alain Ehrenberg.

" Une sorte de vulnérabilité de masse est apparue dans nos sociétés, alors qu'elle y était inconnue vingt ans auparavant - ce vocabulaire de la souffrance, du malheur moral, n'existait pas alors.

En mettant en exergue cette multiplication des troubles psychiatriques (mal-être, dépression,...), en définissant de multiples problèmes à l'aune du mot "souffrance", nos sociétés ont fini par se créer ce que j'appelle une "culture du malheur intime", que ne connaissait pas les générations précédentes, culture caractérisée à la fois par des troubles de masse de la conduite individuelle, et par une floraison de la plainte subjective."

Cette histoire de "mal-être", qui est devenu le bassin d'attraction du "malheur intime", est devenue un moyen pratique d'exprimer n'importe lequel de nos malheurs ou problèmes.

La dépression a remplacé la névrose :

" Si la névrose est une façon de désigner des problèmes créés par une société de discipline, d'interdits, de conformité, etc., la dépression, elle, est une manière d'exprimer les difficultés engendrées par une société de choix total, de performances individuelles, d'actions et d'initiatives individuelles.

Si la question de la névrose est celle du désir, la question de la dépression est celle de la valeur : suis-je à la hauteur ? qu'est-ce que je vaux ?"

Cette notion de "souffrance" devient un référent pour décider et agir dans de multiples domaines, et une explication de problèmes trés hétérogènes. Tout devient "souffrance" : venir au travail, devoir respecter les consignes du supérieur, se faire chahuter par un client mécontent, recevoir des critiques lors de l'entretien d'évaluation des performances,...Et cette "souffrance" est du bon pain pour les récits dans les médias.

Alain Ehrenberg n'est pas spécialement optimiste sur la suite.

Deux issues sont menaçantes :

La recherche du sauveur, du tyran, du gourou, qui nous libère de l'incertitude en nous déchargeant de ce lourd fardeau qu'est notre liberté. Quand on voit les conversions de personnes dans des sectes, ou derrière des fanatiques, on n'est pas trés loin de ce phénomène. Alors que les chantres de l'entreprise 2.0 nous appellent à une société de l'initiative sans hiérarchie, cette tendance dit l'inverse : vite un papa pour prendre les décisions à ma place !

Une autre voie est celle des substances diverses, chimiques, drogues, de toute nature, qui nous transforment, dans notre recherche infinie du "mieux être", en hypochondriaques qui se sculptent en permanence.

Bon...Espérons qu'il existe quand même des issues plus modérées..

Car ce n'est pas parce que le monde est incertain qu'il est moins intéressant, ni qu'il n'y a plus rien à faire qu'à subir. Il reste tout de même possible de le rendre meilleur chaque jour. Y croire encore, individuellement et collectivement, dans nos entreprises et dans la société, est sûrement la meilleure réponse à cette culture déprimante du malheur intime.

Commentaires

Vanina Delobelle

Bonjour Gilles,
Voilà une réflexion bien prenante qui ne peut me permettre de répondre à chaud mais qui invite forcément à plus de recul alors sûrement une suite sur mon blog bientôt :)

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