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Le talent ne suffit pas

Artisan La guerre des talents, la gestion des talents, c'est la chanson à la mode des années 2000.

C'est Malcolm Gladwell qui avait noté que, il y a quelques années, des consultants de Mac Kinsey avaient consacré une enquête approfondie pour détecter ce qui fait la différence dans les entreprises performantes. Et ce qui ressort admirablement selon, c'est justement cette capacité à bien détecter et gérer les talents. Ce que l'on appelle "the talent mind-set"..

Là où l'histoire s'embrouille un peu c'est quand on prend connaissance, aujourd'hui (l'enquête date de quelques années) de l'entreprise qui est considérée comme la meilleure en gestion des talents. Tout le monde la connaît, mais pas forcément pour cette caractéristique; c'est...ENRON.

Il ne s'agit pas de conclure que c'est ce "talent mind-set" qui serait la cause de la faillite de Enron, mais on peut quand même observer que cette histoire de talent n'est pas complètement imparable. Voire que c'est justement parce que l'on fait trop confiance au "talent", qui permet tout, même de faire de grosses bêtises, du moment qu'on est génial...

Un autre auteur anglo-saxon, Richard Sennett, professeur à la London School of economics, vient de publier "The craftsman" (l'artisan), qui est une réflexion sur le travail. Il est interviewé par un journal hollandais, interview traduite dans le dernier numéro de "Courrier International", qui consacre un dossier à "aimez-vous travailler ?".

Dans cette interview, il nous explique combien il est souhaitable de réhabiliter le savoir faire, plutôt que le talent.

La citation est savoureuse :

" Le savoir-faire est démocratique. On peut l'apprendre, le talent ne suffit pas, il faut aussi de la patience, beaucoup de travail, de la routine et, comme on l'a dit, de l'expérience. C'est en contradiction avec la notion répandue actuellement selon laquelle le talent est une rareté et celui qui en est privé peut être licencié. Tout notre enseignement et nos entreprises sont imprégnés par l'idée que, sur vingt personnes, il faut trouver celle qui est exceptionnelle, les dix-neuf autres étant condamnées au royaume des ombres. Cette idée d'excellence n'est pas démocratique".

C'est nouveau cette petite musique...

Le "Talent Management" serait-il en train de passer de mode au profit du savoir-faire ?

A suivre...en lisant Richard Sennett...


Complacency

Satisfaction

 De quoi s’agit-il ?

C'est un sentiment de contentement personnel, associé à un manque de conscience d'un danger ou d'une situation périlleuse.

Les anglo-saxons le nomment "complacency"; on traduirait par complaisance ou autosatisfaction.

Même si vous lui parlez d'une crise, d'un besoin de changement, il ne se laisse impressionner par les démonstrations et les preuves rationnelles que l'on (par exemple un tiers, un consultant) pourrait tenter d'apporter.

Celui qui est ainsi "complaisant" peut considérer qu'il y a un problème, mais ne voit pas en quoi cela necéssiterait de changer son propre comportement, ses habitudes, qu'il répète presque inconsciemment. Le problème, quand il le voit, c'est chez les autres, dans un élément externe ("la crise", en ce moment, est le coupable idéal). C'est la faute à ses collègues, au Directeur du Département d'à côté, au Directeur Général; mais lui, ah non, il ne voit pas en quoi son propre comportement devrait être modifié.

 

Qu'est ce qui lui donne cette assurance ?

Généralement, ce sont les succés passés, dont on se souvient, qu'on enjolive un peu : "j'ai toujours fait comme ça; et ça a bien marché; alors pourquoi je changerais ?".

On l'a compris, ce "complacent", ce qu'il aime par dessus tout, c'est le statu quo. Il a une peur irrationnelle du changement, de tout ce qui s'éloignerait de ce qu'il connaît bien, de ce qu'il a fait dans le passé, et qui, souvent, lui a permis de réussir. Il a peur que, si on change, il perde pied, que son imposture soit dévoilée.

Ce personnage n'est surtout pas celui qui a envie de connaître de nouvelles opportunités, il ne les voit pas.

Il s'intéresse en priorité à ce qui se passe à l'intèrieur de l'entreprise, aux intrigues, aux rapports internes. L'extérieur, la compétition, rechercher des idées nouvelles, il ne sait pas faire. Il n'est jamais leader sur les initiatives audacieuses.

Là où il croit être fort, c'est pour identifier les faiblesses, les erreurs, les fautes, des autres. Car il peut être trés perspicace sur l'existence d'un problème, d'un nouveau challenge de l'entreprise à affronter. Là, il est capable de mener de fortes analyses sur les raisons qui vont faire échouer les autres. Et il se montre convaincu que l'urgence, c'est justement que les autres changent, et au plus vite. Lui, non !

 

Ce personnage existe dans de nombreuses entreprises et, on l'a compris, ce n'est pas avec lui que l'on va initier les actions de transformation qui vont permettre à l'entreprise de se transformer.

 

John P. Kotter a particulièrement analysé ce type de comportement dans ses ouvrages, et notamment le dernier. Il nous décrit ce phénomène comme ce qui empêche de créer ce "sentiment d'urgence" qui lui semble l'ingrédient indispensable pour réussir un programme de changement et de transformation.

Et il nous invite, dans ce cadre, à bien les repérer pour identifier, à l'inverse, les comportements gagnants, alliés pour réussir le chagement.

 

John Kotter pose la bonne question : qui peut être ainsi "complaisant" ?

Réponse : l'employé, le manager, vous, moi, le boss,...tout le monde.

Bonne leçon pour repérer en chacun, et d'abord en nous-même, cette tendance...

 


La culture du malheur intime

Uncertainty Pour certains, l'incertitude, les pèriodes troublées, sont des stimulants : tout devient possible, les "cartes sont rebattues", les entrepreneurs trouvent de nouvelles opportunités d'entreprendre, de nouveaux leaders émergent pour remplacer ceux qui disparaissent.

C'est la version optimiste.

Mais il y en a une autre, moins joyeuse.

C'est celle du mal être, de la souffrance, occasionnée par une forme d'anxiété (formule des psychiatres) ou d'angoisse (formule des psychanalystes), face à l'incertude, au manque de repères, notamment dans le monde du travail.

Alain Ehrenberg, chercheur et sociologue, a particulièrement analysé ce phénomène dans ses ouvrages "L'individu incertain" et "La fatigue d'être soi". Ainsi que dans une interview dans le livre de Marie de Solenne, "Le mal d'incertitude"

Aujourd'hui, ce ne sont plus des règles, la religion, qui définissent le sens de l'existence d'une personne, mais l'individu lui-même. Nous sommes dans une société fondée sur l'individualisme et le droit, pour chacun, d'être libre, de devenir Soi. Comme une "démocratisation de l'exceptionnel" : N'importe qui peut devenir quelqu'un.

Dans l'entreprise, c'est cette même exigence qui s'impose : on va demander à l'employé, et pas seulement le cadre supérieur, non plus d'appliquer les gestes et de respecter les règles comme une machine, mais de démontrer sa capacité à proposer, à être "autonome", à "participer", à "prendre des responsabilités", surtout bien sûr dans "l'incertitude", quand aucun chemin ne semble s'imposer, quand justement il va fallir "faire preuve d'initiatives".

Et bien, cette exigence, qui en excite certains, elle est la cause de phénomènes de "dépression" et de "maladies mentales", ou simplement de ce que l'on appelle le "mal être", analysés par Alain Ehrenberg.

" Une sorte de vulnérabilité de masse est apparue dans nos sociétés, alors qu'elle y était inconnue vingt ans auparavant - ce vocabulaire de la souffrance, du malheur moral, n'existait pas alors.

En mettant en exergue cette multiplication des troubles psychiatriques (mal-être, dépression,...), en définissant de multiples problèmes à l'aune du mot "souffrance", nos sociétés ont fini par se créer ce que j'appelle une "culture du malheur intime", que ne connaissait pas les générations précédentes, culture caractérisée à la fois par des troubles de masse de la conduite individuelle, et par une floraison de la plainte subjective."

Cette histoire de "mal-être", qui est devenu le bassin d'attraction du "malheur intime", est devenue un moyen pratique d'exprimer n'importe lequel de nos malheurs ou problèmes.

La dépression a remplacé la névrose :

" Si la névrose est une façon de désigner des problèmes créés par une société de discipline, d'interdits, de conformité, etc., la dépression, elle, est une manière d'exprimer les difficultés engendrées par une société de choix total, de performances individuelles, d'actions et d'initiatives individuelles.

Si la question de la névrose est celle du désir, la question de la dépression est celle de la valeur : suis-je à la hauteur ? qu'est-ce que je vaux ?"

Cette notion de "souffrance" devient un référent pour décider et agir dans de multiples domaines, et une explication de problèmes trés hétérogènes. Tout devient "souffrance" : venir au travail, devoir respecter les consignes du supérieur, se faire chahuter par un client mécontent, recevoir des critiques lors de l'entretien d'évaluation des performances,...Et cette "souffrance" est du bon pain pour les récits dans les médias.

Alain Ehrenberg n'est pas spécialement optimiste sur la suite.

Deux issues sont menaçantes :

La recherche du sauveur, du tyran, du gourou, qui nous libère de l'incertitude en nous déchargeant de ce lourd fardeau qu'est notre liberté. Quand on voit les conversions de personnes dans des sectes, ou derrière des fanatiques, on n'est pas trés loin de ce phénomène. Alors que les chantres de l'entreprise 2.0 nous appellent à une société de l'initiative sans hiérarchie, cette tendance dit l'inverse : vite un papa pour prendre les décisions à ma place !

Une autre voie est celle des substances diverses, chimiques, drogues, de toute nature, qui nous transforment, dans notre recherche infinie du "mieux être", en hypochondriaques qui se sculptent en permanence.

Bon...Espérons qu'il existe quand même des issues plus modérées..

Car ce n'est pas parce que le monde est incertain qu'il est moins intéressant, ni qu'il n'y a plus rien à faire qu'à subir. Il reste tout de même possible de le rendre meilleur chaque jour. Y croire encore, individuellement et collectivement, dans nos entreprises et dans la société, est sûrement la meilleure réponse à cette culture déprimante du malheur intime.


François Bayrou et la touche 0

Oldtelephone Aujourd'hui, quand on parle des entreprises et du secteur public, y compris et surtout dans les discours des dirigeants publics, on essaye de revendiquer une exigence de performance. Faire mieux fonctionner les services publics, mieux satisfaire les "clients", tout le monde s'y met.

Parfois, on parle un peu trop d'outils de management, et moins de ce qui fait la performance.

Parfois, on y va un peu trop fort sur les "rémunérations au mérite", au risque de provoquer des incendies.

Et parfois, on livre des secrets pour "faire bouger une entreprise publique".

Alors, il est intéressant de lire dans le livre de François Bayrou, "Abus de pouvoir", une thèse qui vient critiquer cette tendance.

Il faut du courage pour s'engouffrer dans un tel combat.

Quel est le problème pour François Bayrou ?

Ce qu'il n'aime pas, c'est l'introduction de mécanismes de concurrence dans les services publics. Pourtant on est en plein dedans, souvent poussés par les directives européennes. Les postes, l'électricité, le gaz, l'exploitation de fret ferroviaire, le transport de voyageurs, sans parler des télécommunications, qui ont vu tomber le monopole de France Télécom il y a déjà longtemps.

Pour lui, le service public, celui qu'il aime, c'est celui de l'ancien temps, qu'il sacralise comme quelque chose d'idéal. Les problèmes d'efficacité, les gaspillages, les surcoûts, que tant d'audits courageusement lancés par les responsables d'Administrations ou d'entreprises publiques, c'est à croire que tout ça, il ne veut pas le voir.Les déséquilibres, tout ce qui ne marche pas, non, non, il n'a rien vu.

" L'idéologie managériale qui fait en toute chose passer la gestion avant la mission est une offense faite à la France".

Car pour lui, parler de performance, c'est de l'idéologie managériale"...

François Bayrou nous le dit religieusement :

" La concurrence dans les services publics est un dogme duquel je n'ai jamais été bien croyant, mais dont je suis devenu athée. croit-on qu(on ait gagné au change à avoir cinq ou six opérateurs de renseignements téléphoniques, dont on ignore tout ? Pour qui, pour quoi, pour quel gain ?".

Bon, on aimerait bien qu'il nous parle des autres domaines de compétition dans les services, car les opérateurs de renseignements, c'est une toute petite partie du sujet, non ?

Mais nous n'aurons pas droit, dans ce livre, à plus de développement concret sur ces services.

Par contre, il nous explique ce qui le gêne dans cette situation de concurrence :

" On est en train de nous réduire, nous citoyens, à des consommateurs, à des clients. Nous nous reconnaissons usagers des services publics, à l'école, à l'hôpital, mais nous ne voyons pas comme des clients. Et aprés tout, si on nous pousse dans nos retranchements, nous aimerions mieux en revenir au temps où l'on n'attendait pas vingt minutes au téléphone pour signaler une panne et s'entendre répondre que nous n'avons pas, en appuyant sur la touche 3, puis sur la touche 5, contacté le bon service".

Manifestement, François Bayrou en veut aux opérateurs Télécoms. Lui, les centres d'appel, ça n'a pas l'air d'être son truc; il regrette la cabine et le "22 à Asnières", et les "dames du téléphone" chères à Marcel Proust. Chacun son époque. La phrase suivante m'a laissé perplexe :

" Nous voulons appuyer sur la touche 0, puisqu'ils aiment tant l'évaluation par les clients, et les renvoyer à leur néant".

Cette thèse, qui consiste, si l'on comprend bien, à accuser les services concurrentiels d'être moins bien, moins "France",  que quand ils étaient assurés par un monopole, elle est vraiment originale. Mais trés nostalgique.

Et c'est quoi cette histoire de "touche 0" : il se prend pour Ben Laden ?

Alors que partout on nous met en avant les "clients" (voir par exemple les efforts de Guillaume Pepy à la SNCF), cette thèse qui veut revenir aux "usagers", n'est-ce pas un peu revenir en arrière ?

Pour mieux comprendre où veut en venir François Bayrou (supprimer SFR, Bouygues, et tous ceux qui lui font des misères avec les touches 5, 3 et 0 ?), on a ce paragraphe :

" Nous prétendons que les services publics doivent répondre à une exigence publique, définie par la loi et le débat démocratique, évaluée, bien sûr, dans ses résultats. Mais nous ne voulons pas qu'on réduise cette mission de services à la marketisation, comme ils disent".

On ne perçoit pas encore clairement ce que cela pourrait signifier. On a bien compris que tout ce qui parle de marché, il aime pas.

Espérons qu'entre temps, il ne finira pas comme ça ::