Sociabilité et solidarité : quels modèles culturels ?
28 avril 2009
Dans les pèriodes difficiles, lorsque les risques de conflit internes deviennent plus élevés, on se dit, dans l'entreprise, que ce qui la sauve de ces périls, c'est sa "culture".
"Notre culture d'entreprise est forte, c'est ce qui fait que nous savons nous en sortir dans l'adversité " !
Et, lorsque l'on parle d'un comité de Direction, même chanson : la "culture" commune, la solidarité, nous rend forts ensemble.
Et inversement, forcément, les divergences, le manque de "culture commune" nous rendent fragiles.
Bon, mais ça veut dire quoi au juste ?
Un modèle trés malin est proposé par Rob Goffee et Gareth Jones, dans un ouvrage un peu ancien, mais qui reste une référence à connaître..
Ce modèle distingue deux axes que l'on a parfois tendance à confondre :
- D'une part la sociabilité : il s'agit de la mesure des relations entre les membres d'une équipe, d'une entreprise, ce qu'on pourrait appeler la bonne entente naturelle. C'est vrai que l'on voit bien la différence entre une équipe, par exemple de Direction, où tous les membres s'entendent bien, peuvent parfois passer des soirées ou des week end ensemble, et les équipes où, comme on dit "chacun se tire dans les pattes", se méfie des autres.
- d'autre part la solidarité : là, on parle d'autre chose. Il s'agit de la facilité à adopter une vision commune, de partager les mêmes objectifs, entre professionnels ou membres de la même équipe. Par exemple, des syndicalistes partageront facilement les mêmes revendications. Dans une entreprise où le niveau de solidarité sera élevé, il sera ainsi plus facile de faire adhérer à la stratégie.
Alors, dans le modèle de Rob Goffee et Gareth Jones, ce qui est amusant et trés pertinent, c'est de croiser les deux axes, et d'en déduire le modèle culturel de votre entreprise, votre équipe, votre comité de Direction, parmi les quatre du modèle.
Prêts pour le test ? Essayons d'identifier notre propre équipe ou entreprise..
Sociabilité forte et solidarité faible : l'entreprise de réseaux
C'est l'entreprise où on s'entend bien. Les collaborateurs s'introduisent facilement dans le bureau d'un collègue pour une petite discussion informelle, quelle que soit la hiérarchie; on se tutoie; c'est sympa. On fait des pots, on fête les anniversaires, etc...
Il se crée des réseaux informels : par exemple, les recrutements se font par copinage, les réunions de décisions se préparent à la machine à café ou par des discussions entre les collègues qui sont dans le même réseau, et non selon des circuits organisés et officiels.
Comme la solidarité est faible, il est difficile dans cette entreprise de faire bien coopérer les différentes Directions opérationnelles ou les fonctions support sur les projets transversaux, car ils ne sont pas dans les mêmes réseaux.
dans cette entreprise de réseaux, comme il y a peu d'engagement sur les objectifs communs de l'entreprise, il est aussi fréquent que les collaborateurs aient tendance à critiquer tout ce qui est indicateurs de mesure des performances, procédures, règles, systèmes d'information et de reporting, etc... Tout ce qui va essayer de rendre plus efficace ces procédures va être fortement rejeté...il faut s'attendre à une gestion du changement plutôt musclée..
Sociabilité faible et solidarité faible : l'entreprise fragmentée
Là, il s'agit d'une organisation dans laquelle peu de managers ont envie de travailler. C'est l'entreprise où le sentiment d'appartenance est inexistant. Chacun travaille pour soi et ses objectifs personnels. Si vous demandez à un informaticien de cette entreprise ce qu'il fait comme job, il vous répond "informaticien", mais sans citer le nom de son entreprise.
Comme il n'y a pas de solidarité non plus, les objectifs, les valeurs, de l'entreprise sont pour les collaborateurs, un charabia sans intérêt.
Chaque fois qu'un projet, un initiative sont proposés, la tendance du collaborateur est de bien calculer ce qu'il va avoir en retour de sa participation. Et ne lui parlez pas de "générosité", c'ela veut dire pour lui "se faire avoir".
Sociabilité faible et solidarité forte : l'entreprise de mercenaires
Là, c'est l'entreprise où tout le monde s'aligne sur les objectifs et la performance de l'entreprise, sans considération sur les aspects personnels. C'est l'entreprise où l'on sépare bien les questions professionnelles et les privées. Les moments de sociabilité entre les collaborateurs sont trés professionnels. On ne fête pas les anniversaires, mais la vente d'un nouveau contrat contre un concurrent, ou la réussite d'un projet informatique.
Du fait de ce caractère mercenaire, dans ces entreprises, on tolère trés peu la non-performance. Ceux qui contribuent moins bien, qui ne suivent pas le modèle d'excellence, souffrent ou se font sortir. Les systèmes d'évaluation sont "sans pitié".
Sociabilité forte et solidarité forte : l'entreprise communale
C'est le modèle d'une petite entreprise, en forte croissance, trés entreprenariale, genre start-up. Les fondateurs de ce genre d'entreprise sont des bons amis, ils vivent une aventure ensemble.
On trouve ce type de cultures dans des entreprises plus grandes où les collaborateurs sont là depuis longtemps, ont noué des liens forts entre eux, ont vécu les épopées successives de leur entreprise, et participé à sa croissance.
Dans ces entreprises, on a un bon partage des prises de risques et des récompenses (aspect solidarité forte), Autre caractéristique : le credo, les valeurs, de l'entreprise, sont bien intégrées, suscitent l'enthousiasme et la fierté, et non le cynisme.
Dans cette entreprise, aussi, les collaborateurs sont trés au fait de la compétition, de leurs concurrents, et sont trés conscients de ce qu'ils doivent faire comme progrès et efforts pour gagner cette compétition.
On pourrait croire que ce modèle représente l'idéal. Malheureusement, les auteurs ont aussi constaté que c'était le modèle qui avait le plus de mal à perdurer, la croissance et les crises amenant à basculer parfois vers la fragmentation ou les réseaux, ou le modèle mercenaire.
Une fois ce modèle connu, on pourrait se poser la question : est-il possible de faire changer une culture, et de faire sortir une entreprise de son modèle trop fragmenté, pour le rendre plus mercenaire; ou bien de passer des réseaux au modèle communal ?
La première étape, comme toujours, est déjà de prendre conscience de là où on en est aujourd'hui, et notamment dans le Comité de Direction.
Puis, on se posera la question de changer de modèle.
Le déclencheur : lorsque la situation actuelle nous semblera intolérable, dangereuse,...Alors, il sera temps de bouger pour aller vers un nouveau modèle.
Reste à avoir le courage d'entreprendre un tel voyage...