Pourquoi et comment réduire les effectifs ?
08 mars 2009
Je me souviens avoir vu Jean Gandois, ex patron de Pechiney, et patron des patrons lors de la loi des trente cinq heures par Martine Aubry, dire à l’assistance qu’il avait, dans toute sa carrière, probablement été à l’origine du licenciement de plus de 150.000 personnes.
Ambiance dans la salle…
Aujourd’hui, les réductions d’effectifs et les licenciements, c’est d’actualité.
Plusieurs contextes se présentent : pour certains, la réduction d’effectifs est imaginée à cause d’une baisse subite et profonde de l’activité du marché.
Mais cette baisse d’activité peut aussi être le signe d’une perte de compétitivité face à la concurrence ; et alors, si on ne va pas chercher le problème à la cause, les réductions d’effectifs n’apporteront pas de réponse définitive, et risquent de s’enchaîner les unes après les autres.
Ce sujet des réductions d’effectifs et des licenciements est précisément l’objet du « case study » dans le numéro de mars de HBR (Harvard Business Review) .
Le cas s’appelle « The Layoff » : Subtilité de la langue anglaise qui distingue « laying off », c'est-à-dire le licenciement pour cause économique, de « firing », licenciement plutôt pour signifier un départ demandé pour des raisons d’insuffisance professionnelle ou faute.
Ici, le cas, c’est celui où la crise oblige à réduire les coûts de personnel, globalement.
Le cas se passe dans une entreprise américaine, mais il ressemble, tellement il est « banal », à des situations que l’on connaît en Europe et en France.
Il concerne un dirigeant d’une entreprise de distribution d’accessoires pour la maison qui est en train de voir ses ventes s’effondrer, au profit de distributeurs de produits moins chers, et avec un service clients beaucoup plus mauvais.
Ses résultats sont en retard de 20% sur les prévisions faites à l’actionnaire, et les profits s’effondrent, malgré toutes les actions entreprises pour réduire les stocks et les coûts externes, ainsi que les efforts de promotions, de baisse des prix,…
Ce dirigeant a toujours promu une politique de service client de haut niveau, qu’il associe à une vraie politique de bien traiter ses employés (car un employé satisfait, c’est un client satisfait).
Et là, boum badaboum, c’est la mauvaise spirale.
La seule issue serait alors de réduire les coûts salariaux, et donc les effectifs.
Et s’il ne s’y met pas, c’est son propre job qui va être menacé par les actionnaires et le conseil d’administration.
Alors, il décide de convoquer un comité de direction spécial le lendemain après midi pour parler du sujet, et en décider. Il demande à chacun de proposer un ou deux scénarios pour traiter le problème.
Le cas nous promène alors dans les discussions des membres du comité de direction de cette entreprise, en préparation de cette réunion exceptionnelle.
Lisa, directrice des services juridiques, est invitée à déjeuner par le Directeur Financier dans la salle à manger privée d'un restaurant chic, à l’abri des oreilles et des yeux indiscrets, pour une discussion « sérieuse ».
Selon ce Directeur Financier, une réduction de l’ordre de 10% des effectifs génèrerait suffisamment d’économies pour ramener le niveau de profits au niveau attendu par Wall Street (c'est-à-dire la Bourse et les actionnaires du marché).
Et la discussion va alors porter sur le sujet : QUI ?
Il ne paraît pas judicieux au Directeur Financier de « toucher » aux responsables des magasins, car il est important de maintenir un bon service clients.
Le mieux est de réduire le « middle management », Il propose une politique de « first-in, first-out », permettant de sortir les plus anciens qui ne sont plus très performants.
La bisque de tomates servie par le maître d’hôtel de cette somptueuse salle à manger aidant à l’inspiration, Lisa émet une autre option : plutôt qu’une discrimination par l’âge, pourquoi ne pas plutôt se baser sur les évaluations, et faire partir ceux qui ont eu les plus mauvaises évaluations (les 10% les moins bien évalués), quelle que soit leur ancienneté.
Nous pénétrons alors dans un autre endroit de cette entreprise : le bureau de la responsable des Ressources Humaines, où s’est invité le Directeur de
Le directeur de la stratégie a une proposition simple : il n’y a qu’à licencier les derniers arrivés dans l’entreprise, jusqu’à atteindre le chiffre nécessaire de 10%.
Cela permettra de limiter au minimum le coût des licenciements, et de résoudre notre problème à court terme sans se compliquer.
La Directrice des Ressources Humaines ne voit pas les choses aussi « simplement » et « mathématiquement » que le Directeur de Ne vaudrait-il pas mieux remettre en cause notre stratégie, analyser quelles Business Units ne sont plus nécessaires à notre stratégie et les vendre ? Et puis, parmi nos employés, nous avons de grands talents que nous avons recrutés récemment avec beaucoup d’espoirs en eux ; est-ce le moment de s’en débarrasser comme ça ? Et comment recruter demain de grands talents, si nous jetons comme ça ceux que nous avons aujourd’hui ? Mais le Directeur de la Stratégie ne se laisse pas démonter : nous avons un problème maintenant ; nous penserons au futur plus tard. Enfin, nous suivons un jeune cadre ambitieux et idéaliste, du service Marketing et Stratégie, en qui le Directeur Général fonde de grands espoirs (il le voit bien un jour atteindre le Comité Exécutif), qui prend l’initiative de franchir le pas de son bureau. Ce jeune cadre vient de discuter avec une jeune cadre du service Communication qui est complètement paniquée par les rumeurs de licenciement qu’elle a entendues, et se voyant déjà missionnée pour en faire l’annonce. Il se confie au Directeur Général. Il a relu les « valeurs » qui sont affichées dans tous les bureaux de l’entreprise : « L’entreprise est faite de 12.000 employés dont le principal objectif est de servir au mieux leurs clients, par des produits d’excellente qualité, au meilleur prix, avec le meilleur service clients au monde. Ce service clients exceptionnel commence par des collaborateurs talentueux et innovants ». Alors, n’y-t-il rien d’autre à imaginer qu’un plan de licenciements ? Par exemple une baisse des salaires, ou d’autres mesures. En fait, il n’a pas trop d’idées. Le Directeur Général est sensible à ces réflexions, et invite ce jeune cadre à participer au comité de décision du lendemain. Le lendemain, alors que les membres du comité arrivent dans la réunion, le Directeur Général est averti que le Président du Conseil veut lui parler au téléphone en urgence... Et le cas se termine par cette question : Quelle est la meilleure stratégie pour le Directeur Général ? Pas simple… Vous en pensez quoi ? Intéressant d’y réfléchir. Et d’imaginer ce que l’on ferait à sa place. Leurs analyses sont édifiantes. La suite ci-dessous...
Le personnage important de ce cas, c'est celui qu'on ne voit pas : le Board, l'actionnaire, le Conseil d'Administration, celui qui est au bout du téléphone en urgence (comme Charlie quand il s'adresse aux "drôles de dames"). On aniticipe son attente, comme une divinité à qui il faudrait sacrifier une partie du personnel (le chiffre de 10%) pour éviter que la foudre ne s'abatte sur nous.
Situation classique où cet actinnaire imaginé sert de paravent à la mauvaise gestion.
Car les signes de mauvaise gestion sont assez flagrants : qu'est-ce que c'est que ce marketing de l'excellence qui conduit à perdre des clients au profit d'un concurrent dont on pense que le service client est nul ?
Jürgen Dormann, ex CEO de Adecco, ABB, Aventis, Hoechst, interrogé en tant qu'expert par le journal, nous donne son expérience : avant de se précipiter sur la solution des licendiements, ne faut-il pas responsabiliser les managers à tous les niveaux pour identifier et mettre en oeuvre vtoutes les pistes d'économies; à commencer par le train de vie,qui, apparemment, permet à deux cadres de direction de fréquenter un restaurant chic, dans une salle à manger privée, afin de couper les têtes en dégustant une bisque de tomates servie par un maître d'hôtel aux petits soins ?
Ne faudrait-il pas plutôt commencer par adpater le train de vie à la situation ?
En fait ce dont le cas ne parle pas, c'est justement de toute cette mobilisation qui fait le succés des transformations d'entreprises; la solution des "layoff" est celle que l'on retient dans l'urgence, par défaut de vision stratégique, par manque d'anticipation.
Cette mobilisation, elle commence par le comité de Direction lui-même : quelle drôle d'idées, fait remarquer un des experts, que d'inviter au Comité de Direction un directeur qui n'en fait pas partie, parce qu'il a de bonnes idées...
C'est justement dans ces périodes que la responsabilité du Comité de Direction prend tout son sens; il peut consulter, écouter, mais cette décision ne se délègue pas.
En fait, cette séparation entre le Président invisible et le Directeur Général qui essaye de s'en sortir n'est pas l'organisation idéale en temps de crise; un seul chef, ayant les pouvoirs d'entraîner sous son entière responsabilité son comité de Direction permet d'aller plus vite et d'être plus efficace.
Enfin Bob Sutton fait remarquer que les solutions générales visant à supprimer les 10% les moins bien évalués est la pire des réponses.
Car, on le sait, les systèmes d'évaluations sont la plupart du temps mal ficelés, biaisés, et ne permettent pas de prendre ce genre de décisions.
En fait, la solution proposée est plus ou moins la même pour les trois experts : le sujet n'est pas de faire une coupe aveugle dans les effectifs, avec des critères généraux, mais de se reposer la question de la stratégie et de la performance, Business Unit par Busines Unit, Département par Département.
Pour cela, le comité de direction est en première ligne.
Peut-être que, pour lancer une telle dynamique, la première personne à sortir est-elle ce Directeur Général lui-même.
A minima, il peut sembler urgent de reconsidérer le système de management de son comité de Direction..
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