Les "Mais pas trop"
10 janvier 2009
On pourrait les appeler les "Mais pas trop". Qui sont-ils ?
Ce sont ces personnes qui ont construit leur comportement sur une sorte de "détachement" les faisant considérer que tout ce que l'on pourrait appeler "engagement" ne relève que de l'aliénation, et ne peut mener qu'à "se faire avoir".
Dans l'entreprise, cette attitude est particulièrement analysée en ce moment par de nombreux "sociologues" qui, à coup d'enquêtes et d'interviews, renvoient ce miroir.
Le Figaro Magazine exploitait ce filon la semaine dernière dans son dossier " Bien dans sa vie en 2009". Avec forcément un article, signé S.R (Ségolène Royal ?!! ...Non, j'ai trouvé quelques pages avant que c'était plutôt Sophie Roquelle) sur : "Le bureau, mais pas trop". Et appelant à commenter François Dupuy, professeur à l'Insead. Il avait déjà traité en 2005"la fatigue des élites", et annonce pour cett année "Le nouveau combat des chefs : la vie quotidienne des entreprises au XXIème siècle" (il ne se mouche pas du coude, comme on dit, l'ami François, avec un titre pareil !).
François Dupuy nous le redit donc : " Les jeunes cadres ne placent plus leur vie professionnelle au-dessus de tout." "Ils transfèrent leur engagement affectif vers des causes plus nobles". etc...
Bien sûr, en utilisant une formule comme "au-dessus de tout" (de tout quoi ???), on ne risque pas d'attirer les suffrages...Mais y-a-t-il encore une signification à cette expression "au-dessus de tout" ? Ok, ils ne mettent pas leur vie professionnelle "au-dessus de tout", mais, précisément, ils mettent quoi au-dessus de tout ?
En fait, ces propos de magazines et d'enquêtes diverses ne me semblent pas aller au fond des choses, ni refléter la situation réelle des entreprises (ce qui est normal, la plupart de ces auteurs ne mettant jamais les pieds dans la moindre entreprise, et n'ont jamais connu l'expérience concrète du management, ni en tant que manager, ni même managé. Leur seule référence c'est l'Université ou les Directeurs de Recherche du CNRS....c'est dire !!).
Cette attitude de "désengagement" elle caractérise des individus qui se "désengagent" de beaucoup de choses : "le bureau, mais pas trop", mais aussi "ma mère, mais pas trop", "mes amis, mais pas trop", "bien manger, mais pas trop", "toi, toi, l'Autre, mais pas trop",...et ça finit par devenir à l'intérieur "Moi, mais pas trop"...Une dépreciation de soi-même, un manque de confiance en soi, une méfiance générale, la peur de s'engager, la peur de tendre la main, la peur de tout. J'avais déjà évoqué les "désengagés de l'intérieur".
Comme si accepter de vivre sa vie pleinement, à chaque instant, en toute occasion, c'était interdit, mauvais, pas digne de soi, .... Alors on passe sa vie à l'économiser, de "mais pas trop" en "mais pas trop"...Et on connaît, malheureusement, la fin d'une telle histoire de vie. Et même si l'on considère que cette attitude est réservée au temps passé dans l'entreprise, est-ce si sûr ? Vivre, c'est un tout.
Alors, bien sûr, l'entreprise, le lieu où la plupart passe l'essentiel de leur temps, c'est le lieu idéal pour exprimer et se complaire dans cette attitude.
Derrière cette attitude, il y a une conviction que "donner" (son temps, sa joie, son enthousiasme pour les autres, et pire, pour le patron,..) c'est se trahir.
Le pire pour l'entreprise c'est que ces attitudes répondent à une autre attitude, celle des "managers", qui eux, ne "recevant" pas assez de leurs collaborateurs, vont, eux-aussi, en "donner" le moins possible, se plaignant eux-mêmes que leurs chefs à eux ne leur donnent pas assez non plus; c'est une chaîne sans fin :
Tu es là pour exécuter les tâches que je te demande. moi le manager, et je n'ai pas à recevoir tes états d'âmes...Le management, vu froidement par la technocratie, c'est "je décide, tu exécutes".
Et dans les entreprises où ces comportements se répandent du haut en bas de la hiérarchie, que constate-t-on ?
Une paralysie générale, des comportements agressifs, le manque d'enthousiasme, la perte d'idées, le manque d'innovation, la routine, l'ennui....Et de plus en plus de "Mais pas trop", qui se reproduisent entre eux, comme le défilé des "morts vivants"...Brrrr...
Pour essayer d'apporter une réponse, certains "experts" ont trouvé une formule : "la promesse employeur"...
Les auteurs qui ont creusé la question proposent de mieux formaliser des "règles mutuelles d'engagement" dans un "contrat employeur qui servira de socle à la confiance"...
Peut-être...
Mais, honnêtement, peut on imaginer que la confiance, l'engagement, la transformation des morts vivants "Mais pas trop" en collaborateurs engagés se règlera par des paperasses de "contrat" et de "promesses"..? Difficile à croire, non ?
Ce qui manque en fait dans ces relations entre ceux qui ne veulent pas trop donner, et ceux qui trouvent qu'ils ne reçoivent pas assez, c'est une valeur trés spirituelle, qui nous bient de loin :
C'est la générosité.
Cette générosité, c'est l'huile qui fait faire des miracles (pour rester dans la métaphore spirituelle) aux communautés humaines qui en sont imprégnées (comme une grâce)..C'est un ingrédient fort de l'esprit d'entreprise.
Regardons autour de nous : combien les personnes que nous décrivons comme "généreuses" nous semblent heureuses, heureuses de donner sans compter ce qu'ils reçoivent.
Et combien ces "Mais pas trop" nous semblent malheureux et à moitié morts...sans joie...quel que soit l'objet de leur "mais pas trop" (l'entreprise ou autre).
Cette générosité, ce n'est pas la vanité de se croire irréprochable, et d'être exigeant, intolérant vis à vis des autres; avec un tel état d'esprit d'intransigeance, on est toujours déçu des autres et de soi-même...on recherche en vain la perfection inatégnable ...des autres et de soi. Non, cette générosité, c'est aussi celle qui fait accepter, qui accueille comme une bonne nouvelle les faiblesses des autres, et ses propres faiblesses, comme un signe d'humanité, comme un pardon que l'on fait à l'autre et à soi-même.
Mais il est certain que se donner comme programme de faire se déployer et reproduire de la générosité dans son entreprise et dans sa vie, c'est une autre paire de manches que de faire des "contrats" et des "promesses employeur". C'est plus difficile que de verser des larmes de crocodile dans des exposés sociologiques...
Cela relève plus de l'expérience individuelle, de décisions personnelles, de valeurs personnelles de la transmission de valeurs entre les personnes, du respect. Si tout ça a l'air défaillant dans l'entreprise, inutile de chercher bien loin : ça vient d'abord du dirigeant, des membres du comité de Direction, des managers...Etc...Comme les animaux malades de la Peste, "ils ne mourraient pas tous; mais tous étaient frappés"...
Et pourtant, il est trés difficile de rendre performante une entreprise, qui est d'abord une communauté humaine avec ses interactions, sans cette dose de générosité. C'est elle qui fait que les savoirs et les idées circulent dans l'entreprise, que les informations s'échangent, que les équipes solidaires existent, que les ambitions déplacent les montagnes. Comment peut on imaginer d'implanter le moindre système de "knowledge management" sans générosité partagée ?
On en revient aux "valeurs" de l'entreprise qu'il est de plus en plus difficile de faire prendre au sérieux par des personnes qui ont remplacé celles-ci par la désinvolture et le cynisme. Les premiers menacés par ces démons étant souvent en priorité les dirigeants eux-mêmes. Les cadres dont parlent les magazines ne faisant que reproduire ces comportements.
Il est donc parfois nécessaire de lancer un programme de "reengeneering des valeurs" de l'entreprise pour pouvoir repartir, et redonner de l'élan, le goût du risque, et la volonté de croissance.
Joli programme , non ?
Cela commence par une question simple et personnelle pour chacun .. Je vous laisse la deviner...
Résultat du sondage :
L'entreprise que j'admire, elle est comment ?
17.56% | Elle me manifeste de la reconnaissance | |
16.21% | Elle me paye bien | |
18.91% | Elle fait de moi quelqu'un d'exceptionnel | |
28.37% | Elle m'inspire | |
8.1% | Je n'en admire aucune : toutes les mêmes | |
10.81% | Elle est pour le Développement Durable |
74 personnes ont répondu à ce sondage
Être inspiré, se sentir quelqu'un d'exceptionnel, voilà un beau challenge pour l'entreprise qui veut séduire...
Ah, l'amour, toujours l'amour, eh oui, dans l'entreprise aussi c'est l'amour qui fait toute la différence, merci Gilles !
Rédigé par : Jean-Louis Richard | 10 janvier 2009 à 15:21
L'entreprise n'est pas une oeuvre de bienfaisance...
Je ne suis pas sûr que parler de générosité dans le cadre de l'entreprise soit pertinent. C'est une notion qui a cours dans les ONG, pas dans l'entreprise. Dans la notion de générosité, il y a une notion de gratuité. Mais le patron voudra un travail en quantité et en qualité en échange du respect et de l'écoute de ses salariés. L'employé voudra au minimum de la reconnaissance, en échange de son engagement. La générosité ne demande rien en retour.
Je préfère parler de respect mutuel et de convivialité.
Mais d'accord pour dire que ce ne sera pas un "contrat" qui règlera la question.
Au plaisr de vous lire.
Rédigé par : Bernard Sady | 12 janvier 2009 à 21:37
Il est un peu facile de tirer des généralités en un article et de prétendre avoir tout compris là où les spécialistes s'arrachent encore les cheveux à évaluer l'étendue du phénomène. On ne s'improvise pas psychologue.
Moins de démagogie et plus de pragmatisme, merci M. Martin.
Rédigé par : JM | 09 février 2009 à 10:06
JM : merci de votre courage pour ce commentaire anonyme plein de conseils bienveillants. j'espère que vous avez encore des cheveux; vous m'avez l'air d'être d'un vrai spécialiste...
Rédigé par : Zone Franche | 09 février 2009 à 10:25
Bonjour,
j'ai trouvé votre article, par son contenu et son style, très intéressant et plein de vérités. Je découvre aujourd'hui votre blog et y reviendrai.
Comme l'a dit Yves Clot, professeur de psychologie du travail "ce ne sont pas les gens qu'il faut soigner, mais le travail"... accompagner les personnes et soigner le travail, un début de piste.
Rédigé par : Isabel | 09 février 2009 à 12:54
Je partage car l'engagement reste la seule valeur sure
Rédigé par : businessangel | 29 avril 2009 à 11:19