Faut que je fasse tout ici !
13 décembre 2008
C'était dans Le Figaro de mercredi 10 décembre, un reportage de Charles Jaigu et Bruno Jeudy, dans un endroit que bien peu d'entre-nous peuvent fréquenter : Le Conseil des Ministres.
Une citation, d'un "ministre" (on ne saura pas lequel) m'a intrigué :
"C'est devenu une réunion de comité de direction d'entreprise. On y débat de stratégie".
J'ignore si ce ministre a jamais fréquenté le moindre comité de direction d'entreprise, mais voilà un intéressant point de comparaison.
D'abord, est-ce que l'on peut comparer un conseil des ministres, réunis autour d'une table chaque mercredi à plus de 40 personnes (il y a une photo dans l'article du Figaro, ça en jette, c'est sûr), avec un comité de direction d'entreprise ?
Et puis débattre de stratégie, ça veut dire quoi exactement ?
Alors, pour y voir de plus près, il suffit de lire cet article, et là, on n'est pas déçu...
D'abord, pour faire "comité de direction d'entreprise" il y a le timing, et lui il aime le timing : chaque ministre ne doit pas parler plus de trois minutes. Et si on dépasse, ça l"énerve, lui, comme en témoigne un autre ministre :
"Le Président commence à tripoter son stylo, il remue sa jambe, s'impatiente" (j'avais remarqué ça moi aussi, ICI).
Bon, cette histoire des trois minutes, comme dans un jeu télévisé, c'est bon pour les ministres, mais pour le Président, c'est différent :
" Il se sert de ce moment pour rôder ses argumentaires.(...). Il n'hésite pas à se lancer dans des exposés fleuves. Quitte ensuite à raccourcir l'ordre du jour."
"Les ministres regardent aussi Sarkozy faire ses numéros quasi hebdomadaires. Un "One Man Show" où il donne aussi libre court à ses colères".
Et là, côté colère, ça a l'air chaud, la principale source de colère, apparemment, c'est ce qu'il appelle "la cohérence, la cohésion"; en clair, ça veut dire que ceux qui ne sont pas d'accord, ils n'ont qu'à partir...citation de l'intéressé :
" Il faut de la cohésion. S'il y en a qui ne sont pas d'accord, ils n'ont qu'à partir. Il y a un manque de professionnalisme de certains sur certains dossiers. J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire quatre ou cinq fois; je ne répèterai pas une sixième ! La prochaine sortie de route, c'est dehors !".
Ce qui est notable là-dedans, c'est le "certains" ceci, "certains" cela...c'est top pour la cohésion; on suspecte sans nommer, on insinue, on menace...Méthode effectivement originale pour motiver et créer la cohésion.
Bon, et des fois, apparemment, la colère le pousse à bout, comme lors du conseil des ministres délocalisé en Corse où quelque chose de particulièrement grave s'est passé (oui, c'est plein de trucs horribles ce reportage du Figaro; ne le faîtes pas lire à des personnes trop sensibles) :
Lors de l'arrivée du Président, l'huissier chargé d'annoncer l'arrivée du président a oublié de vérifier que tout le monde était bien à sa place...et il manquait François Fillon...
Forcément, "ce couac agace le président", et il se précipite à la fenêtre..
Et, dernière saillie :
"Faut que je fasse tout ici...bougonne-t-il en fusillant du regard le secrétaire général du gouvernement !"
Quelle horreur, non ? Et quelle maîtrise dans la gestion de ce qui ressemble à "un comité de direction d'entreprise" : un couac, et c'est le drame, et on fusille du regard le coupable, et on montre bien à tout le monde qu'on est vraiment indispensable...
Bon, tout ça n'est pas exactement le modèle des bonnes pratiques d'un comité de direction d'entreprise efficace...la cohésion, la stratégie, la solidarité, oui, mais ces histoires de "trois minutes" , les monologues du chef, les "colères" mises en scène, les "moi, moi, moi, je suis indispensable", tout ça, dans nos entreprises, on essaye de l'éviter...
Et puis cela inspire aussi une autre réflexion : tous ces ministres qui se sont livrés ainsi aux deux journalistes du Figaro, en débinant leur chef, quelles langues de putes, vous trouvez pas ? Il ne les tient pas si bien que ça le chef en question; c'est pas trop la cohésion; il devrait peut-être le "redire une sixième fois", voire même une septième, une huitième,...car, il doit être convaincu que, quand quelque chose ne marche pas il suffit de "faire plus de la même chose", comme en sont convaincus ceux qui le pratiquent avec constance et réussissent toujours...à échouer (merci Watzlawick);
ou bien tous ces ministres se défoulent pour pleurer leur malheur.
Quelle que soit l'explication, ça laisse songeur aussi...
Finalement, c'est peut être pas si marrant que ça d'être dans un comité de direction avec un chef pareil...
Excellent post, Gilles, à la fois drôle et instructif. N'idéalisons pas trop les comités de direction, tout de même... Mais enfin, oui, je crois comme vous que les politiques auraient de sérieuses leçons de management à prendre. A mon avis, ils auraient tout intérêt pour commencer à faire l'expérience du coaching. Ils n'imaginent sans doute pas ce qu'ils y gagneraient en efficacité ! Car ils ont souvent une véritable vista, un grand flair dans les relations de pouvoir, une capacité de séduction. Y rajouter un peu de rigueur et quelques outils de management leur permettraient de franchir un palier et de renforcer une autorité saine.
Rédigé par : Marc Traverson | 13 décembre 2008 à 18:37
effectivement C'est le BaBa du fonctionnement d'un groupe que ne connait pas "ce monsieur" il ferait bien de lire Watzlawick, Bion et consort....
Mais souvenez-vous, la princesse de Clève s'était déjà trop pour lui ...
Rédigé par : Maryvonne Leray | 13 décembre 2008 à 21:39