Leadership en mille-feuilles
La vie en vrai

Un pompier qui abandonne ses outils !

Fireman

Un des collaborateurs de PMP a mis malicieusement entre mes mains un article de la revue « Administrative Science Quarterly » de Karl E. Weick, faisant référence à une étude conduite par le fondateur de cette revue, en 1956, James D. Thompson.

Ça commence bizarre non ?

Et pourtant j’ai compris pourquoi cet article pouvait paraître terriblement actuel en ce moment où l’on parle de « crise », et de « nouveau capitalisme »…Et où nombreux (surtout les fonctionnaires) sont ceux qui cherchent à inventer de nouveaux "outils de régulation" pour nous sauver du feu de la crise...Et si c'était l'inverse ?

 

De quoi parle cet article?

 

Il relate deux faits divers où des pompiers, dans des circonstances similaires, sont morts dans un incendie faute d’avoir laissé tomber leurs lourds outils, et ainsi empêchés de courir plus vite et d’échapper aux flammes.

Alors, bien sûr, la question, c’est : mais pourquoi n’ont-ils pas abandonnés leurs outils ? Pourquoi ont-ils préférés (même inconsciemment) rester lestés de ces lourdes charges plutôt que de sauver leurs vies ?

Et bien sûr, le propos de James D.Thompson est de nous amener à faire un parallèle avec de nombreuses situations dans nos entreprises (et plus précisément dans le domaine de la recherche en organisation en ce qui le concerne), où nous aussi, nous n’arrivons pas à abandonner nos lourds outils et succombons (moins dramatiquement que les pompiers néanmoins), ou, en tout cas, n’arrivons pas à survivre au changement, à la crise, etc.…

Cela m’a fait penser à ces entreprises où les dirigeants, parfois éclairés par les recommandations judicieuses de leurs « conseils », disposent de tous les éléments pour prendre la bonne décision qui leur fera éviter le pire (abandonner les outils), et qui pourtant ne font rien, continuant à manager leur organisation avec les méthodes et outils qui les mèneront à l’échec (brûler avec les lourds outils à la main).

Alors, pour être de bon conseil, et permettre aux dirigeants de se transformer à temps, portons attention aux explications des causes de ce phénomène qu’a identifié James D. Thompson :

-          l’écoute : le pompier n’a pas entendu les instructions du chef qui lui disait d’abandonner les outils, à cause du bruit, des cris, des flammes,… Peut-être aussi a-t-il reçu les instructions avant, mais il ne s’en est pas rappelé au moment crucial.

-          La justification : peut être que le pompier a entendu ou s’est souvenu des instructions, mais il ne lui a pas semblé justifié de les appliquer à ce moment précis. Il est comme ce dirigeant qui entend bien les recommandations, mais reste convaincu qu’il n’est pas nécessaire de les appliquer, d’autres stratégies étant tout aussi, voire plus, applicables.

-          La confiance : Peut-être que le pompier ne fait pas confiance à la personne qui lui donne l’instruction ou le conseil d’abandonner ses outils : il la connaît depuis peu, il n’a pas d’histoire passée avec lui,…peu importe, il ne se sent pas prêt à suivre tout ce qu’elle lui demande. Dans nos entreprises, on voit aussi ces comportements des dirigeants ou managers face à leurs pairs, leurs conseils, leurs chefs. Preuve que la confiance ne se décrète pas comme ça.

-          Le contrôle : Peut-être que pour le pompier, le fait de garder avec lui ses outils lui donne l’impression de garder le contrôle, car il connaît l’usage de ces outils, et ils sont pour lui l’instrument pour résoudre les problèmes qu’il connaît. Sans outils, il peut imaginer qu’il perd le contrôle, qu’il ne sait plus quoi faire. Dans nos entreprises, c’est la même impression : je garde mes habitudes, mes outils, mes méthodes, car ils me donnent la conviction de pouvoir maîtriser toute situation, et, sans eux, je me sens impuissant. Je n’arrive pas à me remettre en cause.

-          Capacité à abandonner : Peut-être que le pompier garde ses outils car il ne sait pas comment faire pour les abandonner. Il peut penser à laisser ses outils dans un endroit où ils ne risquent pas de brûler, où il pourra venir les rechercher après. Et le temps qu’il trouve ce fameux endroit, il garde les outils, et brûle avec eux..Dans nos entreprises, idem : quand on a appris toute sa carrière à entretenir les outils pour qu’ils servent le plus longtemps possible, à en capitaliser tous les usages, il devient très difficile de changer brusquement de point de vue et de les abandonner comme ça, sans se poser de questions. Dans certaines situations managériales, cette attitude est appelée « deuil ». C’est dire…C’est pourquoi on préfère parfois mourir que de s’engager dans un tel deuil de ses outils, des méthodes du passé, etc…On les connaît ces dirigeants pour qui il est au-delà de leur capacité physique de changer quoi que ce soit à l’existant ; et le conseil qui s’évertuerait à le convaincre de changer ne ferait que contribuer à se faire tuer par lui.

-          Capacité à faire autrement : C’est le prolongement de la cause précédente. Le problème n’est pas toutefois, ici, la capacité à abandonner les outils, mais plutôt la peur de devoir faire autrement.

-          L’échec : Abandonner ses outils, c’est peut-être perçu pour le pompier comme un aveu d’échec. Et il n’aime pas s’avouer en échec. Alors il continue. Il fait comme si. Dans l’entreprise, ces comportements sont ceux du dirigeant qui persiste à se convaincre, et à tenter de convaincre ses troupes, qu’on va y arriver, qu’il suffit de faire encore plus comme d’habitude, et qu’on en sortira. Dans la crise actuelle, ce sont ceux qui vont s’illusionner sur une histoire de type « serrons les dents ; continuons ; travaillons plus…et tout ça va passer…le printemps va revenir…et les beaux jours avec… ». Ce genre d’auto- prophétie, on n’a pas fini d’en entendre dans le rang des entreprises qui sont en train de se faire dévorer par le feu de la crise. (un très bon bouquin pour comprendre ce phénomène, et éviter de se laisser infecter par lui, est : « Qui a piqué mon fromage ? »).

-          Ignorance collective : Peut-être que le pompier, voyant que ses collègues gardaient leurs outils, même si lui se disait que peut être il devrait les abandonner pour sauver sa peau, a préféré faire comme eux plutôt que de se marginaliser. Dans nos entreprises, ce phénomène d’ignorance collective est fréquent. On se « benchmark » pour se rassurer. On n’ose pas se distinguer…Pas facile d’être son propre architecte.

-          Mauvaise perception des conséquences : Peut-être que le pompier n’a pas abandonné ses outils car il ne perçoit pas vraiment les conséquences de ce geste. Il pense que les vrais problèmes à traiter sont le vent, les flammes, le terrain, alors que le fait de porter ou non les outils ne représente qu’un changement mineur, et donc que de les garder ou non ne changera pas grand-chose. Idem dans nos entreprises : ce qui compte ce sont d’autres phénomènes, la concurrence, la conjoncture, etc…Alors les outils, les méthodes, ce sont des petits trucs à côté, sans importance. Et donc, comme ces petits changements (qui feront pourtant toute la différence) semblent triviaux, on préfère ne rien changer….jusqu’au moment où….ça brûle.

-          Identité : Pour le pompier, ses outils, son uniforme, sa démarche, tout ça c’est comme son identité. Sans eux, il n’est plus rien, il est un minable, il n’existe plus. Il perd sa fierté, sa virilité. Alors, il mourra comme un pompier. Pas besoin d’en dire beaucoup plus pour reconnaître ces dirigeants qui eux aussi, ont besoin de ces outils et costumes pour se donner l’illusion d’exister, et ne savent pas se remettre ne cause.

Avec ces dix causes de la mort du pompier, on a de quoi réfléchir au management de nos affaires dans la crise, aux décisions (et non décisions) à prendre (et à ne pas prendre).

Et puis, il y a peut être aussi un message pour les "régulateurs" et "inventeurs de nouveaux outils" en tous genres pour "aider" ...les PME, les banques, les entrepreneurs....

Eh ho, et si pour éviter aux entrepreneurs de brûler dans le feu de la crise, il fallait plutôt abandonner les outils et courir plus vite...?...

Reste à savoir de quels outils il faut les alléger...

Pour ça, les administrations  ont plein d'outils d'analyse...

Pourvu qu'elles ne brûlent pas avec !

Commentaires

aziz zeriouh

Cet article prend ton son sesn pour les entreprises centenaire.
En effet, comment convaincre qu'il faut changer, alors que l'entreprise a traversé les années.
Les étapes de James D. Thompson nous permettent de repérer directement le point à améliorer.
Merci pour cet article de grande qualité.

Elise

Cette problématique des outils devenus des "boulets" est très intéressante.

On revient une fois de plus sur la LUCIDITE des dirigeants qui ne doivent pas être enchaîner par des tableaux de bord hallucinents.

En résumé, le thermomètre ne fait pas baisser la fièvre. Certains l'oublient parfois.

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