Les oreilles de Mickey
Premier lundi, chaque mois

La crise va-t-elle tuer le pouvoir dans l'entreprise?

Crise1  Avec la crise, on va retrouver un type particulier de comportement chez les dirigeants d'entreprise : la perte de l'expression du pouvoir.

La situation est simple : c'est la crise; on doit subir de nouvelles contraintes (perte d'activité, des marchés moins ceci ou plus cela, etc..). En clair, un risque de pénurie (de cash, de moyens, de confiance,..) qui nous oblige à agir.

Jusque là rien à dire : c'est vrai que la nouvelle perspective pour 2009 oblige à faire quelque chose, à ne pas anticiper l'année comme si il ne se passait rien.

Mais là où il y a dérive c'est quand les décisions qu'imaginent les dirigeants face à cette perspective sont également présentées comme des nécessités logiques.

Exemple : la crise, donc on va licencier; la crise, donc on ne va pas donner de bonus au personnel, la crise donc on ne va pas investir dans ce projet, la crise donc on va modifier l'organisation, la crise donc on va remplacer la DRH par quelqu'un de plus costaud, la crise, donc on baisse les prix, la crise, donc on baisse la qualité pour produire moins cher, etc...Tout un tas de "donc" qui n'ont rien du tout d'évident. Comme on dit "la crise a bon dos".

D'ailleurs, les dirigeants le savent bien, certains l'avouant même ouvertement : "grâce à la crise, on va pouvoir faire passer des décisions qu'on n'aurait pas pu prendre en temps normal"..Ces décisions, ce sont celles qui demandent du courage, qui obligent à assumer. Alors qu'avec le prétexte de la "crise" on va pouvoir se réfugier derrière elle. Et raconter n'importe quoi. Sans s'avouer responsable.

En fait celui qui prend ces décisions "à cause de la crise", va se valoriser en considérant qu'il prend cette décision grâce à sa compétence et sa clairvoyance sur ce qu'il faut faire face à la crise, mais va considérer que ces décisions sont "imposées par la crise", et non le fait de l'exercice de son pouvoir de dirigeant. Une sorte de pouvoir de décision sans pouvoir.

C'est comme si le pouvoir était devenu purement gestionnaire, conséquence d'une analyse de la situation pour laquelle il n'y aurait qu'une réponse possible, celle que le dirigeant a identifiée et propose de prendre. Dans cette posture, assez manipulatrice, le pouvoir réel du dirigeant se cache derrière ce paravent de "l'obligation de la crise", comme si c'était "Madame la crise" qui avait pris les commandes de l'entreprise, prenant en otage le dirigeant qui aurait bien aimé être trés gentil, et est obligé de subir et d'appliquer.

Tout cela n'est que démonstration de manque de courage, et de manque de responsabilité des dirigeants des entreprises.

Cette grille de lecture de la dissociation entre décision et pouvoir, c'est celle de Lucien Sfez, qu'il a particulièrement étudiée appliquée à la société française et au "pouvoir" politique. Elle revient dans l'actualité avec cette histoire de crise.On la voit dans les discours des politiques, notamment en France. Et s'applique bien aux situations d'entreprises aussi.

Les dirigeants qui vont se réfugier dans cette dissociation entre décision et pouvoir, communiquant sur le registre " je suis obligé de décider ceci ou cela à cause de la crise" sont probablement ceux qui vont perdre.

Inversement, d'autres ne vont pas abdiquer le pouvoir à la "crise" et à la "gestion". Au contraire, ils vont assumer leurs choix et leur volonté, fixant des ambitions, des projets pour le futur, en connaisance de cause.

ils vont prendre plus de risques; ils vont faire différemment des autres.

En décembre, dans de nombreuses entreprises, c'est la saison des "séminaires" de Comités de Direction sur les objectifs, les priorités, la stratégie, où j'ai parfois la chance d'être consultant (j'adore ce genre de cérémonies !). Un bon endroit pour observer ceux qui vont parler en disant "JE" et ceux qui vont parler en disant "LA CRISE"...

Tendons l'oreille, lorsque nous assisterons à ces messes : on identifiera ainsi ceux qui ont gardé le pouvoir et veulent s'en servir, et ceux qui n'osent pas décider ou assumer leurs choix...

Commentaires

Lilian Mahoukou

Il est un peu facile de se réfugier derrière la "crise" pour faire passer des décisions. Ces séries de décision peuvent être subies comme des "micro-traumatismes" car sans valeur. Au final, pour les salariés c'est de la méfiance, une vision défensive, une action collective minimalisée et une baisse de la performance.

Le contexte actuel est paradoxalement idéal pour tout dirigeant :

- optant pour la transparence et le dialogue
- portant ses responsabilités (en continuant à innover à l'interne comme à l'externe)
- faisant preuve d'éthique et exprimant fermement ses valeurs
- mettant tout en oeuvre pour développer la cohésion sociale au sein de son organisation

La transparence numérique élargit le champ de la génération de contenus, des consommateurs/utilisateurs aux employés (et surtout aux anciens employés).

Une fois la reprise amorcée et les indicateurs conjoncturels économiques embellis, quelle image aura-t-on laissé ?

Antoine

Et le raisonnement est applicable à l'extérieur de l'entreprise également... D'ailleurs, le gouvernement l'a bien compris pour faire passer ses réformes... ;)

Anne Pallatin

Ceux qui se cacheront derrière "la crise" vont apprendre à grandir. Toute crise est une crise de croissance. Un passage, une mutation d'un ordre vers un autre, et donc un changement de sens.
Patience et observation fine de l'environnement sont nécessaires, mais aussi détermination sur un objectif faisant sens pour le maintien et le développement des organismes, et puis... attitude calme et compréhensive pour que les changements s'opèrent sans violence.
Qu'il s'agisse des aberrations des ingénieries financières ou des comportements dévoyés de dirigeants ayant perdu le "sens commun" (exemple récent de l'argent des ecotaxes placé dans des valeurs hasardeuses de paradis fiscaux), le phénomène est le même : un repli régressif, un déficit de vision et le manque de dispositif de gouvernance globale. Nous sommes face à des barrières culturelles qui vont être difficiles à lever : il ne s'agit plus de jouer "cavalier seul" et fermer les yeux sur l'interdépendance de fait de l'ensemble des acteurs économiques. Aucun microcosme économique ne peut agir seul sans porter atteinte, tôt ou tard, à l'équilibre global. Voici l'heure d'appliquer une sociologie pragmatique... nous obligeant à développer des comportements de responsabilité "fraternelle" (Abel et Caïn sont toujours modernes.)
La bonne nouvelle est que nous disposons de modes d'apprentissage innombrables pour grandir et travailler ensemble à ces changements, qui seront douloureux pour les plus vulnérables auxquels nous devons veiller.
Parmi ces plus vulnérables, j'ose citer les partisans du statu quo, et, en particulier pour la France, les tenants de l'administration centralisée et les réseaux statiques d'élus locaux. Les crispations à dissoudre et accompagner sont historiquement enkystées et l'arthrose est forte ! Le patient nécessite une éducation thérapeutique active et de longue haleine.
Notre président, un activiste très à l'aise dans ce contexte de crise, s'occupe apparemment d'administrer le traitement... mais tout bon traitement doit viser un retour à l'équilibre et l'autonomie du patient. Et, ça, ce n'est pas l'affaire des activistes, mais des pédagogues.

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