La crise va-t-elle tuer le pouvoir dans l'entreprise?
30 novembre 2008
Avec la crise, on va retrouver un type particulier de comportement chez les dirigeants d'entreprise : la perte de l'expression du pouvoir.
La situation est simple : c'est la crise; on doit subir de nouvelles contraintes (perte d'activité, des marchés moins ceci ou plus cela, etc..). En clair, un risque de pénurie (de cash, de moyens, de confiance,..) qui nous oblige à agir.
Jusque là rien à dire : c'est vrai que la nouvelle perspective pour 2009 oblige à faire quelque chose, à ne pas anticiper l'année comme si il ne se passait rien.
Mais là où il y a dérive c'est quand les décisions qu'imaginent les dirigeants face à cette perspective sont également présentées comme des nécessités logiques.
Exemple : la crise, donc on va licencier; la crise, donc on ne va pas donner de bonus au personnel, la crise donc on ne va pas investir dans ce projet, la crise donc on va modifier l'organisation, la crise donc on va remplacer la DRH par quelqu'un de plus costaud, la crise, donc on baisse les prix, la crise, donc on baisse la qualité pour produire moins cher, etc...Tout un tas de "donc" qui n'ont rien du tout d'évident. Comme on dit "la crise a bon dos".
D'ailleurs, les dirigeants le savent bien, certains l'avouant même ouvertement : "grâce à la crise, on va pouvoir faire passer des décisions qu'on n'aurait pas pu prendre en temps normal"..Ces décisions, ce sont celles qui demandent du courage, qui obligent à assumer. Alors qu'avec le prétexte de la "crise" on va pouvoir se réfugier derrière elle. Et raconter n'importe quoi. Sans s'avouer responsable.
En fait celui qui prend ces décisions "à cause de la crise", va se valoriser en considérant qu'il prend cette décision grâce à sa compétence et sa clairvoyance sur ce qu'il faut faire face à la crise, mais va considérer que ces décisions sont "imposées par la crise", et non le fait de l'exercice de son pouvoir de dirigeant. Une sorte de pouvoir de décision sans pouvoir.
C'est comme si le pouvoir était devenu purement gestionnaire, conséquence d'une analyse de la situation pour laquelle il n'y aurait qu'une réponse possible, celle que le dirigeant a identifiée et propose de prendre. Dans cette posture, assez manipulatrice, le pouvoir réel du dirigeant se cache derrière ce paravent de "l'obligation de la crise", comme si c'était "Madame la crise" qui avait pris les commandes de l'entreprise, prenant en otage le dirigeant qui aurait bien aimé être trés gentil, et est obligé de subir et d'appliquer.
Tout cela n'est que démonstration de manque de courage, et de manque de responsabilité des dirigeants des entreprises.
Cette grille de lecture de la dissociation entre décision et pouvoir, c'est celle de Lucien Sfez, qu'il a particulièrement étudiée appliquée à la société française et au "pouvoir" politique. Elle revient dans l'actualité avec cette histoire de crise.On la voit dans les discours des politiques, notamment en France. Et s'applique bien aux situations d'entreprises aussi.
Les dirigeants qui vont se réfugier dans cette dissociation entre décision et pouvoir, communiquant sur le registre " je suis obligé de décider ceci ou cela à cause de la crise" sont probablement ceux qui vont perdre.
Inversement, d'autres ne vont pas abdiquer le pouvoir à la "crise" et à la "gestion". Au contraire, ils vont assumer leurs choix et leur volonté, fixant des ambitions, des projets pour le futur, en connaisance de cause.
ils vont prendre plus de risques; ils vont faire différemment des autres.
En décembre, dans de nombreuses entreprises, c'est la saison des "séminaires" de Comités de Direction sur les objectifs, les priorités, la stratégie, où j'ai parfois la chance d'être consultant (j'adore ce genre de cérémonies !). Un bon endroit pour observer ceux qui vont parler en disant "JE" et ceux qui vont parler en disant "LA CRISE"...
Tendons l'oreille, lorsque nous assisterons à ces messes : on identifiera ainsi ceux qui ont gardé le pouvoir et veulent s'en servir, et ceux qui n'osent pas décider ou assumer leurs choix...