Entrée des artistes
01 octobre 2008
Le discours général que l'on entend aujourd'hui sur les carrières des cadres, c'est : c'est fini de passer toute sa vie professionnelle dans la même entreprise, il va falloir changer plusieurs fois d'entreprise, de nouveaux parcours, etc...
Avec ce discours les entreprises se bagarrent pour s'arracher les candidats(les "talents") en compétition sur le marché de l'emploi. C'est la guerre des talents. Et les DRH deviennent des hommes de marketing, qui construisent des discours, des plans de communication, et autres outils, pour jouer à ce jeu à somme nulle où chacun se pique les cadres des autres...
Il suffit d'imaginer le phénomène pour en percevoir l'absurdité : le cadre A de la banque A est chassé par la banque B. Il se fait embaucher par B. Puis un cadre B de la banque B part chez la banque C, etc...Comme un jeu de chaises musicales, certains ne trouvent plus de place nulle part à un moment (les "seniors") ou n'arrivent pas à rentre dans le jeu (les "juniors"). Et les chasseurs de têtes se frottent les mains. Et on ne voit plus trés bien ce qui différencie une entreprise par rapport à une autre, ni ce qui fait leur performance.
D'autres, au contraire, choisissent une politique qui consiste à ouvrir la porte du recrutement aux candidats entre 23 et 25 ans, et à manager leur carrière pendant 20 ou 30 ans, en faisant le pari que les dirigeants de demain font partie de ces candidats, et que le job de l'entreprise c'est de façonner les CV de leurs "artistes". L'inverse de ce discours qui dit que l'on doit changer tout le temps d'entreprise.
On connaît ces entreprises qui adoptent de telles politiques (L'Oréal par exemple), et elles considèrent que c'est justement parce qu'elles fonctionnent comme ça qu'elles sont performantes. C'est pour cela qu'elles cherchent à être, et à rester, ce que l'on appelle "employeur de choix".
Et pour être cet "employeur de choix", où les jeunes veulent se précipiter, où l'on peut sélectionner les meilleurs, et faire de la gestion des talents une vraie compétence distinctive, il faut un vrai travail.
Quelle tristesse de voir ces experts du "marketing RH" s'imaginer qu'en peignant avec de jolies couleurs l'entrée des artistes, en offrant des bonbons, avec des jolis sourires, on va devenir la Comédie Française.
La plupart des ficelles que l'on trouve dans la littérature "marketing RH" sont des astuces de bonimenteurs, qui ne duperont personne, ou bien qui sont tellement banales qu'elles permettent peut être d'avoir des candidats, mais sûrement pas d'être "employeur de choix".
Dave Ulrich et Norm Smallwood, de l'Université du Michigan, ont étudié de prés ces entreprises "employer of choice" et les résultats de leur recherche sont particulièrement intéressants.
Parmi les caractéristiques de ces entreprises qui ont une marque de "développeurs de talents" qu'ils ont repérées :
- Elles considèrent le développement des employés comme un élément clé de leur stratégie : ce qui signifie notamment que tous les managers et le top management sont impliqués dans ce développement, et le considèrent comme une priorité. Et non réservé au marketing RH..
- Elles donnent la priorité absolue au recrutement par la promotion interne ("growth from within") : ce qui signifie que que le recours à une embauche externe pour les postes de management est un phénomène exceptionnel. Elles considèrent que leur façon de former et de développer leurs employés est un vrai avantage stratégique à long terme. Et que par exemple, les employés qui ont grandis ensemble dans l'entreprise, qui ont fréquentés les mêmes tranchées, seront plus forts et performants pour le travail en équipe, la coopération transverse,etc...
- Elles savent bien quelles sont les compétences et qualités qui comptent pour leurs employés : bien sûr ces modèles existent, mais ce qui fait la différence, c'est de les appliquer réellement.
- Elles sont des expertes en recrutement : Elles recrutent des personnes, et non des postes. Elles savent où chercher, et constituer les "talent pools" qui vont bien.Comme elles privilégient la promotion interne, leur principal marché est académique (écoles, universités); Elles savent tisser les bons réseaux et entretenir les relations avec ces milieux. Dans ces entreprises, tout le monde est recruteur; c'est une compétence de base.
- Elles sont passionnées par la formation : la formation est un outil majeur pour l'intégration culturelle et l'amélioration des performances.
- Elles sont trés exigeantes sur la performance des managers : Elles bâtissent des systèmes d'évaluations trés structurés. C'est le fameux "up or out" que connaissent bien les firmes prestigieuses d'audit ou de conseil.
- Elles connaissent le fort pouvoir des réseaux alumnis : et elles sont des "outplacers" des employés qui sortent (les out du "up or out") qui deviennent les ambassadeurs de la marque.
Ce ne sont que quelques éléments, mais on voit bien que tous ces points sont des actions de transformation interne, de rigueur de management, et non les falbalas habituels que l'on nous sert destinés à "attirer" les candidats comme avec des appâts.
Bien sûr, c'est plus difficile, plus exigeant.
Mais c'est comme à la Comédie Française : pour que les acteurs soient au top niveau, il ne faut pas repeindre l'entrée des artistes, mais plutôt s'occuper de ce qui se passe à l'intérieur, et de ce que voient les spectateurs.
Il faudrait peut être, pour ça, que certains DRH et dirigeants laissent de côté les bouquins de marketing, et aillent un peu plus à la Comédie Française...
1.
Des entreprises intelligentes? Mais le sont-elles réellement, ou adoptent-elles seulement un discours plus convaincant?
Rédigé par : Ninon | 02 octobre 2008 à 12:56
Ninon :
Bien entendu il existera toujours celles qui communiquent sans sincérité sur leur démarche.
Mais la supercherie, généralement, ne tient pas bien longtemps...
Rédigé par : Zone Franche | 04 octobre 2008 à 17:20