Leadership en mille-feuilles
31 octobre 2008
Parler de leadership, c’est parler des chefs…
Pas seulement, car le leadership est aussi une qualité générique que l’on aimerait bien reconnaître dans chacun de nos collaborateurs.
Et puis, le leadership ce n'est pas seulement une histoire de pouvoir et de commandement des autres. On peut aussi le regarder comme une succession d'étapes, le leader les franchissant les une après les autres, constituant ainsi son mille-feuille du leadership, chaque couche étant utile pour pouvoir y poser la couche suivante. Le mille-feuilles, c'est aussi l'ensemble de la communauté des leaders, chaque leader dans son étape, l'ensemble en harmonie avec la "marque de leadership" de l'entreprise,.avec le plus de leaders possible, ce qui fait un gâteau bien crémeux qui fait envie aux plus gourmands (et donc rend attractif la "marque employeur" de cette entreprise).
Parmi les modèles qui décrivent ainsi les étapes du leadership, celui de Dalton et Thompson est assez pratique. Il est décrit notamment par Dave Ulrich et Norm Smallwood dans leur dernier ouvrage (dont j'ai déjà parlé ICI, et ICI).
C'est aussi un outil très concret pour évaluer le leadership de son entreprise, de son équipe, et de soi-même.
Première couche : l'apprenti
Cette étape est souvent négligée. C'est celle où l'on apprend les règles et coutumes de l'entreprise, où l'on acquiert l'esprit et les bonnes pratiques. On est respecté car on délivre conformément aux attentes. On accepte d'être dirigé par les plus seniors de l'entreprise, on adopte la culture et les comportements de l'entreprise. On inspire confiance parce que l'on est dans le bon style. On se met en cohérence avec la "marque de leadership" de l'entreprise.
Ceux qui oublient cette étape n'arrivent pas à aller plus loin, car la capacité à entrer dans la culture de l'entreprise est déterminante.
D'où les problèmes avec ces personnes rebelles qui démarrent en insistant sur ce qui ne leur plait pas dans l'entreprise, sur ce qu'elles veulent changer. Certains leaders récemment embauchés, et qui débarquent dans l'entreprise, se mettent souvent en risque dans cette posture.
Croire que le leadership consiste à tout critiquer autour de soi pour se faire remarquer, c'est un positionnement assez dangereux, et qui ne mène pas l'entreprise bien loin. Les leaders râleurs sont vite fatigants.
Les critiques trop précoces seront mal acceptées, justement parce que les personnes leaders n'auront pas fait l'effort de comprendre et d'adopter la "leadership brand" de leur entreprise. Et puis, leurs contributions ne seront crédibles et reçues positivement que si elles ont démontré cette volonté de nourrir le progrès de l'entreprise qui les intègre, et pas seulement de s'occuper de soi. C'est le sujet de la deuxième couche.
Deuxième couche : le contributeur
Là, il s'agit de sortir du rôle où l'on est bien conforme à l'esprit de l'entreprise. Il s'agit de se distinguer en tant que contributeur vraiment visible sur quelque chose. C'est le cas de celui qui devient l'expert, ou le référent sur une spécialité, une caractéristique rare, qui se distingue des autres, qui est identifié en interne et en externe sur cette spécialité. Il construit cette identité en réunissant ses pairs autour de lui, et non plus en se référant à ses chefs et managers. Il n'est pas un loup solitaire qui construit sa compétence; il est rassembleur, il a envie d'avoir son équipe, il est un élément fort et distinctif de son équipe. Il rayonne dans l'entreprise et à l'extérieur de l'entreprise par cette contribution qui fait sa signature.
Certains ont du mal à trouver leur signature, leur réputation, leur "personnal brand", en ligne avec la marque de l'entreprise. C'est un travail de tous les jours, qu'il faut entretenir : les réputations changent, les marques vieillissent, les originalités deviennent des banalités, des "commodités" (les consultants en savent quelque chose qui finissent par raconter tous la même chose sur ous les sujets).
D'autres n'arrivent pas à sortir de cette couche : ils incarnent un point d'expertise mais n'entraînent pas une adhésion forte autour d'eux, ne préparent pas la génération suivante, ne font pas grandir les autres. Le rayonnement, c'est eux, et tous les gens qui s'approchent d'eux sont un peu dans l'ombre, et on leur fait remarquer en permanence qu'ils n'ont pas le même niveau (les magiciens d'Ozaiment bien s'installer dans cette couche là). Enlevez ce leader "contributeur" du terrain de jeu, et tout disparaît : d'ailleurs le "leader contributeur" le sait, et entretient cette obsession de se rendre indispensable.
A court terme, il est une brillante contribution, souvent riche de succès. A terme, il empêche l'entreprise de faire émerger d'autres leaders, et donc de grandir. C'est justement ce saut que fait faire le passage à la troisième couche.
Troisième couche : leader local
Le contributeur a évolué. Il va maintenant s'intéresser aux autres, grande première. Il va s'intéresser au développement des autres. Il va inclure dans son champ de vision des personnes qui ont des spécialités, des styles, trés différents du sien. Il va construire et développer son réseau de partenaires et correspondants dans l'entreprise et à l'extérieur de l'entreprise. Il va passer du temps à aider, coacher les autres. Cela devient un objectif majeur pour lui. Il est un élément fort de la construction et de l'incarnation de la "leadership brand", à son échelle.
Il va abandonner son obsession d'être le "meilleur expert" dans tout ce qu'il touche. Il va encourager et sponsoriser l'expertise des autres; qui peut prendre des formes différentes de celles qu'il aurait prises tout seul.
Ce sont ces leaders locaux qui ont compris comment passer de l'indépendance à l'interdépendance, qui vont exercer leur excellence dans le jeu des échanges et inter-communications dans les réseaux et équipes auxquels ils appartiennent et qu'ils font naître. Ils ont aussi compris que le leadership n'était pas centré sur la relation hiérarchique (je suis le chef; les autres sont mes petits gars), mais sur aussi sur la capacité à transcender les barrières, à créer les ponts et les transversalités.
Tout cela devant se faire en ligne avec les attentes des clients et la "marque" de l'entreprise. Rien de plus dangereux que le leader local qui se replie vers un système de "protégés" qu'il infecte de valeurs et comportements en décalage avec ceux de l'entreprise; genre "moi et mes gars, on est des pros, pas comme ces XXX des autres départements de l'entreprise"..Avec ce phénomène, l'entreprise ressemble à une succession de villages sans lien, et là encore, se développe moins bien. D'où le saut suivant où le leader local sort de influence locale pour s'intéresser et incarner, à la place où il se trouve (pas forcément celle du top management) la "marque" de l'entreprise dans son ensemble. Il ne s'agit pas d'une "promotion", mais, avant tout, d'un changement de comportement. C'est le sujet de la quatrième couche.
Quatrième couche : leader global
Ce stade, c'est celui où le leader représente un élément constitutif fort de l'entreprise. Sans lui, l'entreprise est différente. Ce leader a une vision long terme; il exerce son influence et son pouvoir pour le bénéfice de l'entreprise. Il est un pont entre l'interne et l'externe. Il est fortement impliqué pour identifier et faire grandir les futurs leaders de l'entreprise. Il a une vision globale de l'entreprise et est particulièrement exigeant sur la performance des leaders.
On croit parfois que ce "leader global" c'est naturellement le "big boss". En fait de nombreux "big boss" ont effectivement ce statut hiérarchique mais continuent de fonctionner comme en couche 2 (toujours envie de montrer qu'ils savent mieux que les autres, et interviennent sur tous les sujets) ou en couche 3 (ils ont une tendresse particulière pour les "p'tits gars" de leur tripe, qu'ils ont formés; les autres...ce sont les autres).
Une autre caractéristique de ces leaders, c'est l'incarnation du profil d'"entrepreneur" de l'entreprise, leur rôle d'apporteur d'idées et d'innovation. Ils sont aussi les meilleurs sponsors des idées nouvelles, des propositions de changement, qui viennent à lui comme attirées par un aimant, de l'interne ou de l'externe de l'entreprise. C'est ce leader qui concentre les envies de tout changer, d'imaginer d'autres futurs.
La plupart des leaders de cette couche managent des populations plutôt importantes. Quoique que ceux qui sont les "aimants à idées" peuvent exercer ce rôle de leader sans manager trop de personnes. Ils sont plutôt des icones de la "marque de leadership" de l'entreprise.
Quoi faire de ce modèle ?
Avec ce modèle, il est intéressant de s'évaluer soi-même, et aussi de positionner chacun des "chefs" ou "managers" selon cette échelle. Il est intéressant de s'apercevoir que nos managers n'ont finalement pas dépassé la couche 1 ou 2, et que les vrais leaders de niveau 4 sont une extrême minorité. C'est le moment d'agir.
Les auteurs s'essayent à proposer des benchmarks sur la distribution de ces catégories dans les entreprises.
La distribution qu'ils estiment la plus courante si on laisse faire passivement les choses est :
Couche 1 : 20%
Couche 2 : 60%
Couche 3 : 18%
Couche 4 : 2%
Pour ceux qui chercheront, et trouveront les actions à entreprendre pour vraiment manager les couches de leadership, la cible que les auteurs considèrent comme atteignable est :
Couche 1 : 5%
Couche 2 : 15%
Couche 3 : 65%
Couche 4 : 15%
On imagine bien toute la différence de goût entre ce mille-feuilles plein de bonne crême, et celui de départ.
Cela vaut bien la peine de se faire pâtissier, non ?
(Pour les ignorants, le "piano" désigne familièrement le plan de travail et de cuisson du pâtissier)
Résultats du sondage :
Mon niveau de leadership
17.64% | ![]() |
Apprenti |
11.76% | ![]() |
Contributeur |
32.35% | ![]() |
Leader local |
8.82% | ![]() |
Leader global |
29.41% | ![]() |
Je ne suis pas leader |
34 personnes ont répondu à ce sondage
Les "je ne suis pas leaders" sont ...presque leaders.