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Tueurs d'idées

Gun On rencontre tous ce genre de personnes qui se sont spécialisées, parfois inconsciemment, dans le rôle de "tueur d'idées".

Vous pouvez leur proposer n'importe quoi, ils ont la parade pour vous tuer sur place.

Ce sont ces personnes qui considèrent que la meilleure façon d'imaginer demain, cela consiste à faire comme hier.

Ou encore, si l'on ne réussit pas quelque chose, la meilleure méthode pour réussir c'est de "faire plus de la même chose".

Kees van der Heijden, dont j'ai déjà parlé, ici et ici, donne dans "The sixth sense" un échantillon trés représentatif des phrases qui caractérisent ce genre de personnes quand vous leur proposez quelque chose de nouveau.

Liste bien utile pour les repérer :

- Nous avons déjà essayé ça,

- La Direction Générale n'en voudra pas,

- Cela ne correspond pas à notre culture,

- Cela consommerait trop de ressources,

- C'est trop risqué,

- Ce n'est pas comme ça que nous faisons chez nous,

- Les gens ne sont pas prêts pour ça,

- C'est trop politique,

- Vous ne comprenez pas,

- C'est beaucoup plus compliqué que ça,

- Je ressens juste que c'est faux,

- Nous n'avons pas le temps pour ce genre de choses,

- C'est une bonne idée, mais pour plus tard,

- Tant que ça marche, mieux vaut ne pas changer

- Vous ne pouvez pas le prouver,

- Je suis trop occupé, revenz plus tard,

- Concentrons nous plutôt sur le business.

Un jeu sympa, c'est de garder cette liste avec soi, et de repérer les expressions chez nos tueurs d'idées. On peut faire un palmarès, ou bien compléter la liste.

Ce que nous disent ces expressions, c'est la pauvreté des lieux où elles circulent : pas de créativité, pas d'imagination, pas d'organisation apprenante.

J'essaye d'éviter ce genre d'endroits, mais on n'est jamais à l'abri.

C'est le meilleur indicateur pour identifier les entreprises qui vont avoir des soucis...


Apprendre : une histoire d'échafaudage

Echafaudage-1 Il y a une rengaine qui traîne dans les discours et la littérature de management, c'est "l'entreprise apprenante".

On nous raconte que c'est le must du must, et Peter Senge, auteur de "la cinquième discipline", en 1990, inspire encore de nombreux conférenciers et consultants.

Mais là où ça devient un peu plus compliqué, c'est quand il s'agit de répondre à la question : comment on fait une entreprise apprenante ? Car dire qu'il faut être "flexible", "adaptable", ou tout autre terme, ça dit pas grand chose sur la méthode. C'est pourquoi toutes ces présentations sont souvent bidon et ne servent à rien.

En fait, pour aborder avec un peu de sérieux un tel sujet, il est nécessaire d'aller chercher dans une discipline que peu de pseudo experts en "organisation apprenante" connaissent, qui est la discipline de la pédagogie, de l'éducation.

En parcourant un ouvrage de Kees van der Heijden, "The sixth sense", sur justement l'accélération de l'"organizational learning", je découvre un spécialiste théoricien de l'apprentissage par le groupe, Lev S. Vygotsky.

Ce psychologue russe, des années 20, est le théoricien de la notion de "zone proximale de développement" que l'on peut transposer à l'entreprise (lui, il parle de l'apprentissage des enfants).

Dans l'entreprise il y a des savoirs que l'on peut considérer comme codifiés, et qui sont connus des membres de l'entreprise. Ce sont les connaissances et idées qui sont régulièrement écrites dans les plans stratégiques, ce qui permet de décrire les "bonnes pratiques" et les "process" de l'entreprise. Pour l'enfant, ce sont les choses qu'il sait et qu'il peut faire seul.

Et puis, il y a les choses qui ne sont pas codifiées, mais qui existent dans les intuitions, dans les les comportements, mais qui ne sont pas connectées au monde des savoirs codifiés; mais qui pourront se révéler grâce à l'aide d'un intervenant extérieur : le consultant, un nouveau, un coach, pour l'entreprise; chez l'enfant c'est  le pédagogue qui va être ce révélateur. Ce sont aussi les pairs de l'élève, les élèves plus expérimentés, qui constituent ce révélateur. Et donc cela se passe, dans l'entreprise, au sein même des équipes.

Ce qui intéressant dans la théorie de Vygotsky, c'est qu'il considère qu'il existe une zone autour de l'élève qui va se révéler avec l'enseignant, qui lui permettra donc d'apprendre, et d'intégrer de nouveaux savoirs dans son modèle de connaissance (c'est à dire d'apprendre), et qu'au delà de cette zone, ce sera trop difficile et il n'apprendra plus.

Idem pour l'entreprise à laquelle on veut apporter un oeil neuf, faire sortir de nouvelles idées : il y a une zone "proximale de développement" où l'échange sera fructueux, ou il y aura effectivement ouverture de l'esprit, apprentissage de nouvelles manières de voir le monde, etc..., et une limite de cette zone où l'entreprise se fermera, n'acceptera plus (comme un blocage culturel) des propositions ou des connaissances trop loin de cette zone.

Le travail de l'apprenant ou de l'accompagnant pour aider à apprendre en restant dans la zone proximale de développement est appelé par Vygotsky l'"échafaudage" (scaffolding). Il indique bien que pour aider il faut que l'échafaudage ne soit pas trop loin du mur de celui à qui on essaye de faire apprendre quelque chose. Cet échafaudage est une image pour représenter "le jeu de relations entre plusieurs participants collaborant à l'actualisation des ressources intérieures". Il représente aussi la stratégie et les techniques utilisées par la personne qui échafaude un apprentissage pour un groupe ou une personne.

D'un point de vue pratique, chacun et chaque entreprise a sa propre "zone proximale de développement", plus ou moins importante. Et ainsi, il sera particulièrement difficile de tenter de faire changer une organisation ou une personne si on met son échafaudage trop loin de sa zone de développement. Tous ceux qui essayent de proposer des idées ou recommandations pour faire changer quelque chose dans l'entreprise expérimentent cette situation où l'on s'aperçoit que toute tentative d'apporter au débat des idées nouvelles est accueillie par de la méfiance, des regards qui vous font comprendre que vous n'y êtes pas du tout, des moqueries, bref des "chez nous c'est pas possible !"...Et c'est vrai que dans ces cas là on aimerait bien connaître le secret pour faire de l'entreprise une entreprise apprenante.

Ce que nous dit Vygotsky, c'est que ces situations sont celles où l'on a mis son échafaudage un peu trop loin, et qu'il faut le rapprocher pour permettre d'apprendre par un vrai contact et un vrai échange entre celui qui veut transmettre et celui qui veut apprendre (et qui, dès que l'échafaudage sera plus près, se montrera beaucoup plus accueillant aux idées nouvelles, mais compatibles avec sa zone de développement, qui lui seront proposées).

Alors, bien sûr, il est tout aussi intéressant de chercher à améliorer et faire grandir cette "zone proximale de développement". Kees van der Heijden  a imaginé de nombreuses façons de s'y prendre. Par exemple en veillant à brasser des populations de style, de personnalités, d'origines, d'âges, différents. C'est en étant sensible à cette diversité qu'on assemble les meilleures équipes "apprenantes. Mais le plus important, c'est le process avec lequel sera menée la facilitation pour faire émerger les idées nouvelles et mettre en oeuvre le processu d'apprentissage. Tout le talent est aussi dans les capacités humaines et d'écoute du facilitateur qui est choisi pour aider de telles démarches.

Un bon échafaudage, pas trop loin du mur, une bonne stratégie et de bonnes techniques d'apprentissage: une bonne leçon de maçon....du solide, quoi !

Je me rappelerai de Vygotsky.


De sidera

Etoiles Quand un consultant rencontre un dirigeant d'entreprise, forcément il le fait parler de l'avenir, de ses projets, etc...

Mais j'ai constaté qu'il y a fondamentalement deux types de postures.

Pour les uns, le discours porte sur les "besoins" : le consultant, comme le dirigeant, observent l'entreprise comme un lieu avec des "problèmes" et des "besoins"". C'est une vision trés réductrice, comme si l'entreprise était un corps à soigner, dont les besoins correspondent à des maladies.

Et puis, il y a ceux qui me plaisent le mieux, et qui parlent...de "désir".

J"en ai rencontré un cette semaine, et comme d'habitude, la discussion ne parle pas de maladies, de choses cassées à  réparer, mais d'envie, d'ambition, de vision. Elle dégage cet optimisme, cette envie de dépassement qui communique l'enthousiasme.

Le désir, c'est ce qui permet de ne jamais se satisfaire de l'existant, de toujours chercher un ailleurs, un idéal, de rêver pour demain, et ainsi d'être dans l'action qui conduira au succès. Même si le désir est toujours remplacé par un autre désir, jamais atteint, qui nous pousse à nous dépasser. C'est un mouvement intérieur vers l'Infini.

C'est valable pour l'entreprise et ses dirigeants, mais c'est aussi valable pour chacun, pour sa carrière.

Le mot désir vient d'ailleurs du latin "de sidera", qui signifie littéralement privé d'étoiles, séparé des astres. Le désir, c'est ce qui tente de nous faire dépasser notre condition humaine. Il n'est pas forcément contradictoire avec l'expression de "besoins", mais des "besoins" sans "désir" manquent de ce petit plus qui fait imaginer de grandes choses.

Dans toute vision d'entreprise, c'est précisément ce désir qui permet de formuler les ambitions les plus élevées. Et c'est le manque de désir qui fait échouer les démarches de "planification stratégique" laborieuses, complètement paralysées par des excès méthodologiques, des formalismes ennuyeux qui cassent les pattes à l'imagination. Dès qu'un dirigeant me parle de son plan stratégique sans évoquer ses désirs, je sais que ce plan stratégique est mal parti.

Cette semaine encore, un interlocuteur, une jeune femme, d'une grande entreprise  me signalait qu'ils avaient du mal à lancer leur plan stratégique car "ils ne savaient pas trés bien ce qu'ils voulaient"...Quand je lui évoquais ce mot de "désir", j'ai vu, à son air éberlué, qu'elle devait croire que je la draguais...J'ai arrêté là.

Napoleon Hill, dans son ouvrage  "Réfléchissez et devenez riche", fournit en treize étapes le secret de la fortune...

La première étape est précisément sur ce sujet : c'est le désir.

Il donne même des conseils avisés pour transformer nos désirs en or. Car il ne suffit pas de désirer, de vouloir, mais de aussi de "désirer son désir"...C'est en visualisant tous les détails de ce désir, en le décrivant matin et soir, que l'on s'approche de sa réalisation. Il est aussi nécessaire de le quantifier, de lui donner toutes les caractéristiques économiques permettant de le mesurer, pour le rendre encore plus proche.

Et puis, il nous rappelle : "sachez exactement ce que vous allez donner en échange de la fortune que vous désirez. On n'a rien pour rien". Encore un beau sujet de discussion pour challenger les ambitions stratégiques parfois insuffisamment crédibles. Ainsi, par exemple, ceux qui veulent "l'excellence" doivent savoir que cela pourra les obliger à être un peu plus intolérant avec la médiocrité...

Autre instruction de bon sens bien utile : " Etablissez le plan qui vous aidera à transformer votre désir et commencez-en immédiatement l'application, même si vous jugez ne pas être encore prêt".

Oui, le désir, c'est la plus jolie façon pour commencer à parler de stratégie. Et commencer IMMEDIATEMENT son application.

Et on constate aussi que ceux qui parlent facilement et de façon convaincante de leur désir ont souvent dû goût pour les bonnes choses. Mon interlocuteur dirigeant qui parlait de son désir pour l'entreprise qu'il dirige, me recevait pour un déjeuner agréable dans la salle à manger de celle-ci .

Par contre, la jeune femme qui m'accueillait en évoquant les difficultés pour lancer le plan stratégique, avait délicatement réservé pour moi une toute petite salle de réunion sans fenêtre...Comme ça, on ne risquait pas d'avoir envie de regarder vers le ciel.

C'est sûr, certaines atmosphères, certains contextes, prêtent plus au rêve et au désir que d'autres....


José, un oeil noir te regarde...

Corrida Oui, Carmen, de Bizet, on connaît..Don José; et cet air qui résonne à ses oreilles comme une menace :

" Toréador, prends garde à toi, un oeil noir te regarde..."

Le José qu'un oeil noir regarde en ce moment, c'es José Luis Duran, le Directeur Général de Carrefour...Et l'oeil noir, c'est celui des investisseurs, et notamment le fonds Colony et Bernard arnault, entré en mars 2007.

Le titre est passé à 31,50 € la semaine dernière...Il était à 50 € en mars 2007.

Carrefour, on se rappelle Daniel Bernard, parti en 2005, avec des indemnités conséquentes,et remplacé par la nouvelle star, José Luis Duran...Et puis c'est reparti dans les soucis.

Encore la démonstration que l'environnement change, mais que l'entreprise s'en aperçoit trop lentement, ou en tous cas réagit trop lentement.

Mathilde Visseryas , dans Le Figaro, et Dominique Seux, dans Les Echos, de jeudi, posent bien le problème.

Ce qui a déclenché la réaction des investisseurs, c'est la baisse des ventes en France...

" Avec la hausse du prix de l'essence, les clients qui habitent à plus de 30 minutes d'un hypermarché Carrefour ne font plus le déplacement" (Mathilde)

On trouve dans ce cas l'illustration parfaite de ces modèles qui ont fait le succés et la différence dans le passé, et qui deviennent des problèmes.

Carrefour, on s'en souvient, c'est le boom des super grandes surfaces, les "hypermarchés", en périphérie des villes, qui ont fait le succés des années 1970-1980.

Et puis, badaboum, tout change, et Carrefour ne s'en aperçoit pas.

Les habitudes changent et les clients veulent maintenant de la proximité, et aller faire leurs courses prés de chez eux, dans des chaînes de centre ville. Ce qui a fait le succés de Carrefour, devient sa faiblesse.

On dit que les marchés financiers tuent l'entreprise parce qu'ils ont l'obsession du court terme, mais on constate, sur ce cas encore, combien ce sont les diririgeants qui n'arrivent pas à communiquer sur cette vision moyen terme justement, et font douter sur le court terme tout autant.

Sur le site de Carrefour, on trouve une annonce qui, au vu des résultats aujourd'hui, semble manquer de cette conviction : " Le groupe Carrefour s'inscrit dans une nouvelle dynamique de croissance amorcée en 2005", "Notre ambition pour 2008-2010 est d'accélérer la croissance". Et puis, le couplet sur le service client : " Le groupe Carrefour place le client au centre de sa stratégie. Pour cela il a simplifié son organisation, donnat plus d'autonomie aux directeurs de magasins".

Et puis le verdict tombe, et ce que reprochent les fonds et les investisseurs à José Luis, c'est justement de manquer de vision et de stratégie à moyen terme, d'avoir une "navigation à trop courte vue sur les têtes de gondole et l'improvisation du plan d'urgence peu convaincant".

Et puis, pour le service client, on a quelques commentaires bien sentis sous l'article des Echos (ah, Internet, quel démon pour la réputation !) :

Il y a celui qui parle des clients "qui ont l'impression qu'on se moque d'eux quand des produits en promotion ne sont jamais disponibles...et quand les hôtesses au comptoir d'accueil n'ont pas la moindre idée du sens du mot accueil"....etc...(bien sûr , ce sont toujours les râleurs qui se plaignent dans ces commentaires, mais quand même..). Mais cela pose aussi un sujet nouveau : le futur des grandes surfaces. Si d'autres modèles doivent émerger, quels sont-ils ? (et pas seulement le e-commerce dont on a longtemps dit qu'il deviendrait le nouveau modèle).

Oui, joli cas d'école sur la nécessité de toujours vérifier son modèle par rapport aux évolutions de l'environnement, et donc de suivre et d'anticiper ces mouvements de l'environnement (on revient au scenario planning).

Encore une dernière louche, qui n'est ni dans Le Figaro, ni dans Les Echos, mais qu'on entend dans les déjeuners en ville : Thierry Breton, le champion des stakeholders, entré début juin au Conseil d'Administration, sera le prochain DG en remplacement de don José....Mais ce sont là des rumeurs....On verra bien. Pas sûr que ce soit la décision phare qui permette à cette entreprise de 500.000 personnes, avec 15.000 magasins dans le monde, qui apporte toutes les réponses.

Par contre le conseil de Carmen reste plus que jamais d'actualité pour Don José :

"Prends garde à toi".

Mise à jour : L'information des déjeuners en ville circule, et atteint aujourd'hui La Tribune, qui annonce aussi que Thierry Breton remplacerait José Luis Duran (ICI).


Tous des Dancing Queens

MammaMia Des personnes de tous âges, certains en cravates, d'autres en jeans, des femmes surexcitées, des garçons chantant à tue-tête, tous debout dans la salle :

YOU ARE THE DANCING QUEEN,DANCING QUEEN,.....

Excitation, bonne humeur, le spectacle est aussi dans la salle...

C'est au Palais des Congrés en ce moment, la comédie musicale "Mamma Mia"...

En ces temps où on n'arrête pas, dans les journaux et à la télévision, de nous parler de crise, et de sinistrose, voilà un bon remède pour se remettre de bonne humeur...

Une comédie musicale qui ne vole pas trés haut, mais qui a été composée avec exclusivement des chansons d'ABBA...Et on n'y résiste pas ; les mains applaudissent, on fredonne les chansons, on partage ce moment avec ses voisins,comme des polissons en train de faire des bêtises qui ne sont plus de leur âge...

Super Trouper lights are gonna find me...

ça fait du bien...

I do, I do, I do.....


Par la main ou par la gorge ?

Stagnation On attribue à Churchill cette citation :

" Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge"

C'est vrai que le changement est quelque chose de difficile, à titre individuel, et aussi collectif.

De nombreuses entreprises se retrouvent facilement dans une situation qu'on qualifie de "stagnation" : c'est cette situation où un regard extérieur, les clients, les concurrents, voient bien que quelque chose ne va pas bien, que l'entreprise va doucement, ou rapidement, dans le mur, mais il ne se passe rien. Soit tout le monde a l'air de faire le travail "business as usual" en feignant de ne pas voir les problèmes qui vont surgir (comme ce monsieur sur son transat qui ne regarde pas la vague arriver) , soit, mais c'est le même résultat, tout le monde s'agite, essaye de lancer de multiples initiatives, mais tout ça ne conduit à rien, à part des grandes réunions, des décisions vite contredites par d'autres décisions ..Bref, la pagaille.

Les endroits où ce risque de stagnation est le plus fort, c'est dans les entreprises dirigées par ce style de manager qui considère que, quand on est un bon manager, on ne doute jamais, on se fixe des objectifs, et on les atteint. Ce type de comportement leur vient souvent de leur souvenirs, il y a vingt ou trente ans, où le monde était prévisible. C'était le temps de la planification, des années De Gaulle, tout puissant de volonté (et l'intendance suivra), de la planification, le fameux Plan français...Tous ces mythes ont imprégné la cervelle de pas mal de dirigeants ayant commencé leur carrière professionnelle dans les années 60 et 70.

Être compétent, pour ces managers, ça veut dire avoir réponse à tout. Et quand on ne sait pas, on ne le montre surtout pas. On accuse ses collaborateurs d'incompétence.

C'est pourquoi, si l'on veut faire sortir une entreprise de ce type d'état de stagnation, il ne faut pas sous-estimer la phase de dégrisement.

La phrase de Churchill nous donne des indications sur la méthode : un bon moyen de se bouger, c'est la peur de la mort. C'est en prenant conscience du danger que l'on bouge. Mais alors, cela indiquerait que seules les situations de crise, les gros problèmes, nous font changer...Pas trés optimiste.

Tout l'art de celui qui veut accompagner le changement avant qu'il ne soit sur la gorge de l'entreprise consiste justement à savoir le "prendre par la main".

Il s'agit en fait d'oser dire que le futur est incertain, et qu'on ne sait pas le prévoir. C'est oser imaginer les scenarios plausibles, même les pires, et se préparer froidement aux évolutions de l'environnement.

Ces pensées me venaient en lisant le titre du Monde hier : " Et si le géant General Motors faisait faillite ?"...L'entreprise ne vaut plus en Bourse que ..."moins de deux semaines de chiffres d'affaires !" (ça c'est du storytelling!) soit 5,8 milliards de dollars, contre plus de 20 milliards il y a encore huit mois. Et l'entreprise "brûle chaque mois un milliard de dollars"...

Un expert interrogé donne la clé : " Dorénavant, l'entreprise a besoin d'un peu de chance"...Le dirigeant va peut être aller a Lourdes...

Qui l'eût cru?

Comme quoi tout est possible.

 

 

 


Dysorganisation

Sablier2 On pourrait penser que dans une entreprise, tout le monde a envie qu'elle soit organisée le mieux possible, et que les projets visant à modifier l'organisation sont forcément ceux qui cherchent à l'optimiser.

Lourde erreur, que seuls quelques consultants naïfs croient encore.

En fait, dans de nombreuses entreprises, l'organisation n'est absolument pas optimale, c'est même parfois un gros bordel, mais elle satisfait tellement les acteurs et managers que personne ne veut la changer.

C'est ce que Robert Holcman, professeur au CNAM, appelle, dans un article du dernier numéro de la "Revue Française de Gestion", la "dysorganisation". Il s'est inspiré de travaux de Crozier et Friedberg (in "L'acteur et le système").

La dysorganisation, ce n'est pas le dysfonctionnement (fonctionnement anormal par insuffisance ou excès), ni la désorganisation (altération grave de la structure), ni le désordre (l'inobservation de certaines règles).

Non, la dysorganisation c'est plus subtil...

Robert Holcman observe que, quand on parle de l'organisation d'une entreprise (lui, il utilise surtout l'exemple du milieu hospitalier, qu'il connaît bien) on parle en même temps de l'organisation comme structure, et de l'organisation comme processus.

Quelle que soit l'organisation, il existe toujours, dans les relations entre individus, une relation de pouvoir et une "zone d'incertitude" dans les situations de travail. En clair, mon chef me donne les instructions (c'est lui qui a le pouvoir), mais il ne me traîte pas non plus comme un pur exécutant; il me laisse de l'autonomie, ma façon de m'organiser, et un peu de place pour mes objectifs propres (mon envie de me former, d'apprendre, de me perfectionner pour progresser dans l'entreprise). C'est ça ma zone d'incertitude, qui est plus ou moins grande selon les types d'entreprises et les styles de management.

Bien sûr, dans toute organisation, les tensions apparaissent quand les luttes de pouvoir entre individus, qui veulent accroître leur marge d'autonomie, et donc la zone d'incertitude autour d'eux, conduisent à des blocages ou  conflits.

D'ailleurs, il ne suffit pas de contrôler une zone d'incertitude pour s'en sortir : plus la zone d'incertitude que contrôle un individu, ou un groupe d'individus, est importante pour l'organisation, plus, bien sûr le pouvoir de ce groupe est important. Cette vision de l'entreprise me fait un peu penser à un jeu de Go, mais est trés stimulante. Comme le fait remarquer Robert Holcman :

"Quelle que soit la tâche à accomplir, aussi modeste et simple fut-elle, l'existence d'une incertitude quand à son accomplissement donnera une part de pouvoir à la personne qui en est chargée. Dans cette perspective, le pouvoir hiérarchique relève non seulement du pouvoir formel de prendre des décisions mais aussi, en raison des zones d'incertitude que chaque subordonné cherche à se ménager, du pouvoir informel de négocier l'acceptation de ces décisions".

La dysorganisation, c'est précisément ces situations où les zones d'incertitudes qui ont été mises en place, consciemment ou inconsciemment, satisfont chacun des acteurs, et leur volonté de bénéficier d'une autonomie personnelle, sans du tout optimiser l'utilisation des ressources et moyens de l'entreprise.

On pense par exemple à ces entreprises où l'on a l'impression qu'il existe un savoir-faire impossible à retranscrire dans des procédures, qui caractérise tel ou tel service, et lui permet de répondre aux urgences et problèmes, sans que les chefs de ces services, et encore moins les dirigeants, puissent parfaitement identifier et contrôler les modes de travail. On connaît tous ces directeurs financiers qui se font passer pour des génies de la prévision et du reporting, qu'on n'ose pas trop contredire, car ils se sont rendus indispensables, tiennent le système, et on serait bien ennuyé si l'on devait les remplacer par un autre.

La dysorganisation, c'est quand de telles zones protégées pullulent dans l'entreprise, faisant de l'ensemble une entreprise trés difficile à diriger, avec ses divas dans tous les coins...

Robert Holcman a observé ça dans les services des urgences des hôpitaux, et constaté combien la situation était trompeuse : il en déduit que l'organisation soignante fait exprés de susciter de l'incertitude, afin que l'organisation dirigeante ne vienne pas trop se mêler de ses affaires, et donc prendre une sorte de pouvoir sur elle.

Ces cas de conflits sont ceux qui apparaissent entre ceux qui ont une vision "managériale" de l'organisation de l'entreprise, que l'on cherche à optimiser (les managers, les patrons, pas experts de quoi que ce soit, sinon de l'art de diriger), et ceux qui défendent une vision "professionnelle", liée au métier : ceux là sont ceux qui disent au dirigeant qui cherche à les contrôler : "ne cherchez pas à comprendre, seuls les acheteurs (les comptables, les chercheurs,..) comprennent, laissez-nous travailler. En fait, c'est à une contestation de la capacité du management à les contrôler qu'on arrive.

On rencontre fréquemment ces situations dans les entreprises où s'oppose les techniciens et les managers : les managers prennent les techniciens pour des individus qui manquent un peu de recul, et les techniciens prennent les managers pour des baratineurs inutiles dont il vaut mieux se protéger grâce à une bonne zone d'incertitude...

Pour affronter ces dysorganisations, Robert Holcman nous recommande de bien connaître ce qu'il appelle "l'opinion publique professionnelle" de notre entreprise. En veillant à bien équilibre le sentiment d'appartenance professionnelle (mon métier, ma compétence), et d'appartenance institutionnelle (mon entreprise, les valeurs de l'entreprise, les objectifs de l'entreprise) chez chacun des collaborateurs, on préviendra et évitera bien des blocages.

Plus le sentiment de différenciation professionnelle sera important dans les différents secteurs de l'entreprise, plus il deviendra complexe de mener un projet d'optimisation et d'intégration de l'organisation.

On parle ici en fait de la crédibilité du dirigeant, et de sa capacité à faire vivre l'entreprise comme un corps uni, et non comme un champ de bataille permanente entre les protagonistes chacun experts dans son domaine qui refusent de coopérer avec leurs pairs.

C'est aussi cette "dysorganisation" qui mine de nombreux comités de direction, où le dialogue et la vision commune n'existent pas, et où les réunions sont des batailles de pouvoir qui se résument à des accords bilatéraux implicites : "je ne critique pas tes affaires, tu ne critiques pas les miennes, et tout va pour le mieux, à la barbe du dirigeant que l'on berne tous les deux".

Ce type de jeux, et ces risques de dysorganisation, il est bon de les connaître et de les sentir avant de se lancer naïvement dans un projet de réorganisation qui voudrait, pour le bénéfice du dirigeant, mettre la pagaille dans les zones d'incertitude que chacun s'est créé. Il est certain que les résistances qui vont apparaître seront violentes.

Alors, ceux qui ne cherchent pas trop à comprendre vont rassurer le dirigeant avec des méthodes de "gestion du changement"...Malheureusement si cette gestion du changement se limite à des exercices puérils de "communication", ou de "formation", sans comprendre les causes,l'effet sera le même que de vouloir calmer le feu en jetant de l'huile dessus.

On dit que de pouvoir nommer les problèmes est la première étape pour les résoudre. Si cela est vrai, le mot "dysorganisation" est sûrement à retenir pour ceux qui veulent contribuer à améliorer la performance des organisations.