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L'alchimie créative

Alchimia Créer, imaginer, un projet, une entreprise, un produit, une offre, on sent bien que ça ne vient pas en appliquant une procédure. Cela demande de l'imagination, de l'intuition.

Le processus créatif, c'est ....une alchimie.

Justement, c'est quoi l'alchimie ? On pense tout de suite à ces pratiques ésotériques, à base de bave de crapaud et de soufre, qui devaient mener à la découverte de la pierre philosophale, à transformer le plomb en or. Des trucs d'un autre âge, complètement contraire à la science et à la vraie chimie, un truc du moyen-âge. Qui s'intéresserait à des bêtises pareilles?

Et bien, justement, cette alchimie, elle a été observée et analysée par des gens trés sérieux.

Et cela vaut le coup d'y aller voir pour inspirer le processus créatif dans nos entreprises, et pour soi-même.

Celui qui m'inspire, c'est Carl Gustav Jung, psychologue du début du siècle, qui a l'avantage d'écrire dans un langage simple et accessible. Il est connu pour ses théories sur "l'inconscient". Et s'est intéressé à cette alchimie, notamment dans "Psychologie et Alchimie".

Ce que Jung considère dans l'Alchimie, c'est qu'elle est, avec tous ses symbolismes et toutes ses opérations, une "projection", au sens psycholigique, dans la Matière, de l'Inconscient.

Les auteurs alchimistes ne sont pas d'accord sur les processus de l'Alchimie, et se caractérisent par un langage trés obscur, volontairement. Le processus alchimique, pour aboutir à la Pierre Philosophale, comprend de nombreuses étapes, aux noms effrayants : conjonction, putréfaction, coagulation, cibation, etc...

Mais se plonger dans ces processus alchimiques, c'est se poser des questions facilement transposables à notre quotidien :

Pour créer, faut-il se concentrer sur la volonté, la force, ou bien se laisser aller, "lâcher prise" et se laisser envahir par l'inspiration ? L'Alchimie nous permet de nuancer et d'explorer ce processus créatif.

L'Alchimiste est celui qui va projeter son inconscient, et faire émerger son "imaginatio", on dirait "imagination créative".

Ecoutons un des auteurs cité par Jung, Morienus :

" Cette chose que tu as cherchée si longtemps ne peut être acquise ou accomplie par la force ou la passion. Elle ne peut être acquise que par la patience et l'humilité et par un amour résolu et des plus parfaits. "

Autre citation sur ce processus créatif (Maier) :

" Il y a dans la chimie une certaine substance noble (lapis) : sur son commencement règne l'affliction avec le vinaigre, mais sur sa fin règne la joie avec l'allégresse. Ainsi, j'ai admis que cela m'arriverait à moi aussi, c'est à dire que je souffrirais tout d'abord de la difficulté, de la tristesse et du dégoût, mais qu'à la fin j'entreverrais toutes les choses plus joyeuses et plus faciles".

Ce qui encourage le processus, c'est un dévouement complet à l'oeuvre, une concentration inhabituelle, comme une ferveur religieuse.

Pour Jung, c'est cette dévotion qui permet la projection de valeurs et de significations dans l'objet de la recherche, et pousse à remplir ce dernier de formes et de figures ayant en premier lieu leur origine dans l'inconscient du chercheur.

C'est ce mélange de "imaginatio" et de "meditatio" qui provoque une sorte de colloque intérieur avec l'inconscient. Cette imagination, selon un autre auteur, est "l'astre dans l'homme". Cette expression "astrum" (astre) désigne l'imagination comme un "extrait concentré de forces vivantes, aussi bien physiques que psychiques". C'est pourquoi le créateur doit être de constitution physique saine car il est la condition de sa propre expérience.

Dans cette conception, le physique et le psychique sont entremêlés. Jung considère que les alchimistes ont identifié un "domaine intermédiaire" entre la matière et l'esprit, un "domaine psychique des corps subtils". Cette capacité à se situer dans ce "doamine des corps subtils" suppose qu'on ne se replie pas trop sur les certitudes ( croire que l'on sait), mais qu'on croit à "l'inexploré et l'inexplorable".

D'ailleurs la composante essentielle des alchimistes, c'est la "materia prima", cette matière première bien mystèrieuse, cette substance inconnue qui porte la projection du contenu psychique. Elle se caractérise par la confusion et le "chaos", car c'est du chaos et non de l'ordre, par un phénomène de transformation et de résurrection, que la création emmerge.

Jung nous permet de rêver dans ces processus d'alchimie, et rêver, on le sait, c'est une façon privilégiée de communiquer avec l'inconscient, et de voir que "il y a dans l'alchimie des problèmes trés modernes, mais qui se situent sur un autre plan que celui de la chimie". Et paser à d'autres plans, même les plus incertains, c'est activer le processus créatif.

Le processus créatif est un mystère; Jung, et son analyse de l'Alchimie et des auteurs alchimistes, est un bon compagnon pour nous y faire pénétrer...Cet ouvrage "Psychologie et Alchimie" est par ailleurs rempli d'illustrations, d'images et de symboles tirés d'ouvrages anciens, qui sont autant d'appels à l'imagination créatrice.

Si l'on manque d'inspiration dans un projet ou une création, ouvrons ce livre comme un message de notre inconscient, on y trouvera toujours quelque chose.

 

 


Stratège ou despote ?

Roi Dans l'entreprise, c'est connu, la stratégie, c'est l'affaire du chef...C'est pour ça qu'il est chef. Et imaginer que la stratégie va être élaborée par les collaborateurs, des groupes de travail, bref un genre de "débat participatif", c'est la meilleure chose pour ne rien décider, et aller nulle part.

Qui pense ça ?

En tout cas un chef d'entreprise ("de PME" me précisera-t-il) qui me faisait part de son aversion profonde pour le "management participatif"...Il semble qu'il avait connu ça dans des groupes plus grands, et qu'il ait ainsi acquis la conviction que le débat, demander l'avis des autres, c'est du bla-bla...

Admettons...

Mais alors, une fois cette stratégie ambitieuse sur la table, que se passera-t-il ? Il serait quand même un peu rapide de croire que, parce que le chef, avec un ou deux bras droits de confiance, et des consultants, a imaginé une stratégie, il n'y aura plus qu'à la transmettre aux autres, les collaborateurs enfermés dans la caverne de l'entreprise, pour qu'ils EXECUTENT...

Si c'était si simple, il n'y aurait pas de problème : n'importe quelle organisation pourrait mettre en oeuvre n'importe quelle stratégie conçue par son chef...Et que se passera-t-il si les employés ont du mal à comprendre ou à appliquer cette stratégie ?

Bon, il a senti la faille, et il réplique : "je suis stratège, mais pas despotique !"

C'est vrai que cette posture n'est pas simple : quand on dirige une entreprise, qu'on a de l'ambition pour elle, qu'on s'est forgé une conviction pour mettre en oeuvre une idée de business, un positionnement, une vision, on n'a pas vraiment envie de discuter trop longtemps avec son personnel à l'infini, on a envie d'action, de réussite, de combats contre la concurrence. Et pas de palabres internes interminables, où toute décision est retardée, pesée, empêchée...C'est cette ardeur, cette impatience, ce souci de l'efficacité, qui nous conduit à nous méfier des discussions sans fin...

Et en même temps, on sent bien qu'un excès d'autoritarisme nous fera virer au despote, et risque de faire échouer l'éxécution de notre stratégie.

C'est pourquoi il est important de bien savoir, pour un dirigeant, ce sur quoi on va discuter dans l'entreprise, et sur quoi on ne souhaite pas ouvrir de débats. Et de trouver le juste milieu entre "pas assez de conversations" et "trop de débats". Et de se préparer, en fonction de la situation de l'entreprise et de sa communauté humaine, à faire évoluer, corriger, améliorer (pourquoi pas ?) les ambitions stratégiques que l'on s'est fixées.

En fait, face à une organisation et à une communauté humaine qui va devoir se préparer à exécuter un changement stratégique profond initié et voulu par le dirigeant, trois questions sont à distinguer :

1. L'entreprise est-elle prête pour le changement ? Est ce que les responsables et employés de l'entreprise comprennent pourquoi ce changement est nécessaire ? pourquoi cette stratégie est voulue ? Est-ce qu'ils comprennent quel est le gap de performance que l'on s'apprête à essayer de combler ? Est-ce qu'ils comprennent bien que des choses doivent changer dans leur job, la manière de le faire ? Savent-ils ce qui doit vraiment changer ?

2. L'entreprise est-elle engagée pour le changement ? Nous sommes là sur le sujet d'abandonner l'existant, les habitudes, le "business as usual", pour se lancer dans une nouvelle aventure. Est-ce que les responsables comprennent et identifient les compétences nouvelles qu'il va falloir développer pour se lancer dans cette stratégie ? Est-ce que l'on comprend ce que la nouvelle stratégie va avoir comme impact sur mon job, ma façon de décider, de manager à mon propre niveau ? Et est-ce que cela me rend confiant ? Ou bien est-ce que tout le monde a peur ? On parle donc aussi de la confiance, dans la vision du dirigeant, de la confiance que c'est la bonne . Bien sûr le dirigeant peut considérer cette question accessoire, du moment que, lui, il a confiance, mais il est quand même mieux d'avoir des troupes courageuses que des collaborateurs qui tremblent, stressent, ont peur de l'avenir, et font des cauchemards..

3. L'entreprise est-elle capable de changer ? Là, on parle des compétences, des outils, des process, qui sont nécessaires pour réussir la nouvelle stratégie. Est-ce que le management a les bonnes compétences ? Est-ce que les leaders dont on a besoin aux différents niveaux sont bien en place ? Est-ce que les réseaux et les projets vont bien fonctionner (on y revient) ? Va-t-on être capable de concilier une stratégie à moyen terme avec les exigences du court terme (car, pendant la mutation stratégique la vente au jour le jour continue) ? Est-ce-que notre histoire a démontré que nous savons bien prendre les virages stratégiques, ou au contraire a démontré que, chaque fois qu'on s'embarque dans quelque chose de nouveau on se plante ? Tous ces petits signaux donnent des indications sur la stratégie.

Voilà pourquoi, même si l'on a la vue claire sur la stratégie, bien connaître son équipage sur ces trois questions essentielles permettra de conduire la bonne exécution (et ça aussi c'est de la stratégie), et fera la différence entre le stratège avisé et le despote...pas trés éclairé...


Action corrective

Fessee C'est simple le management par objectifs : on fixe des objectifs, et on mesure les écarts régulièrement. Et si la réalité n'est pas conforme à l'objectif, on détermine des "actions correctives", comme une bonne fessée pour faire rentrer dans le rang le récalcitrant et l'incapable.

Même l'Administration s'y met, et cherche de bonnes idées pour s'inspirer des entreprises privées dans ces systèmes d'"évaluation".

On appelle ça le contrôle de gestion...Et personne ne semble se poser de questions...

Pourtant, ça vaut la peine d'aller voir de plus près à quoi ressemble ce genre de pratiques.

Ces systèmes sont l'expression d'une vision hiérarchique de l'entreprise : le manager fixe les objectifs, et le subordonné est "responsabilisé" sur ces objectifs, et doit s'en sentir redevable. L'évaluation des performances repose alors sur une discussion souvent en tête à tête, sur des critères fixés à l'avance et si possible quantifiés (c'est ça qui fait pro dans le contrôle de gestion, la quantification !). La relation entre le manager et le collaborateur correspond à l'exercice du pouvoir de l'un sur l'autre.

Cela permet, selon les plus accros à ces pratiques, de résoudre les problèmes, de maintenir le business conformément aux orientations et au budget, etc...

Ouais...

Mais imaginons que nous sommes dans un monde changeant, où l'incertitude sur le futur est plus importante que les certitudes (un monde imaginaire, en sorte), et que, peut être, les objectifs sont devenus complètement rigides et inadéquats, qu'il soit extrêmement urgent d'imaginer et de se préparer à d'autres futurs, avec des indicateurs complètement différents (oui, je sais c'est de la science fiction), qui va s'en apercevoir ? Qui va se dire que l'entreprise efficace ne fonctionne plus par la hiérarchie, mais en réseaux et en projets ?

Surtout pas ce manager qui s'obstine à exercer son pouvoir sur l'atteinte de cibles mal définies ou dépassées, et à qui le collaborateur n'ose pas dire combien il le trouve ridicule avec ses fessées....

De fait, les systèmes qui se fient trop à ces pratiques trop rigides d'évaluation, et pour qui un objectif est un objectif, quoi qu'il arrive, sont ceux des entreprises qui n'apprennent rien et deviennent de plus en plus bêtes.

Au contraire, celles qui ont compris que la capacité à apprendre plus vite que les autres, à imaginer des futurs que les autres ne voient pas, à se préparer à de multiples scénarios, choisissent des attitudes différentes : les moments d'"évaluation" ne vont plus être des séances de fessées, mais d'apprentissage collectif, où le manager ne se la joue pas "maître et esclave", mais va être le catalyseur pour imaginer des futurs différents, pour interpréter positivement les signaux faibles que transmettent ces écarts entre l'objectif et la réalisation, et oser poser le problème autrement : et si c'était l'environnement qui avait changé ? Et d'où viennent ces différences ? Que nous disent-t-elles sur les incertitudes de notre monde ? Et notre modèle d'entreprise, est-il encore valable ? Ce que nous croyions être notre vraie compétence distinctive, qui devait nous faire réussir, ne l'a-t-on pas perdu ? Ou ne s'est-elle pas banalisée ? Rien de telle que la différenciation pour se banaliser trés rapidement si on ne l'entretient pas.

Et puis, ces histoires de responsabilisation sur les objectifs, quelle fable !

Il est quasiment impossible d'isoler la responsabilité des individus et des managers dans les objectifs. De nombreuses parties prenantes, de nombreux réseaux et managers à plusieurs niveaux sont co-influenceurs des objectifs complexes de performance de l'entreprise. C'est justement ce caractère complexe qui justifie cet enchevêtrement (rappelons nous l'écologie de l'action d'Edgar Morin).

De fait, de nombreux paramètres et intervenants se mélangent dans l'atteinte des objectifs que se fixe l'entreprise et ses dirigeants à tous les niveaux. Imaginer qu'il existe, bien alignés, des individus avec des objectifs, avec le "balanced scorecard" qui va bien, prêts à recevoir les félicitations ou les fessées, relève d'une vision toute théorique et désincarnée de la conduite et de l'amélioration des performances du monde des entreprises, qui est, certains l'oublient, d'abord un lieu de contacts humains, d'échanges, et de conversations entre ces personnes qui conduisent à des idées, des initiatives, des erreurs, des réussites.

Comment peut-on encore croire que tout est réductible à un système d'évaluations, et bien sûr avec de super calculs pour traduire tout ça dans les rémunérations, bonus et pénalités ?

Oui aux évaluations si elles sont le moyen d'engager ces conversations, ces idées, et de développer ces capacités à apprendre. Mais à quoi bon si elles ne servent qu'à flatter le sadisme des chefs adorateurs de fessées ?

Bien sûr il est plus facile de donner des fessées que d'imaginer les "conversations stratégiques" qui feront apprendre l'entreprise.

Cette notion de "conversation stratégique" a notamment été particulièrement étudiée par Kees van der Heijden.

Si vous avez envie de reposer vos mains et les fesses de vos collaborateurs défaillants, je vous en conseille la lecture....


Culture du don

Cadeau Quand il s'agit de mettre en oeuvre des projets dans l'entreprise, on essaye de constituer les équipes les plus performantes, et de créer un esprit de coopération pour faire réussir le projet.

Malheureusement, on constate souvent que les équipes en question ne sont pas toujours aussi performantes et collaboratives qu'on le souhaiterait. Et le consultant est souvent appelé à l'aide pour essayer de comprendre, et surtout de résoudre le problème.

En fait, ce sujet trouve ses origines bien en amont.

Les entreprises où les équipes projet efficaces se constituent facilement sont celles qui ont une culture adéquate, qui est directement influencée par le comportement du top management.

Et quand les équipes projets ne marchent pas bien, il est bien utile, avant de s'intéresser aux processus de fonctionnement de ces équipes, d'observer le fonctionnement du top management.

Pour créer une culture de la coopération et du management en projets, le top management doit avoir été le promoteur d'une culture de l'échange et des relations humaines.

Ce n'est pas si simple, car dans une logique où les responsabilités et rôles de chacun ont été bien définies et codifiées, il n'est pas possible de considérer qu'il pourrait être utile de passer du temps à autre chose qu'à faire son job. Si untel ou unetelle a besoin d'aide et de conseil, et que ce n'est pas dans mon job, et bien la réponse est simple : qu'elle se débrouille !

Dans une telle ambiance, la coopération est extrêmement difficile.

Pour éviter ces situations de blocage, il faut que les collaborateurs considèrent comme naturel, culturel, que le fait d'aider les autres, de s'intéresser à eux, de donner de son temps et de son énergie, fait partie du comportement normal entre collègues de la même entreprise.

Ceci a l'air simple, mais peu d'entreprises arrivent à instaurer cette culture.

C'est ce que certains appellent la "culture du don" ("gift culture").

Cela consiste à se sentir soi-même, nu et un cadeau à la main, pour toujours aider les autres.

S cet état d'esprit pénètre en profondeur l'entreprise, la collaboration et les groupes projets fonctionneront merveilleusement. Sinon, ils seront pervertis par l'esprit de compétition, les conflits, les jeux politiques et de pouvoir.

Pour créer cette culture, Nokia a instauré un principe ingénieux (et tel que rapporté ici) :

Dès qu'une personne arrive dans un nouveau poste, il est pris en main par un manager qui l'aide à lister toutes les personnes qu'il doit rencontrer autour de lui , et qui ont un rapport avec son nouveau poste. Et il l'aide aussi à déterminer les sujets qu'il devra aborder avec chacun de ses interlocuteurs. Cettre démarche est transmise entre les collaborateurs, car le manager en question ne fait qu'appliquer une démarche dont il a lui-même bénéficié lorsqu'il est arrivé dans chacun de ses postes au sein de l'entreprise.

En choisissant ainsi les sujets, les plus divers, qu'il conviendra d'aborder au cours de ces rencontres, le manager transmet l'envie de se constituer et d'étendre son réseau de pairs et d'alliés. Et le nouvel arrivant va ainsi se déplacer, même dans un endroit géographiquement éloigné de son, lieu de travail, pour vivre ces expériences individuelles de rencontres et d'échanges.

La don, le cadeau, c'est celui pour les personnes qui accueilleront ce nouvel arrivant, de donner de son temps et de son intérêt pour aider à l'intégration de ce collaborateur.

C'est ainsi que se crée et se développe une culture collaborative et de réseau.

Alors, on peut aussi penser que les mails et réseaux sur internet remplacent cette façon de faire.

Pas si sûr en fait, et la rencontre avec ces personnes à nu et un cadeau à la main est une expérience dont l'intensité et l'émotion ne peuvent pas facilement être reproduites par la voie électronique.

Oui, la culture du don de soi, et de l'attention aux autres, c'est une denrée rare. Les procédures, les process, les chartes de délégation, les méthodologies projets, aussi bien faites soient elles, ne peuvent pas les remplacer.

Alors, quand nous constatons que les équipes de notre entreprise ont du mal à fonctionner, posons-nous la question de la culture du don, et observons le top management pour en comprendre les causes profondes.

Coopération, équipes, ce sont des mots qui ne sont pas compatibles avec égoïsme, volonté de pouvoir, compétition interne exacerbée.


Pharmacien, chirurgien, nurse, ou psy ?

Nurse Dans l'entreprise, on trouve des patrons, des managers, des employés,...Mais aussi, de plus en plus nombreux : des consultants.

C'est une profession en croissance permanente. Rien qu'en France, on évalue le marché à plus de 5 Milliards d'euros, rien que dans le conseil en management.

C'est dire qu'il est difficile de trouver une entreprise qui n'a pas, à un moment ou à un autre de l'année, des consultants parmi ses équipes.

Et pour le consultant qui débarque dans une entreprise, c'est souvent qu'il vient en remplacer un autre, qui n'avait plus les faveurs des dirigeants. C'est un éternel jeu d'entrées et de sorties, certains étant bien sûr plus habiles que d'autres pour conserver la fidélité de leurs clients.

Dans ce système, il est intéressant d'observer de quels styles de consultants les dirigeants s'entourent, ou se sont entourés. Cela parle beaucoup des formes de management, et de leur leadership.

David Maister en a fait une typologie, qui semble toujours autant pertinente. Lui se place plutôt du côté du consultant.

Pour certains dirigeants, le consultant est celui qui va apporter une solution à un problème, issue des meilleures pratiques. Les gens sèrieux appellent ça le "business consulting". Pratiquement cela consiste à proposer le bon médicament (le consultant est alors le pharmacien) ou bien, si le problème est plus grave, à pratiquer l'opération chirurgicale (le consultant est alors le chirurgien). Attention quand même pour le consultant à ne pas confondre : le client a un problème de stocks trop importants, et cheche le médicament, mais le consultant se prend pour le chirurgien : "mais non, monsieur le client, c'est tout l'appareil logistique qui est à remplacer, et peut être même qu'il y a un souci avec le cerveau de l'entreprise..et hop, on se retrouve sous anesthésie générale pour plusieurs mois. Certains dirigeants sont ainsi constamment entre deux opérations, proposées par des chirurgiens consultants pas toujours d'accord sur le diagnostic. Il est en permanence dans le coma ou en convalescence, et finalement ce sont les consultants qui dirigent la boîte.

Cette forme de consulting a de beaux jours devant elle, car elle répond à une tendance forte des entreprises et de leurs dirigeants : ils veulent tout tout de suite...Un problème, une solution, et c'est parti. C'est une conception trés masculine du consultant.

Le problème, c'est l'éxécution, et dans de nombreux cas, tout se plante. Combien d'interventions de consultants dans les entreprises n'ont conduit qu'à des rapports, des présentations, des tentatives de mise en oeuvre, et des résultats bien en deça des espoirs partagés avec le consultant lors de la signature du démarrage de la mission. Cela ne décourage pas les dirigeants, qui se persuaderont toujours que le problème, c'est qu'ils n'ont pas choisi le bon consultant, et, imperturbablement, vont en chercher un autre, avec des solutions différentes, et repartir vers le coma et les frustrations.

Pour les consultants, cette forme de consulting est trés profitable à court terme, car elle permet de formaliser des méthodes et démarches pleines de noms compliqués, de mettre en avant quelques figures seniors qui inspirent la confiance et la compétence (les chefs chirurgiens, le docteur en pharmacie, le partner,..), et de faire faire le job par une pyramide de managers et consultants assez juniors, qui connaissent et appliquent les méthodes. C'est le modèle de tous les grands cabinets de conseil.

Les clients qui ont de mauvaises expériences de chirurgiens ou de pharmaciens, on les repère : ce sont ceux qui vous disent "aimez moi !", c'est à dire : "on n'est pas une entreprise comme les autres", " on ne veut pas de solutions toutes faites". Ce qu'ils veulent , c'est de la tendresse, de l'écoute,...

Alors, bien sûr, il existe d'autres approches. On passe alors à une autre forme de conseil plus personnalisée.

Dans ce cas le client voit le consultant comme quelqu'un qui l'écoute. Il ne sait pas trés bien ce qu'il a mais il a besoin d'être rassuré. Le consultant est alors la nurse du client, ou, si le sujet est encore plus atteint, le psychothérapeute. Là, le modèle est différent : on ne promet rien tout de suite, on n'essaye pas de résoudre vite fait un problème, on essaye de "transformer" l'entreprise, d'aller chercher les causes profondes dul mal-être. Et on promet qu'à la fin (sous entendu dans longtemps), on aura fait du client une autre entreprise.

Là, le client va surtout chercher une personne plus qu'une firme. Il peut même limiter sa recherche à sa propre personne, d'où la popularité des coachs personnels aujourd'hui, dont la pratique professionnelle se distingue du conseil. Mais de nombreux coachs sont des consultants recyclés. On est là dans une conception plus féminine du consultant, mais de nombreux garçons, les plus sensibles, savent bien l' exercer.

Ce qui se passe avec cette forme de conseil, c'est que les clients risquent de se complaire dans ces séances de psychothérapie, sans vraiment de résultats sur la vraie performance de l'entreprise. Et les consultants qui s'engouffent dans ces approches, sans capacités sur le contenu, vont promouvoir des discours tels que : "toutes les réponses sont dans votre entreprise, dans les reins et les tripes de vos collaborateurs...nous allons les révéler avec nos méthodes de créativité et de brainstorming,...".Et puis le danger c'est que le client passe ses journées chez les psys et les nurses, avant de mourir d'un cancer du système logistique...

Dans les années 90, de nombreux cabinets se sont lancés là-dedans, et sont surtout parvenus à faire dépenser beaucoup d'argent à certaines entreprises, créant une agitation à tous les niveaux de la boîte, suscitant l'enthousiasme au début, et, au vu de la faiblesse des résultats, et même des actions vraiment lancées, généré des frustrations et des rancoeurs. On repère vite les clients qui ont été victimes de ce genre de thérapies ratées : ils se méfient énormément des consultants, les regardant comme des sorcières, et aspirent à des médicaments et de la chirurgie. "Nous, monsieur, on veut pas de bla bla, on veut des résultats"...Ce sont les futurs frustrés du business consulting...

Bon, alors, évidemment, vous voyez où je veux en venir, il y a forcément une troisième voie, qui consiste à faire les deux, le business et la nurse.

Mais ce n'est pas si simple.

D'abord, un même individu peut difficilement remplir avec le même talent tous les rôles. Et certains consultants, notamment les "free lance", ne se posent même pas la question. Ils passent du rôle de la nurse au chirurgien plusieurs fois par jour. Et ça déconne souvent sur un des rôles.

Autre cas : l'équipe, le cabinet. Ok, mais encore faut-il faire les bons assemblages, et que chacun comprenne son rôle et ce lui des autres, et sache travailler avec une telle équipe. Et que le client ait bien compris le "système de consulting" que son consultant a bâti pour l'accompagner.

Le danger est maximum quand le client croit traiter avec un chirurgien , que le partner se prend pour une nurse, n'osant jamais le contredire, et que les consultants juniors se prennent pour des pharmaciens, attendant, sans réfléchir, qu'on leur donne la méthode-médicament qu'ils doivent utiliser. Cacophonie et frustrations assurées. Y compris au sein de l'équipe de consultants, où chacun ne sait pas ce qu'il doit attendre de l'autre.

Oui, diriger une équipe de consultants, organiser un"système de conseil" qui convienne le mieux aux situations complexes des entreprises, c'est savoir être ce bon Directeur d'hôpital, où tous les intervenants connaissent leur rôle.

Cette façon de visualiser une équipe projet de conseil est trés différente de celles couramment utilisée, entre les experts en telle ou telle discipline, les gestionnaires de projet, les managers. Il s'agit là, plutôt, de concevoir de manière intégrée, et sur tout le cycle d'accompagnement, la compétence, et la méthode, qui feront le succès, et d'être suffisamment pro-actif et à l'écoute.

C'est pourquoi, en observant quels services de l'hôpital les dirigeants affectionnent le plus, et les consultants qu'ils font travailler, on en apprend beaucoup sur leurs manies, leurs vraies maladies, leurs phobies, ...

Et en prenant conscience de ses vraies compétences, le consultant sait de quelles équipes il a besoin de s'entourer, et dans quel hôpital ou service spécialisé il veut travailler.

Bien sûr, la vraie valeur de l'hôpital, c'est la qualité de chacun et de l'ensemble...


Enfants de maos

Mai68 J'ai déjà parlé du souvenir de Mai 68, vu par les patrons.

Virginie Linhart apporte une contribution originale dans son livre "Le jour où mon père s'est tu", celle des enfants des révolutionnaires et maoïstes de l'époque.

Virginie Linhart est la fille de Robert Linhart, maoïste et figure de l'époque, qui s'est rendu célèbre en participant au mouvement des intellectuels (il a fait Normale Sup) qui allaient travailler dans les usines pour y propager l'idéal révolutionnaire. Lui, il est allé un an dans une usine Citroën, et en a fait un best seller : "L'Etabli".

Je me rappelle avoir adoré ce livre que j'ai lu lors de sa sortie,l'année de ma prépa HEC...Sûrement mon côté révolutionnaire de l'époque...

C'est mon premier souvenir du monde ouvrier, décrit par un intellectuel surdiplômé, comme un enthomologiste. C'est aussi un de mes premiers contacts avec le monde de l'entreprise, assimilé à une usine bruyante, avec des gens abrutis par des gestes répétitifs.

Alors, en voyant ce nom de Linhart, et le prénom de sa fille, Virginie, j'avais l'impression d'être son grand frère.

Elle doit être un peu plus jeune que moi. Elle raconte dans son livre ses rencontres avec les jeunes de sa "génération", tous fils des figures du maoïsme, enfants de Krivine, Geismar, Castro, etc... Tous nés autour de mai 68.

Et l'on découvre la drôle de vie de cette génération.

Claudia : " J'ai le sentiment que nos parents avaient à vivre tellement de choses qu'ils n'étaient pas du tout centrés sur nous. Avec ma soeur juliette, nous faisions absolument ce qui nous plaisait: on mangeait ce qu'on voulait, quand on voulait, on ne nous disait jamais d'aller nous coucher. Pas une seule fois, dans ma vie d'enfant, je n'ai entendu ma mère me demander de ranger ma chambre !"

Thomas : " jusqu'à l'âge de vingt cinq ans, je n'ai connu aucun repas familial, nous ne retrouvions jamais tous ensemble assis autour d'une table".

Julie : " Petite, je n'ai jamais eu mes deux parents ensemble à dîner : le plus souvent j'étais seule et l'un des deux passait par là, presque comme par hasard".

Pour certains, ça tourne au cauchemar :

Mao (oui, celui-là, ses parents l'ont appelé Mao...) a un souvenir des discussions de sa mère, militante féministe, avec ses copines :

" A l'époque, on parle beaucoup de l'avortement, de la contraception, mais aussi du viol, de la nécessité de lutter contre, de comment se venger des hommes. Moi, je suis un petit garçon qui baigne là-dedans. Une des amies de ma mère avait été violée, et j'ai précisément en mémoire la discussion au cours de laquelle elles ont évoqué entre elles l'idée de l'émasculation pour se venger. L'émasculation ! J'en ai cauchemardé des années durant ! ...est-ce là ce qui fonde mon homosexualité ? en partie sans doute...

Et ce qui est intéressant à observer, dans les témoignages, trés concordants, de ces enfants de maoïstes, c'est comment ils élèvent à leur tour leurs propres enfants : le mot clé, c'est autorité.

Claudia : "Je ne peux pas supporter des enfants qui ne soient pas couchés aprés vingt heures".

" Je suis totalement obsédée par mes enfants : si dans la journée ils n'ont pas fait leurs devoirs, du sport, de la musique, ça ne va pas. Mon grand moment de bonheur, c'est le samedi matin, lorsque j'accompagne mon fils au conservatoire du VIème arrondissement pour son cours de piano : là, je me sens vraiment bien !

Ces récits de génération appellent une autre réflexion : Les parents étaient des révolutionnaires (qui ont d'ailleurs raté leur révolution, et ont, pour certains, beaucoup de mal à s'en remettre, sombrant dans la dépression, comme Robert Linhart, le père de Virginie). Les enfants sont des bourgeois du VIème arrondissement. Qu'en sera-t-il alors des enfants, ceux qui arrivent, ou vont arriver, pour leurs premiers pas dans le monde du travail ? De nouveau, des révolutionnaires ? comme un cycle qui se renouvelle toutes les duex générations ?

Virginie n'en parle pas...Il faudra attendre le livre de son fils...