Action corrective
15 juin 2008
C'est simple le management par objectifs : on fixe des objectifs, et on mesure les écarts régulièrement. Et si la réalité n'est pas conforme à l'objectif, on détermine des "actions correctives", comme une bonne fessée pour faire rentrer dans le rang le récalcitrant et l'incapable.
Même l'Administration s'y met, et cherche de bonnes idées pour s'inspirer des entreprises privées dans ces systèmes d'"évaluation".
On appelle ça le contrôle de gestion...Et personne ne semble se poser de questions...
Pourtant, ça vaut la peine d'aller voir de plus près à quoi ressemble ce genre de pratiques.
Ces systèmes sont l'expression d'une vision hiérarchique de l'entreprise : le manager fixe les objectifs, et le subordonné est "responsabilisé" sur ces objectifs, et doit s'en sentir redevable. L'évaluation des performances repose alors sur une discussion souvent en tête à tête, sur des critères fixés à l'avance et si possible quantifiés (c'est ça qui fait pro dans le contrôle de gestion, la quantification !). La relation entre le manager et le collaborateur correspond à l'exercice du pouvoir de l'un sur l'autre.
Cela permet, selon les plus accros à ces pratiques, de résoudre les problèmes, de maintenir le business conformément aux orientations et au budget, etc...
Ouais...
Mais imaginons que nous sommes dans un monde changeant, où l'incertitude sur le futur est plus importante que les certitudes (un monde imaginaire, en sorte), et que, peut être, les objectifs sont devenus complètement rigides et inadéquats, qu'il soit extrêmement urgent d'imaginer et de se préparer à d'autres futurs, avec des indicateurs complètement différents (oui, je sais c'est de la science fiction), qui va s'en apercevoir ? Qui va se dire que l'entreprise efficace ne fonctionne plus par la hiérarchie, mais en réseaux et en projets ?
Surtout pas ce manager qui s'obstine à exercer son pouvoir sur l'atteinte de cibles mal définies ou dépassées, et à qui le collaborateur n'ose pas dire combien il le trouve ridicule avec ses fessées....
De fait, les systèmes qui se fient trop à ces pratiques trop rigides d'évaluation, et pour qui un objectif est un objectif, quoi qu'il arrive, sont ceux des entreprises qui n'apprennent rien et deviennent de plus en plus bêtes.
Au contraire, celles qui ont compris que la capacité à apprendre plus vite que les autres, à imaginer des futurs que les autres ne voient pas, à se préparer à de multiples scénarios, choisissent des attitudes différentes : les moments d'"évaluation" ne vont plus être des séances de fessées, mais d'apprentissage collectif, où le manager ne se la joue pas "maître et esclave", mais va être le catalyseur pour imaginer des futurs différents, pour interpréter positivement les signaux faibles que transmettent ces écarts entre l'objectif et la réalisation, et oser poser le problème autrement : et si c'était l'environnement qui avait changé ? Et d'où viennent ces différences ? Que nous disent-t-elles sur les incertitudes de notre monde ? Et notre modèle d'entreprise, est-il encore valable ? Ce que nous croyions être notre vraie compétence distinctive, qui devait nous faire réussir, ne l'a-t-on pas perdu ? Ou ne s'est-elle pas banalisée ? Rien de telle que la différenciation pour se banaliser trés rapidement si on ne l'entretient pas.
Et puis, ces histoires de responsabilisation sur les objectifs, quelle fable !
Il est quasiment impossible d'isoler la responsabilité des individus et des managers dans les objectifs. De nombreuses parties prenantes, de nombreux réseaux et managers à plusieurs niveaux sont co-influenceurs des objectifs complexes de performance de l'entreprise. C'est justement ce caractère complexe qui justifie cet enchevêtrement (rappelons nous l'écologie de l'action d'Edgar Morin).
De fait, de nombreux paramètres et intervenants se mélangent dans l'atteinte des objectifs que se fixe l'entreprise et ses dirigeants à tous les niveaux. Imaginer qu'il existe, bien alignés, des individus avec des objectifs, avec le "balanced scorecard" qui va bien, prêts à recevoir les félicitations ou les fessées, relève d'une vision toute théorique et désincarnée de la conduite et de l'amélioration des performances du monde des entreprises, qui est, certains l'oublient, d'abord un lieu de contacts humains, d'échanges, et de conversations entre ces personnes qui conduisent à des idées, des initiatives, des erreurs, des réussites.
Comment peut-on encore croire que tout est réductible à un système d'évaluations, et bien sûr avec de super calculs pour traduire tout ça dans les rémunérations, bonus et pénalités ?
Oui aux évaluations si elles sont le moyen d'engager ces conversations, ces idées, et de développer ces capacités à apprendre. Mais à quoi bon si elles ne servent qu'à flatter le sadisme des chefs adorateurs de fessées ?
Bien sûr il est plus facile de donner des fessées que d'imaginer les "conversations stratégiques" qui feront apprendre l'entreprise.
Cette notion de "conversation stratégique" a notamment été particulièrement étudiée par Kees van der Heijden.
Si vous avez envie de reposer vos mains et les fesses de vos collaborateurs défaillants, je vous en conseille la lecture....
Oui à quoi bon si c'est juste pour flatter le sadisme des chefs ? Cela entraîne des conséquences préjudiciables pour la victime de ce sadisme. Cela devrait être interdit. Car trop facile.... On ne se donne plus la peine de converser. C'est le règne du blanc et du noir sans juste milieu. Malheureusement, cette façon de faire a encore de beaux jours.
Rédigé par : elisabeth | 20 juin 2008 à 12:14
Fort juste. C'est un peu en partant des mêmes constats que je creuse mon idée d'organisation orientée service dont une des conséquences peut justement être de faire "tirer" la stratégie par les conversations sur les problématiques opérationnelles.
Un autre concept que je regarde de près aujourd'hui : la ROWE (result only work environment). A priori ça peut ressembler à du management par objectif mais je me demande justement si en distinguant la notion de résultat (ça correspond à un besoin - tiré par le bas) et d'objectif (tu fais ça même si ça ne correspond plus à rien - poussé par le haut)elle ne comble pas le fossé que tu évoques.
Rédigé par : Bertrand Duperrin | 22 juin 2008 à 11:21