Sur le pont de Glienicke
25 mai 2008
Le pont de Glienicke, entre Berlin et Postdam, était célèbre pendant la guerre froide pour être le théâtre des échanges d'espions entre l'Est et l'Ouest. Le genre de situation qui a inspiré de nombreux films.
L'image du pont, c'est aussi le lieu des échanges, du passage.
Il m'arrive de jouer ce rôle pour des clients, et d'être l'instigateur de rencontres improbables.
La semaine dernière, j'ai emmené des managers d'une entreprise publique, toujours à la recherche d'amélioration de sa distribution, de son réseau de distribution, et de la satisfaction client, chez un grand nom de la distribution sélective, filiale d'un grand groupe du CAC 40. Un genre de "vis ma vie" de l'entreprise...
L'idée était de faire découvrir ce qui fait l'excellence, reconnue, de l'entreprise de distribution trés performante, et d'inspirer des initiatives à l'entreprise publique pour l'efficacité de la gestion de son réseau.
Le secteur, le contexte concurrentiel, les produits, tout est différent entre ces deux entreprises, mais quand on parle de management et de performance, on trouve des sujets communs, et des différences encore plus grandes.
Premier sujet : la volonté stratégique
Dans l'entreprise de distribution, la même stratégie est appliquée depuis 20 ans, avec le même Directeur Général, qui l'a déployée et déclinée avec succés.
Dans l'entreprise publique, les managers ont, en quelques années, vu passé trois Directeurs Généraux différents, avec à chaque fois des stratégies complètement différentes. C'est encore un virage qui est opéré en ce moment. Et à chaque fois l'organisation a complètement changé.
Deuxième sujet : le contrôle de gestion et les process
Dans l'entreprise de distribution, les Départements sont des centres de profit, auxquels ne sont affectés que les coûts qu'ils maîtrisent. Il y a une recherche de responsabilisation et d'objectivation sur les résultats. Les bonus sont attribués à tous les membres de l'équipe (plutôt qu'individuellement). Les managers de Département sont intéressés à la marge et non au chiffre d'affaires.
C'est chaque Département qui s'occupe directement de ses approvisionnements et de la logistique, et est intéressé à la bonne gestion de ses stocks. On fait les inventaires une fois par an.
Dans l'entreprise publique, le niveau de responsabilisation n'est pas aussi proche du terrain. La logistique est plus centralisée. On fait les inventaires tous les mois..
Troisième sujet : le management
Dans l'entreprise de distribution, c'est le manager de proximité, dans le magasin, qui est l'élément clé de la motivation. Il est celui qui transmet les pratiques, les gestes d'excellence, qui sont enseignés en cascade dans toute l'entreprise. Ces critères sont contrôlés par des sondages qui interrogent les clients sur ces pratiques et la satisfaction. Tout le système d'excellence est construit sur la gestion et la motivation des ressources humaines de terrain.
Dans l'entreprise publique, ces pratiques de management de proximité ne sont pas encore aussi systématiquement déployées. Et puis, il va falloir attendre un peu pour voir ce que va faire le nouveau Directeur Général.
Pourtant, ces réflexes ont l'air simples, et les managers de l'entreprise publique les comprennent parfaitement. Le hic, c'est, comme toujours, l'éxécution. Et la responsabilisation, la capacité à décider. Là encore, ce sont des bonnes habitudes qui ne se prennent pas toujours dans les environnements publics.
Et puis, alors que l'entreprise de distribution parle surtout du terrain, du contact client, du magasin, en valorisant d'abord le personnel des rayons, l'entreprise publique parle de la politique du Directeur Général, du Plan Stratégique en cours : toujours cette tendance à penser que les problèmes se règlent par le haut, dans les bureaux des énarques Directeurs. Et que les réponses, pensées au Siège, se déploient par les procédures, les formations, les documentations. Et le terrain finalement fait ce qu'il veut, considérant d'un oeil critique toutes ces agitations du Siège auxquelles il est devenu insensible.
On sent combien le progrès est lent, et les inerties tenaces. Être chef dans un environnement public, c'est encore trop souvent croire que cela consiste à régler les problèmes. La confiance dans les idées et l'autonomie du management de proximité, cela demande plus d'efforts.
Oui, cette confrontation, c'était un peu comme sur le pont de Glienicke, entre l'Est et l'Ouest.
Par contre, on n'a pas échangé les espions.
Mais pas besoin d'espions pour faire circuler les idées :
Pour le manager de l'entreprise de distribution, cela aura permis de verbaliser les leviers de l'excellence, et d'écouter les managers de l'entreprise publique;
Et pour les managers de l'entreprise publique, l'occasion de vérifier que, lorsque l'on n'est pas pareil que l'autre, on a envie de lui ressembler un peu...