Mes managers sont-ils des langoustes ?
12 avril 2008
Que l'on soit le collaborateur qui observe avec un peu de recul le manager qui est son supèrieur, ou bien le dirigeant en charge d'un équipe de managers, on est parfois déçu ou insatisfait : le manager prend beaucoup d'énergie à s'investir dans des jeux de pouvoir, dans la compétition, au point d'en être un peu caricatural. Et on ressent chez les plus zélés dans cette posture combien cela peut les rendre nerveux, stressés, fatigués...Et par là même il délaisse ce qui fait aussi la force du rôle de manager : l'accompagnement humain de ses collaborateurs, son développement personnel, la "conquête de son style".
Cette situation est bien évidemment trés dommageable, à plus ou moins long terme, pour la bonne santé (certains diraient performance) de l'entreprise.
Vincent Lenhardt appelle cela "le complexe de la langouste", dans un ouvrage sur la confiance, résultant selon lui d'un manque d'identité de la personne qui en est victime :
"Si l'identité de la personne n'est pas suffisamment assurée (...), elle aura tendance à trouver à l'extérieur, dans des éléments d'un autre ordre, notamment dans le pouvoir, une compensation par rapport à son manque identitaire. C'est ce que j'appelle le complexe de la langouste qui utilise sa carapace pour masquer son manque de colonne vertébrale.
Le pouvoir et tout ce qui s'investit autour, deviendra un enjeu de survie qui va parasiter la vie opérationnelle de l'entreprise ainsi que le positionnement de la personne dans l'entreprise à de nombreux niveaux".
Cette image fait réfléchir, et tout d'un coup, on détecte toutes les langoustes qui semblent nous entourer, et l'on identifie aussi les moments où l'on se transforme soi-même en langouste..
Et l'on imagine facilement ce qu'il reste si on retire à la langouste sa carapace (son pouvoir, son statut,...) : RIEN. Elle est incapable de se tenir debout.
L'intérêt de la réflexion de Vincent Lenhard est aussi dans le modèle de ce qu'il appelle les quatre zones de l'identité. C'est quand elle manquent que l'on devient langouste.
Alors, l'antidote à la transformation en langouste, c'est quoi ?
Les quatre zones de l'identité dont nous avons besoin sont :
1. La zone interne : c'est celle de la définition de soi par soi-même;
2. La zone externe : c'est celle de la définition de soi par les autres;
3. La zone de la définition objective de l'identité;
4. La zone de l'ensemble des référents par rapport auxquels la personne se définit.
Pour Vincent Lenhardt, le sous-développement, l'absence de développement d'une de ces zones, ou un déséquilibre entre elles, ont pour résultat des problèmes identitaires "lourds de conséquences dans l'évolution, la croissance, la motivation, le système relationnel engendré par la personne".
On comprend vite tout le côté pratique de ce modèle.
- Si la personne a une faiblesse dans la zone 1, elle a un manque de confiance en elle-même, elle ne s'estime pas suffisamment compétente, elle a peur, elle n'a pas de regard suffisamment positif sur elle-même. Alors, tout ce qui va venir de l'extérieur sous forme de reconnaissance, missions, vie opérationnelle va heurter ce manque de stabilité. La personne va se sentir comme dans un puits sans fond, et va chercher désespérément des réassurances et à se raccrocher aux problèmes de pouvoir.
- si la personne a confiance en elle, mais ne retrouve pas cette confiance dans la zone 2, celle de la définition de soi par les autres, cette reconnaissance par les autres, elle risque de partir "soit dans une dynamique narcissique par compensation, soit de se couper du réel,parfois à la limite de la mythomanie, se coupant du contact avec la parole de l'autre."
- il y aussi le cas où la personne a les deux zones 1 et 2 bien développées, mais il peut y avoir un écart dû au fait que son statut objectif n'est pas ajusté (niveau de salaire, définition de poste, lieu de son action, budget, cartes de visites,...). Cela va la conduire "à lutter pour une objectivisation de son identité qui va parasiter tout le reste".
- et puis, quand c'est la zone 4 des référents qui est insuffisamment développée, c'est le cas où la personne manque d'éthique, de modèle, de recours à des modèles, bref..de sens. Cette perte de sens, elle va particulièrement se ressentir lorsque l'environnement va être en turbulence, avec des changements, du chaos, des changements d'organisations. Dans ce cas le chahut va être fort, et la personne ne va pas tenir le coup. " Comme un navigateur sans boussole, sans confiance dans ses étoiles, elle se trouve en danger de se perdre".
On peut se demander si les entreprises où il y des personnes de ce type, une prolifération de langoustes, n'ont pas elles-mêmes (c'est à dire leurs dirigeants), contribué à créer ce milieu de culture. Les langoustes ne tombent pas comme ça par hasard dans les entreprises, comme une averse de grêle. Il est probable que les conditions et le style du management contribuent.
Que peut faire une entreprise pour réduire le nombre de langoustes ? Poser la question, c'est déjà en prendre en conscience.
Bien sûr, certains dirigeants adorent ce spectacle de langoustes en train de s'entretuer, et encouragent les combats.
D'autres vont penser, de temps en temps, à en tuer quelques unes pour que le jeu reste attractif mais pas trop violent.
Mais les plus attentionnés sont ceux qui vont faciliter les ingrédients pour que chaque personne et chaque manager trouve ainsi cette identité et l'équilibre des quatre zones constitutives pour permettre un développement harmonieux de l'entreprise.
Ceux là vont se préoccuper du développement personnel de leurs collaborateurs. Vont veiller à ce que les feedbacks soient émis pour permettre le maintien des zones 2. Pour la zone 3, il va s' agir de se préoccuper des systèmes d'appréciation, d'évaluation et de récompenses. Pour la zone 4, ils vont vérifier en permanence que l'entreprise communique et incarne un sens, des valeurs, qui se déploient et sont incarnées dans les comportements.
Tout un programme en fait, tout aussi important que les plans stratégiques, les budgets, les tableaux de bord, mais aussi plus engageant.
Car un environnement où les langoustes font la loi, c'est celui où la confiance entre les personnes est trés faible, où l'on ne sait plus trop pourquoi l'on court et où va l'entreprise.
Citons encore Vincent Lenhard :
" Si l'énergie d'une personne n'est pas suffisamment présente dans chaque zone et ne circule pas librement de l'une à l'autre, ce qui implique à la fois une certaine fluidité, de la perméabilité, et une stabilité suffisante,il se produit un manque de sécurité ontologique de la personne qui ne retrouvera ni dans le regard de l'autre, ni dans son statut, ni dans ses référents internes, des ressources suffisantes pour se sentir sécurisée, en paix avec elle-même."
Bien sûr, les solutions sont à l'intérieur de chacun, et c'est en tant que coach que Vincent Lehnard se pose toutes ces questions.
Mais cela n'empêche pas l'entreprise dans sa globalité, et les dirigeants à tous les niveaux, de réfléchir aux actions pour faire émerger et circuler les bonnes ondes dans l'entreprise. Les solutions toutes faites n'existent pas.
Mais y faire attention, c'est d'autant plus important dans les moments de turbulence, de fixation d'objectifs ambitieux et en rupture, de transformation de l'organisation : c'est à dire tout le temps...
Certains croient encore que pour obtenir des changements spectaculaires dans l'entreprise, il faut y faire régner la terreur.
D'autres se disent que, pour ne pas casser les bonnes ondes, il vaut mieux rester lâche et éviter de prendre les décisions désagréables, et s'en tenir au consensus.
Dans les deux cas, ces stratégies mènent à l'échec.
Autant le savoir avant de se lancer dans toute initiative de changement.
Nota : photo en tête cette note : Picasso - "Jeune garçon à la langouste" (1941)
Excellents articles. Très intéressants.
Merci
Rédigé par : Jalisco | 14 avril 2008 à 23:10
excellent article!!bien developpé et très instructeur!!merci
Rédigé par : Abdouramane | 03 avril 2012 à 17:21