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Peut-on stocker les talents ?

Bouteille   J'avais déjà entendu cette histoire ICI d'une entreprise qui embauchait des gens talentueux, même si elle n'avait pas de job immédiatement pour eux, mais juste pour les avoir sous la main lorsqu'elle en aurait besoin.

C'est un peu comme si, dans la guerre des talents, on stockait pour se prémunir de la pénurie et des mauvais jours.

Cette histoire m'est revenue en tête lorsque j'ai vu l'article de Peter Cappelli dans HBR de Mars 2008 : "Talent management for the twenty-first century".

Peter Cappelli, c'est un professeur de Wharton, interviewé ici sur le même sujet, qui vient de sortir un ouvrage au titre trés marketing :"Talent on Demand"...ça vous dit quelque chose ? Oui, comme IBM on demand, comme le just in time de la supply chain. C'est à dire : Zéro stock.

Sa thèse est simple : compte tenu de l'incertitude du futur, il faut gérer les talents en flux tendus, et surtout ne pas les stocker comme de bonnes bouteilles qu'on boira un jour. (bien sûr, Peter Cappelli ne parle pas de bouteille de vin, il est plus Wharton langage, mais c'est l'idée).

D'abord, parce que les talents ne sont pas comme les bonnes bouteilles : si vous ne les utilisez pas, ils s'éventent, ou bien ils se sauvent de votre entreprise, pour aller s'exercer chez vos concurrents.

Donc la bonne gestion des talents, c'est : pas de gaspillage. Chacun utilisé au mieux, et pas de surstock. Pas de plans de succession non plus, car, le jour où on aura peut être besoin d'un successeur, tout aura changé, et ces plans ne serviront à rien.

Et puis, qui croit encore que ça se passe comme ça dans l'entreprise: vous êtes tranquilles à votre job, pas vraiment à la hauteur de votre talent, mais bon, vous attendez. Et puis un jour, comme ça, quelqu'un, un chef, s'approche de vous en souriant, et vous tape gentiment sur l'épaule :"Eh, Gilles, voici ton prochain job qui est super pour ta carrière. Tu commences demain.Bonne chance". Et c'est comme ça, en rencontrant régulièrement des gentils chefs à la main caresseuse que vous vous faîtes une carrière.

Ceux qui y croient vraiment vont vraiment déchanter, et risquent d'attendre longtemps cette main qui vient leur caresser l'épaule...

En fait, les vrais talents se gèrent par eux-mêmes, ils cherchent les jobs pour leur carrière, ils provoquent les situations, ils changent quand ils sentent que c'est nécessaire pour eux; ils sont toujours au bon endroit pour progresser.

Inversement, ceux qu'on appelle les éléments les plus "loyaux" et "fidèles" à l'entreprise, ce sont ceux qui sont tellement médiocres qu'ils ne savent rien faire d'autre que ronronner et attendre les calins dee leurs chefs...Comme des chats castrés...

Le nouveau mot pour caractériser les collaborateurs efficaces ce n'est pas "loyaux" mais "engagés" : c'est à dire qui sont complètement engagés par leur travail, leurs objectifs, mais qui ne subissent pas l'entreprise. Au contraire, ils trouvent la bonne composition pour que l'entreprise profite de leur travail, mais eux aussi profitent, pour leur "marque personnelle", de ce travail dans l'entreprise. Et cette alchimie fait des miracles, et progresser les talents et les entreprises.

Alors Peter Cappelli donne des recommandations de bon sens dans l'article HBR pour cultiver les talents de bonne façon.

En premier lieu, il nous invite à bien distinguer les talents que l'on fait émerger en interne, et ceux qu'on est prêt à aller chercher à l'extérieur, en fonction de l'incertitude. Il encourage même plutôt à viser court sur l'interne, il appelle ça "undershooting"..

Il nous recommande ensuite de nous inspirer, pour bien gérer les talents, "on demand", de reproduire les règles de gestion de la supply chain : toujours suivre le retour sur investissement des développements des talents : par exemple si l'on a formé un employé qui quitte trop tôt l'entreprise pour rentabiliser l'investissement, il faut faire rembourser l'investissement par l'employé qui part (prévu dès son embauche), et inversement continuer à garder des contacts forts avec les employés qui sont partis (alumnis) car, si ils reviennent , ils auront un peu du capital de l'entreprise, plus ce qu'ils ramèneront des autres où ils seront passés.

Et puis, pour garder les talents, il recommande de toujours vérifier qu'il y a un bon équilibre entre les intérêts de l'employé et les intérêts de l'entreprise.

Oui, ok, vous allez dire "pas besoin d'être prof à Wharton, ni d'écrire un bouquin entier, pour débiter des banalités pareilles..".

Mais en même temps ces règles de bon sens, on les applique quand et comment dans votre entreprise ? Vous avez l'impression que les intérêts sont bien équilibrés ? ou bien vous êtes la bouteille de vin qui est en train de s'éventer ? Et la cave de l'entreprise, la bonne cave des talents inutilisés, elle a combien de bouteilles ?

Finalement, Peter, il est pas si abruti que ça...

En tous cas, il y a une chose que Peter considère complètement ridicule et innefficace c'est de croire qu'on va prédire les besoins en talents plusieurs années à l'avance, comme un Gosplan...Il croit plutôt qu'il faut se préparer à l'incertain, au changement...Et que seules les simulations à court terme ont du sens.Il cite plein d'entreprises américaines qui ont abandonnées les prévisions à long terme, comme Dow Chemical par exemple.

Cela rappelle, en creux, la "GPEC", Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, que nous avons en France comme une grande spécialité, unique au monde, qui a fait l'objet d'une loi, et qui est obligatoire pour les entreprises côtées .Et qui est une vraie galère, source de discussions stériles sans fin avec les "partenaires sociaux". Chacun essaye de s'en sortir en faisant semblant.

Mais bon, c'est pas un américain de Wharton qui va nous apprendre la vie , non ?

En France les bonnes bouteilles, on est des spécialistes non ?

Allez, vous en reprendrez bien une tournée ? GPEC blanc ou GPEC rouge ?


Savoir qui vous êtes en vous dispensant de vous définir

Volant Dans l'entreprise, on ne distingue pas de couleur politique dans le management. Ni droite, ni gauche, le monde de l'entreprise c'est le monde de l'efficacité, de la performance. Même si on peut distinguer des styles différents, des valeurs différentes : certains managers sont plus centralisateurs que d'autres; les notions d'autorité et de consensus sont également sujets de débats et d'opinions.

Par contre quand on parle des affaires publiques, là, il y a toujours cette distinction, la gauche, la droite. Ces termes trés français désignent à l'origine la place de leurs partisans dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale. Et puis, "être de gauche" et "être de droite", ce n'est pas la même chose.

Est-ce si sûr ?

La "Revue des Deux Mondes" consacre justement son numéro d'Avril 2008 à cette question : Où va la droite?

Marcel Gauchet, que j'avais rencontré et évoqué ICI, y donne une contribution intéressante, que l'on peut lire ICI, permettant de faire remarquer combien la pèriode actuelle tend à faire disparaître des discours politiques ce clivage gauche/droite, et à justement adopter un discours qui ressemble de plus en plus à celui de l'entreprise : le discours de l'efficacité et de la performance, qui ne soucie plus d'idéologie et de théorie.

Citons Marcel Gauchet :

" Le mot qui condense ce nouvel esprit de l'époque, c'est "gouvernance". Un peu de gouvernement, mais le moins possible. Pour le reste, le plus possible d'ajustements spontanés dans le système le plus décentralisé possible. C'est à la puissance de ce schéma de pensée qu'il faut attribuer la désintellectualisation frappante de nos sociétés.A quoi bon chercher à comprendre et à maîtriser des processus dont l'équilibre doit se trouver de lui-même ?"

Nous sommes donc passés dans le temps où "l'expertocratie" et le "pragmatisme" tiennent lieu de tout. C'est ce qui permet de vraiment, comme l'on dit de nos jours, évaluer les politiques publiques.

Pascal Salin, dont j'ai déjà parlé ICI, et ICI, dans un autre article du numéro de cette revue, pose, lui une question complémentaire : existe-t-il une pensée économique de droite ?

Pascal Salin, c'est le chantre du "libéralisme". Il insiste dans son article pour démontrer que les politiques de gauche comme de droite, ne sont justement pas des libéraux en matière économique. Alors que le libéralisme encourage la liberté individuelle, et la réduction de l'intervention de l'Etat dans les affaires économiques, il observe que :

" Pour les gouvernants, qu'ils soient de droite ou de gauche, tout problème trouve sa solution non pas dans l'autorégulation résultant des interactions individuelles, mais dans une nouvelle règlementation ou un nouvel impôt".

Il a ainsi tendance à mettre dans le même sac droite et gauche, toutes deux aussi incapables, par rapport à une vraie politique économique libérale qui nous sauverait.

La preuve que les modèles traditionnels ne marchent pas, et que l'opinion le sent bien, c'est le succès du terme de "rupture" qu'a utilisé Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle :

" Le thème d'un changement profond a manifestement contribué au succès du candidat, ce qui implique sans doute qu'une grande partie des électeurs sentait plus ou moins confusément que le modèle économique et social français avait échoué et qu'il fallait en changer. Il paraît évident, malheureusement, que ces électeurs - pas plus que la classe dirigeante - ne possèdent les instruments intellectuels qui leur permettraient d'imaginer un système différent. Il ne faut donc pas s'étonner si la rupture, hautement revendiquée, n'est pas véritablement entrée dans les faits. "

En fait, le vrai clivage en matière de pensée économique, il est, selon Pascal Salin, entre les libéraux et les constructivistes. Cette opposition est reprise des concepts de Hayek, qui les a exposés dans un texte célèbre, "pourquoi je ne suis pas conservateur". Selon Pascal Salin :

"Les constructivistes croient possible de construire une société conforme à leurs voeux, les libéraux, pour leur part, estiment qu'une société se construit elle-même de manière imprévisible grâce à des processus de coordination interindividuels et de création continuelle d'information. Les formes qu'elle peut prendre à un moment donné sont donc le résultat, non voulu intentionnellement, des actions innombrables de ses membres".

Ainsi, les libéraux s'opposent aux constructivistes, qui peuvent être de gauche (les socialistes qui veulent réformer la société), ou de droite (les conservateurs qui veulent la maintenir dans l'état où elle se trouve).

A lire ce passionnant dossier, on en arrive à ne plus bien voir ce qui distingue encore vraiment la droite et la gauche dans la vision et la conduite des affaires publiques.

La plupart des auteurs critique avec ardeur la politique actuelle menée par Nicolas Sarkozy, lui reprochant notamment "le manque de ligne, l'absense de direction claire". Là encore, ce sont des critères que l'on réserve aussi au monde de l'entreprise (ce sujet de la Vision) qui sont utilisés. Cette vision dont Philippe Varin nous avait dit être un critère de succès majeur pour la stratégie de l'entreprise.

Pour autant, cela veut-il dire que la distinction entre la droite et la gauche, que l'on n'arrive plus bien à définir, va disparaître ?

Marcel Gauchet vient nous rassurer, en promettant de beaux jours à la distinction droite/gauche, qui constitue un jeu politique bien ancré dans nos moeurs françaises.

Ce qui sauve la distinction droite/gauche selon lui, c'est le poids des extrêmes :

" L'extrême gauche fonctionne comme un surmoi pour la gauche socialiste, et le vote d'extrême droite est le grand problème électoral de la droite. Cet extrémisme structurel contribue au durcissement des clivages".

Mais quand même, si il n'y a plus de contenu fort sur lequel s'opposer, en quoi va consister l'opposition droite/gauche ?

Et là, la réponse de Marcel Gauchet est fantastique : peu importe le contenu, c'est juste pour s'opposer :

" C'est justement l'indéfinition du contenu qui fait la force de l'opposition droite-gauche ! Elle permet d'exprimer une contradiction marquée dont la teneur reste mystèrieuse. Elle autorise chacun des camps à se définir par contraste : la gauche, c'est ce qui s'oppose à la droite, et la droite, c'est ce qui rejette la gauche. Le clivage droite-gauche vous permet de savoir qui vous êtes tout en vous dispensant de vous définir. Commode ! C'est pourquoi je tends à penser qu'un système aussi bien huilé et enraciné n'est pas près de disparaitre".

Ouf...Ceux qui aiment bien la politique vont pouvoir s'amuser encore longtemps.

Pour l'efficacité des politiques publiques et du management des affaires de l'Etat, on attendra encore un peu.


Buena serra Gioacchino

Rossini_2

Deux amants justes mariés s’éloignent et des palmiers se lèvent de terre devant eux, au fur et à mesure qu’ils disparaissent dans les dunes. Le chœur les accompagne. Deux portraits descendent du ciel, et nous applaudissons.

Ces deux portraits qui sont descendus devant nous ce soir là, ce sont ceux de Rossini et de Beaumarchais, depuis longtemps disparus, et qui reçoivent encore la chaleur du public. Comme un grand Merci de nous avoir permis ce plaisir intact face à une œuvre qui enchante les publics depuis …1816 pour Rossini, et 1775 pour Beaumarchais. Ils ne sont jamais connus, ayant vécus à des époques différentes, mais tous deux reçoivent nos hommages.

C’était la reprise de la mise en scène de Coline Serreau du « Barbier de Séville », que l’on n’avait pas vu à l’Opéra de Paris depuis 2002, et qui date de 1816, Rossini avait 24 ans quand il l’a écrit...

Elle revient au répertoire de Bastille pour une dizaine de représentations.

Elle était là, Coline, sur scène, ce soir, pour recevoir les ovations du public, en complément de celles réservées à Rossini et Beaumarchais, et bien sûr aux interprètes. Elle avait le sourire du bonheur.

L’opéra a démarré depuis trois heures, on n’a pas vu le temps passer.

Le Barbier, c’est une intrigue connue, et des airs attendus ; la calomnie par Basilio (ce soir incarné par Samuel Ramey, basse de référence), « Una voce poco fa » par Rosine (Maria Bayo), maintenue enfermée derrière les grilles de la forteresse par son tuteur Bartolo (mais qui en fait sauter la porte grillagée lors de cet air, comme un symbole de ce qui la pousse vers l’amour de Lindoro,un peu comme dans une vidéo de Madonna ; avec détermination et affirmation de sa volonté), et puis Figaro, le barbier….de qualité, de qualité.

Et cette scène magnifique où les protagonistes n’en finissent plus de se dire au revoir, enchaînant l’un après l’autre des « buena serra » interminables..Harmonie des voix, de la musique, et du jeu théâtral..

La mise en scène est joyeuse, presque un spectacle de guignol, les personnages caricatures d’eux-mêmes, tout ce que l’on attend d’un opéra bouffe.

Le comte Almaviva, amoureux de Rosine qui le prend pour Lindore, et qui ne révèlera son identité qu’à la fin du deuxième acte, juste avant le mariage, était ce soir représenté par un jeune ténor mexicain, pour la toute première fois à l’Opéra de Paris, Javier Camarena, (retenons ce nom),petit de taille mais tout en expression, autant dans la voix que dans le jeu, parfaitement adapté. De quoi être jaloux de Rosine…

A noter aussi l’air, au deuxième acte, de la servante Berta, interprétée par Jeannette Fischer, se lamentant sur cette « maison de fous », et qui ressemble à une techtonik façon XVIIIème siècle étonnante…

Enfin Coline Serreau donne du personnage de Figaro, le barbier, interprété par le baryton roumain George Petean, d'une aisance fabuleuse dans le rôle, une vision particulière.

Figaro, c’est, nous dit elle dans ses « notes de mise en scène » reproduites dans le programme :

«  l’avènement de l’ère des services. Il ne produit rien de tangible, arrangeur et marchand, il vend tout ce qui veut bien s’acheter ».

Dès son entrée en scène, avec cet air si connu, on est fixé : il est habillé comme un genre de clown, l’œil coquin, un parasol multicolore sur la tête, et tire une petite carriole de forain emplie de colifichets divers, des téléphones portables, des bijoux fantaisie, des accessoires pour les cheveux. Et il a un carnet de commandes très rempli pour satisfaire tous ses clients.

En échange de promesse d’or, il va devenir pour le comte Almaviva, son client favori, une sorte de consultant : il imagine les scénarios et les ruses pour lui permettre de rencontrer Rosine, maintenue enfermée par le tuteur Docteur Bartolo.

Et l’on ne peut que se réjouir devant ce duo avec Almaviva (le charmant petit mexicain Camarena) où Figaro vante la capacité de l’or à produire des idées géniales, la musique accompagnant cette vivacité : « A l’idée de ce métal, prodigieux tout puissant, mon esprit commence, à devenir un volcan ». On assiste à ce jaillissement des inventions et des idées, grâce au pouvoir de suggestion de la musique : «  Che invenzione prelibata ! ».

En fait ce consultant si vite inspiré d’idées géniales par l’or qui lui est promis, il n’a finalement pas d’idées si géniales que ça, et ses idées se cassent la figure. Il se fait prendre à chaque fois. Ayant eu l’idée d’introduire le comte avec un billet de logement de l’armée chez le Docteur en simulant l’ivresse, celui-ci risque de se faire sortir par un bulletin d’exemption non prévu. Au deuxième acte, idem, il se prend les pieds dans son plan. Heureusement que le Comte s’en sort, car ce n’est pas son consultant Figaro qui assure le plan. Mais on n’en veut pas au consultant, tant il inspire la sympathie.

Citons encore les notes de Coline Serreau :

«  Le comique de Figaro, c’est ce formidable appétit d’arriver qui s’évertue à trouver des solutions relativement foireuses…Son grand air est plein de la joie d’un homme dont on apprécie les services, mais aussi plein de son angoisse, « uno alla volta per carita », il croule sous le travail… ».

Oui, ce consultant qui court comme un fou pour trouver les idées, et qui s’emmêle les pieds dans l’exécution, dont

« la personne qu’il décrit dans son air, c’est autant celui qu’il aimerait devenir que celui est en vérité ».

Et c’est vrai qu’il court tout le temps ce Figaro, avec cette façon de faire semblant d’avoir arrangé toutes les situations, mais souvent dépassé. Cela nous le rend sympathique et très humain…

Pour bien apprécier cette mise en scène jubilatoire, il vaut mieux emmener son âme d’enfant , et ses oreilles innocentes pour se remplir de ces airs et de cette musique si entraînants, comme si on les découvrait pour la première fois.

Et sans oublier de garder une pensée pour la condition du consultant Figaro affairé, « l’avènement de l’ère des services », qui, bien qu’ayant quitté le monde de Rossini et de Beaumarchais, est encore, aujourd’hui, parfois pris, et dépassé, dans les intrigues des Bartolo, Rosine et Almaviva de notre temps.


Mes managers sont-ils des langoustes ?

Garonlangouste_2 Que l'on soit le collaborateur qui observe avec un peu de recul le manager qui est son supèrieur, ou bien le dirigeant en charge d'un équipe de managers, on est parfois déçu ou insatisfait : le manager prend beaucoup d'énergie à s'investir dans des jeux de pouvoir, dans la compétition, au point d'en être un peu caricatural. Et on ressent chez les plus zélés dans cette posture combien cela peut les rendre nerveux, stressés, fatigués...Et par là même il délaisse ce qui fait aussi la force du rôle de manager : l'accompagnement humain de ses collaborateurs, son développement personnel, la "conquête de son style".

Cette situation est bien évidemment trés dommageable, à plus ou moins long terme, pour la bonne santé (certains diraient performance) de l'entreprise.

Vincent Lenhardt appelle cela "le complexe de la langouste", dans un ouvrage sur la confiance, résultant selon lui d'un manque d'identité de la personne qui en est victime :

"Si l'identité de la personne n'est pas suffisamment assurée (...), elle aura tendance à trouver à l'extérieur, dans des éléments d'un autre ordre, notamment dans le pouvoir, une compensation par rapport à son manque identitaire. C'est ce que j'appelle le complexe de la langouste qui utilise sa carapace pour masquer son manque de colonne vertébrale.

Le pouvoir et tout ce qui s'investit autour, deviendra un enjeu de survie qui va parasiter la vie opérationnelle de l'entreprise ainsi que le positionnement de la personne dans l'entreprise à de nombreux niveaux".

Cette image fait réfléchir, et tout d'un coup, on détecte toutes les langoustes qui semblent nous entourer, et l'on identifie aussi les moments où l'on se transforme soi-même en langouste..

Et l'on imagine facilement ce qu'il reste si on retire à la langouste sa carapace (son pouvoir, son statut,...) : RIEN. Elle est incapable de se tenir debout.

L'intérêt de la réflexion de Vincent Lenhard est aussi dans le modèle de ce qu'il appelle les quatre zones de l'identité. C'est quand elle manquent que l'on devient langouste.

Alors, l'antidote à la transformation en langouste, c'est quoi ?

Les quatre zones de l'identité dont nous avons besoin sont :

1. La zone interne : c'est celle de la définition de soi par soi-même;

2. La zone externe : c'est celle de la définition de soi par les autres;

3. La zone de la définition objective de l'identité;

4. La zone de l'ensemble des référents par rapport auxquels la personne se définit.

Pour Vincent Lenhardt, le sous-développement, l'absence de développement d'une de ces zones, ou un déséquilibre entre elles, ont pour résultat des problèmes identitaires "lourds de conséquences dans l'évolution, la croissance, la motivation, le système relationnel engendré par la personne".

On comprend vite tout le côté pratique de ce modèle.

- Si la personne a une faiblesse dans la zone 1, elle a un manque de confiance en elle-même, elle ne s'estime pas suffisamment compétente, elle a peur, elle n'a pas de regard suffisamment positif sur elle-même. Alors, tout ce qui va venir de l'extérieur sous forme de reconnaissance, missions, vie opérationnelle va heurter ce manque de stabilité. La personne va se sentir comme dans un puits sans fond, et va chercher désespérément des réassurances et  à se raccrocher aux problèmes de pouvoir.

- si la personne a confiance en elle, mais ne retrouve pas cette confiance dans la zone 2, celle de la définition de soi par les autres, cette reconnaissance par les autres, elle risque de partir "soit dans une dynamique narcissique par compensation, soit de se couper du réel,parfois à la limite de la mythomanie, se coupant du contact avec la parole de l'autre."

- il y aussi le cas où la personne a les deux zones 1 et 2 bien développées, mais il peut y avoir un écart dû au fait que son statut objectif n'est pas ajusté (niveau de salaire, définition de poste, lieu de son action, budget, cartes de visites,...). Cela va la conduire "à lutter pour une objectivisation de son identité qui va parasiter tout le reste".

- et puis, quand c'est la zone 4 des référents qui est insuffisamment développée, c'est le cas où la personne manque d'éthique, de modèle, de recours à des modèles, bref..de sens. Cette perte de sens, elle va particulièrement se ressentir lorsque l'environnement va être en turbulence, avec des changements, du chaos, des changements d'organisations. Dans ce cas le chahut va être fort, et la personne ne va pas tenir le coup. " Comme un navigateur sans boussole, sans confiance dans ses étoiles, elle se trouve en danger de se perdre".

On peut se demander si les entreprises où il y des personnes de ce type, une prolifération de langoustes, n'ont pas elles-mêmes (c'est à dire leurs dirigeants), contribué à créer ce milieu de culture. Les langoustes ne tombent pas comme ça par hasard dans les entreprises, comme une averse de grêle. Il est probable que les conditions et le style du management contribuent.

Que peut faire une entreprise pour réduire le nombre de langoustes ? Poser la question, c'est déjà en prendre en conscience.

Bien sûr, certains dirigeants adorent ce spectacle de langoustes en train de s'entretuer, et encouragent les combats.

D'autres vont penser, de temps en temps, à en tuer quelques unes pour que le jeu reste attractif mais pas trop violent.

Mais les plus attentionnés sont ceux qui vont faciliter les ingrédients pour que chaque personne et chaque manager trouve ainsi cette identité et l'équilibre des quatre zones constitutives pour permettre un développement harmonieux de l'entreprise.

Ceux là vont se préoccuper du développement personnel de leurs collaborateurs. Vont veiller à ce que les feedbacks soient émis pour permettre le maintien des zones 2. Pour la zone 3, il va s' agir de se préoccuper des systèmes d'appréciation, d'évaluation et de récompenses. Pour la zone 4, ils vont vérifier en permanence que l'entreprise communique et incarne un sens, des valeurs, qui se déploient et sont incarnées dans les comportements.

Tout un programme en fait, tout aussi important que les plans stratégiques, les budgets, les tableaux de bord, mais aussi plus engageant.

Car un environnement où les langoustes font la loi, c'est celui où la confiance entre les personnes est trés faible, où l'on ne sait plus trop pourquoi l'on court et où va l'entreprise.

Citons encore Vincent Lenhard :

" Si l'énergie d'une personne n'est pas suffisamment présente dans chaque zone et ne circule pas librement de l'une à l'autre, ce qui implique à la fois une certaine fluidité, de la perméabilité, et une stabilité suffisante,il se produit un manque de sécurité ontologique de la personne qui ne retrouvera ni dans le regard de l'autre, ni dans son statut, ni dans ses référents internes, des ressources suffisantes pour se sentir sécurisée, en paix avec elle-même."

Bien sûr, les solutions sont à l'intérieur de chacun, et c'est en tant que coach que Vincent Lehnard se pose toutes ces questions.

Mais cela n'empêche pas l'entreprise dans sa globalité, et les dirigeants à tous les niveaux, de réfléchir aux actions pour faire émerger et circuler les bonnes ondes dans l'entreprise. Les solutions toutes faites n'existent pas.

Mais y faire attention, c'est d'autant plus important dans les moments de turbulence, de fixation d'objectifs ambitieux et en rupture, de transformation de l'organisation : c'est à dire tout le temps...

Certains croient encore que pour obtenir des changements spectaculaires dans l'entreprise, il faut y faire régner la terreur.

D'autres se disent que, pour ne pas casser les bonnes ondes, il vaut mieux rester lâche et éviter de prendre les décisions désagréables, et s'en tenir au consensus.

Dans les deux cas, ces stratégies mènent à l'échec.

Autant le savoir avant de se lancer dans toute initiative de changement.

Nota : photo en tête cette note : Picasso - "Jeune garçon à la langouste" (1941)


La peur de la peur

Chatpeurhumouranimal "J'ai peur". Voilà bien une expression que l'on n'entend pas trés souvent dans l'entreprise. Pour un manager, un dirigeant, le "must" c'est précisément de toujours avoir l'air sûr de soi, de démontrer son courage et sa combativité face à l'adversité.

Et pourtant, parfois, souvent(?), on a peur : peur d'échouer, peur se faire réprimander par le chef, peur de ne pas faire plaisir, peur de ne pas aller assez vite, peur de ne pas être parfait, peur d'agir, peur de décider, peur de se tromper,..etc...

Et l'on a peu d'occasions d'en parler, de peur (encore), de passer pour un faible, quelqu'un de trop sensible.

Cette année, le séminaire "expérienciel" de l'équipe PMP qui, aprés le désert pour le précédent, se déroulait dans le grand Nord, en Laponie, était une excellente occasion : motos neige pétaradantes, chiens de traineau aboyant ensemble dans un immense chenil, bain glacé dans un trou percé dans la glace : toutes les expériences s'y prêtaient.Laponie_2  

Alors on a pu échanger sur nos peurs.

" J'ai dérapé sur la glace; j'ai eu peur de briser le lien de confiance avec mon passager".

"J'ai eu peur, car je n'aime pas quand je ne maîtrise pas les choses. C'était le cas avec ces chiens incontrôlables".

" J'ai eu peur au début, mais aprés la peur disparaît quand on est en pleine confiance".

"Il y a eu comme une chaîne : quand j'ai vu que les autres étaient en confiance, cela s'est transmis à moi, et m'a donné confiance".

"A un moment j'ai pensé : il ne faudrait pas que la moto soit en panne maintenant, car je ne sais pas où je suis, et puis cette idée a disparu, et j'ai continué".

Oui, quand on parle de la peur, on parle de la confiance.

C'est parce que l'on perd confiance que l'on a peur, et quand la confiance disparaît, on ne plus rien faire de bien, il devient impossible de faire fonctionner correctement son équipe.

Jon R. Katzenbach, qui est l'auteur du best seller sur la performance des équipes, "the wisdom of teams", le rappelle dans cet ouvrage :

"Il n'existe pas de recette miracle pour rendre performante une équipe; mais toutes les équipes qui réussissent ont un point en commun : les vraies équipes ne fonctionnent pas tant que les individus qui la composent ne prennent pas des risques, entraînant des conflits, de la confiance, de l'interdépendance, et de l'effort".

Et comment faire pour obtenir tout ça de ces individus si il n'y a pas de confiance ? Pour prendre des risques, il faut la confiance, en soi et envers les autres.

Alors, parler des peurs, les évacuer, prendre confiance, voilà un bon exercice pour se donner du courage et de l'ambition, pour savourer l'atmosphère de la confiance.

Retour à Paris cette semaine, dans le bureau d'un dirigeant d'entreprise, pour préparer une réunion avec le Comité de Direction sur un programme de réorganisation lourde des fonctions commerciales.

Il est allé ce week end à l'inauguration de l'ouverture d'une nouvelle partie de Eurodisney. Il a tout fait, "la tour de l'horreur", les manèges qui vont à toute allure, etc...Il en parle en riant comme un enfant. Et l'on parle alors, à propos de son comité de Direction, de quoi ? Oui, de la peur, du "capital confiance" dont il va avoir besoin pour que le plan de restructuration se passe bien; Comme si le sujet de la peur et de la confiance s'était transmis depuis mon séminaire lapon. Nous évoquons ensemble cette coïncidence...Et nous partons dans les ingrédients de la confiance dans une équipe. Et entre le consultant et son client. Décidemment, rien de tel que de parler de la peur pour installer la confiance.

Essayez, et vous verrez...

N'ayons pas peur de parler de la peur.

Nota : pour ceux qui se sentent l'envie de faire partie de l'équipe PMP et de nos séminaires expérienciels, ils peuvent postuler ICI.

Nous cherchons des consultants ...de confiance. Même ceux qui ont peur seront écoutés.

Mise à jour avec résultat du sondage :

30.3% Sujet tabou
39.39% On en parle rarement
30.3% On peut en parler librement


33 personnes ont répondu à ce sondage

Bon; on trouve de tout, mais ceux qui parlent rarement sont les plus nombreux...C'est bon pour le silence...