Peut-on stocker les talents ?
28 avril 2008
J'avais déjà entendu cette histoire ICI d'une entreprise qui embauchait des gens talentueux, même si elle n'avait pas de job immédiatement pour eux, mais juste pour les avoir sous la main lorsqu'elle en aurait besoin.
C'est un peu comme si, dans la guerre des talents, on stockait pour se prémunir de la pénurie et des mauvais jours.
Cette histoire m'est revenue en tête lorsque j'ai vu l'article de Peter Cappelli dans HBR de Mars 2008 : "Talent management for the twenty-first century".
Peter Cappelli, c'est un professeur de Wharton, interviewé ici sur le même sujet, qui vient de sortir un ouvrage au titre trés marketing :"Talent on Demand"...ça vous dit quelque chose ? Oui, comme IBM on demand, comme le just in time de la supply chain. C'est à dire : Zéro stock.
Sa thèse est simple : compte tenu de l'incertitude du futur, il faut gérer les talents en flux tendus, et surtout ne pas les stocker comme de bonnes bouteilles qu'on boira un jour. (bien sûr, Peter Cappelli ne parle pas de bouteille de vin, il est plus Wharton langage, mais c'est l'idée).
D'abord, parce que les talents ne sont pas comme les bonnes bouteilles : si vous ne les utilisez pas, ils s'éventent, ou bien ils se sauvent de votre entreprise, pour aller s'exercer chez vos concurrents.
Donc la bonne gestion des talents, c'est : pas de gaspillage. Chacun utilisé au mieux, et pas de surstock. Pas de plans de succession non plus, car, le jour où on aura peut être besoin d'un successeur, tout aura changé, et ces plans ne serviront à rien.
Et puis, qui croit encore que ça se passe comme ça dans l'entreprise: vous êtes tranquilles à votre job, pas vraiment à la hauteur de votre talent, mais bon, vous attendez. Et puis un jour, comme ça, quelqu'un, un chef, s'approche de vous en souriant, et vous tape gentiment sur l'épaule :"Eh, Gilles, voici ton prochain job qui est super pour ta carrière. Tu commences demain.Bonne chance". Et c'est comme ça, en rencontrant régulièrement des gentils chefs à la main caresseuse que vous vous faîtes une carrière.
Ceux qui y croient vraiment vont vraiment déchanter, et risquent d'attendre longtemps cette main qui vient leur caresser l'épaule...
En fait, les vrais talents se gèrent par eux-mêmes, ils cherchent les jobs pour leur carrière, ils provoquent les situations, ils changent quand ils sentent que c'est nécessaire pour eux; ils sont toujours au bon endroit pour progresser.
Inversement, ceux qu'on appelle les éléments les plus "loyaux" et "fidèles" à l'entreprise, ce sont ceux qui sont tellement médiocres qu'ils ne savent rien faire d'autre que ronronner et attendre les calins dee leurs chefs...Comme des chats castrés...
Le nouveau mot pour caractériser les collaborateurs efficaces ce n'est pas "loyaux" mais "engagés" : c'est à dire qui sont complètement engagés par leur travail, leurs objectifs, mais qui ne subissent pas l'entreprise. Au contraire, ils trouvent la bonne composition pour que l'entreprise profite de leur travail, mais eux aussi profitent, pour leur "marque personnelle", de ce travail dans l'entreprise. Et cette alchimie fait des miracles, et progresser les talents et les entreprises.
Alors Peter Cappelli donne des recommandations de bon sens dans l'article HBR pour cultiver les talents de bonne façon.
En premier lieu, il nous invite à bien distinguer les talents que l'on fait émerger en interne, et ceux qu'on est prêt à aller chercher à l'extérieur, en fonction de l'incertitude. Il encourage même plutôt à viser court sur l'interne, il appelle ça "undershooting"..
Il nous recommande ensuite de nous inspirer, pour bien gérer les talents, "on demand", de reproduire les règles de gestion de la supply chain : toujours suivre le retour sur investissement des développements des talents : par exemple si l'on a formé un employé qui quitte trop tôt l'entreprise pour rentabiliser l'investissement, il faut faire rembourser l'investissement par l'employé qui part (prévu dès son embauche), et inversement continuer à garder des contacts forts avec les employés qui sont partis (alumnis) car, si ils reviennent , ils auront un peu du capital de l'entreprise, plus ce qu'ils ramèneront des autres où ils seront passés.
Et puis, pour garder les talents, il recommande de toujours vérifier qu'il y a un bon équilibre entre les intérêts de l'employé et les intérêts de l'entreprise.
Oui, ok, vous allez dire "pas besoin d'être prof à Wharton, ni d'écrire un bouquin entier, pour débiter des banalités pareilles..".
Mais en même temps ces règles de bon sens, on les applique quand et comment dans votre entreprise ? Vous avez l'impression que les intérêts sont bien équilibrés ? ou bien vous êtes la bouteille de vin qui est en train de s'éventer ? Et la cave de l'entreprise, la bonne cave des talents inutilisés, elle a combien de bouteilles ?
Finalement, Peter, il est pas si abruti que ça...
En tous cas, il y a une chose que Peter considère complètement ridicule et innefficace c'est de croire qu'on va prédire les besoins en talents plusieurs années à l'avance, comme un Gosplan...Il croit plutôt qu'il faut se préparer à l'incertain, au changement...Et que seules les simulations à court terme ont du sens.Il cite plein d'entreprises américaines qui ont abandonnées les prévisions à long terme, comme Dow Chemical par exemple.
Cela rappelle, en creux, la "GPEC", Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, que nous avons en France comme une grande spécialité, unique au monde, qui a fait l'objet d'une loi, et qui est obligatoire pour les entreprises côtées .Et qui est une vraie galère, source de discussions stériles sans fin avec les "partenaires sociaux". Chacun essaye de s'en sortir en faisant semblant.
Mais bon, c'est pas un américain de Wharton qui va nous apprendre la vie , non ?
En France les bonnes bouteilles, on est des spécialistes non ?
Allez, vous en reprendrez bien une tournée ? GPEC blanc ou GPEC rouge ?