Savoir qui vous êtes en vous dispensant de vous définir
23 avril 2008
Dans l'entreprise, on ne distingue pas de couleur politique dans le management. Ni droite, ni gauche, le monde de l'entreprise c'est le monde de l'efficacité, de la performance. Même si on peut distinguer des styles différents, des valeurs différentes : certains managers sont plus centralisateurs que d'autres; les notions d'autorité et de consensus sont également sujets de débats et d'opinions.
Par contre quand on parle des affaires publiques, là, il y a toujours cette distinction, la gauche, la droite. Ces termes trés français désignent à l'origine la place de leurs partisans dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale. Et puis, "être de gauche" et "être de droite", ce n'est pas la même chose.
Est-ce si sûr ?
La "Revue des Deux Mondes" consacre justement son numéro d'Avril 2008 à cette question : Où va la droite?
Marcel Gauchet, que j'avais rencontré et évoqué ICI, y donne une contribution intéressante, que l'on peut lire ICI, permettant de faire remarquer combien la pèriode actuelle tend à faire disparaître des discours politiques ce clivage gauche/droite, et à justement adopter un discours qui ressemble de plus en plus à celui de l'entreprise : le discours de l'efficacité et de la performance, qui ne soucie plus d'idéologie et de théorie.
Citons Marcel Gauchet :
" Le mot qui condense ce nouvel esprit de l'époque, c'est "gouvernance". Un peu de gouvernement, mais le moins possible. Pour le reste, le plus possible d'ajustements spontanés dans le système le plus décentralisé possible. C'est à la puissance de ce schéma de pensée qu'il faut attribuer la désintellectualisation frappante de nos sociétés.A quoi bon chercher à comprendre et à maîtriser des processus dont l'équilibre doit se trouver de lui-même ?"
Nous sommes donc passés dans le temps où "l'expertocratie" et le "pragmatisme" tiennent lieu de tout. C'est ce qui permet de vraiment, comme l'on dit de nos jours, évaluer les politiques publiques.
Pascal Salin, dont j'ai déjà parlé ICI, et ICI, dans un autre article du numéro de cette revue, pose, lui une question complémentaire : existe-t-il une pensée économique de droite ?
Pascal Salin, c'est le chantre du "libéralisme". Il insiste dans son article pour démontrer que les politiques de gauche comme de droite, ne sont justement pas des libéraux en matière économique. Alors que le libéralisme encourage la liberté individuelle, et la réduction de l'intervention de l'Etat dans les affaires économiques, il observe que :
" Pour les gouvernants, qu'ils soient de droite ou de gauche, tout problème trouve sa solution non pas dans l'autorégulation résultant des interactions individuelles, mais dans une nouvelle règlementation ou un nouvel impôt".
Il a ainsi tendance à mettre dans le même sac droite et gauche, toutes deux aussi incapables, par rapport à une vraie politique économique libérale qui nous sauverait.
La preuve que les modèles traditionnels ne marchent pas, et que l'opinion le sent bien, c'est le succès du terme de "rupture" qu'a utilisé Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle :
" Le thème d'un changement profond a manifestement contribué au succès du candidat, ce qui implique sans doute qu'une grande partie des électeurs sentait plus ou moins confusément que le modèle économique et social français avait échoué et qu'il fallait en changer. Il paraît évident, malheureusement, que ces électeurs - pas plus que la classe dirigeante - ne possèdent les instruments intellectuels qui leur permettraient d'imaginer un système différent. Il ne faut donc pas s'étonner si la rupture, hautement revendiquée, n'est pas véritablement entrée dans les faits. "
En fait, le vrai clivage en matière de pensée économique, il est, selon Pascal Salin, entre les libéraux et les constructivistes. Cette opposition est reprise des concepts de Hayek, qui les a exposés dans un texte célèbre, "pourquoi je ne suis pas conservateur". Selon Pascal Salin :
"Les constructivistes croient possible de construire une société conforme à leurs voeux, les libéraux, pour leur part, estiment qu'une société se construit elle-même de manière imprévisible grâce à des processus de coordination interindividuels et de création continuelle d'information. Les formes qu'elle peut prendre à un moment donné sont donc le résultat, non voulu intentionnellement, des actions innombrables de ses membres".
Ainsi, les libéraux s'opposent aux constructivistes, qui peuvent être de gauche (les socialistes qui veulent réformer la société), ou de droite (les conservateurs qui veulent la maintenir dans l'état où elle se trouve).
A lire ce passionnant dossier, on en arrive à ne plus bien voir ce qui distingue encore vraiment la droite et la gauche dans la vision et la conduite des affaires publiques.
La plupart des auteurs critique avec ardeur la politique actuelle menée par Nicolas Sarkozy, lui reprochant notamment "le manque de ligne, l'absense de direction claire". Là encore, ce sont des critères que l'on réserve aussi au monde de l'entreprise (ce sujet de la Vision) qui sont utilisés. Cette vision dont Philippe Varin nous avait dit être un critère de succès majeur pour la stratégie de l'entreprise.
Pour autant, cela veut-il dire que la distinction entre la droite et la gauche, que l'on n'arrive plus bien à définir, va disparaître ?
Marcel Gauchet vient nous rassurer, en promettant de beaux jours à la distinction droite/gauche, qui constitue un jeu politique bien ancré dans nos moeurs françaises.
Ce qui sauve la distinction droite/gauche selon lui, c'est le poids des extrêmes :
" L'extrême gauche fonctionne comme un surmoi pour la gauche socialiste, et le vote d'extrême droite est le grand problème électoral de la droite. Cet extrémisme structurel contribue au durcissement des clivages".
Mais quand même, si il n'y a plus de contenu fort sur lequel s'opposer, en quoi va consister l'opposition droite/gauche ?
Et là, la réponse de Marcel Gauchet est fantastique : peu importe le contenu, c'est juste pour s'opposer :
" C'est justement l'indéfinition du contenu qui fait la force de l'opposition droite-gauche ! Elle permet d'exprimer une contradiction marquée dont la teneur reste mystèrieuse. Elle autorise chacun des camps à se définir par contraste : la gauche, c'est ce qui s'oppose à la droite, et la droite, c'est ce qui rejette la gauche. Le clivage droite-gauche vous permet de savoir qui vous êtes tout en vous dispensant de vous définir. Commode ! C'est pourquoi je tends à penser qu'un système aussi bien huilé et enraciné n'est pas près de disparaitre".
Ouf...Ceux qui aiment bien la politique vont pouvoir s'amuser encore longtemps.
Pour l'efficacité des politiques publiques et du management des affaires de l'Etat, on attendra encore un peu.
Je l'aime bien ce Marcel Gauchet ! Il dit des choses censées, intelligentes et intelligibles ! Et puis il est de gauche, voire même d'extrême-gauche !^^
Rédigé par : Antoine | 23 avril 2008 à 23:11
Marcel Gauchet. Peut-il être objectif sur un sujet concernant la bi-polarisation droite/gauche(t) de notre société ? ;-)
Rédigé par : Petit Vélo | 25 avril 2008 à 15:50
"Qu'on soit de gauche ou de droite on est hémiplégique, disait Raymon Aron... qui était de droite", (Desproges). Ceci appelle deux commentaires:
1: Antoine, si Marcel Gauchet est de gauche, alors Max Mosley est curé...
2: Ensuite, tous ces mots valises, efficacité, pragmatique, que l'on veut faire passer pour non clivants sot évidemment à droite. Néanmoins, cette note a le mérite de s'inscrire dans la droite ligne d'un Elie Cohen ultra-libéral convaincu qui reproche à Sarkozy d'être un mauvais libéral, pas de ne pas être de droite... Soyons sérieux, la question n'est malheureusement plus de savoir qui est à gauche mais qui est moins à droite... Triste France, tiens.
Rédigé par : Castor Junior | 27 avril 2008 à 10:55
@Antoine :
Pour toi, tu vois de gauche ou d'extrême gauche tous ceux dont tu aimes et comprend les phrases...sympathique définition : les gens de gauche sont ceux que j'aime...Tu vas en convertir plus d'un...
@Castor Junior :
De droite "l'efficacité et le pragmatisme ? Alors de gauche l'inneficacité et l'irréalisme ? Pas gentil pour ceux qui rament à gauche pour essayer 'd'aller vers l'idéal en comprenant le réel", c'est à dire d'être pragmatiques...
Et puis, serait ce que "être efficace" dans l'entreprise ça veut dire être de droite ? En clair diriger une entreprise = Droite; et la gauche c'est tous les esclaves...Pas trés moderne...Pourtant on pourrait penser qu'il y a des "patrons de gauche" qu sont aussi efficaces. Et libéral, pourquoi ultra-libéral ? quelle est la différence entre ultra-libéral et libéral ? A part le fait de mettre une petie sauce péjorative parce qu'on les aime pas... Comme quand on dit "ultra gauche" pour signifier "quelqu'un de gauche qui veut tout faire pêter" alors que la gauche, elle, veut "réformer"...
En fait, ces histoires droite/gauche appliquées à la performance des entreprises, c'est une vision assez désuète des entreprises. Aujourd'hui l'entreprise , et les dirigeants, qui réussissent sont sortis des caricatures et ont une vision bien plus complexe et humaine de leur entreprise comme communauté humaine; comme une "Zone Franche" qui accepte les points de vue des salariés comme des actionnaires...et tente de faire vivre l'ensemble de cette communauté humaine ensemble...
Rédigé par : Zone Franche | 27 avril 2008 à 16:20