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Buena serra Gioacchino

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Deux amants justes mariés s’éloignent et des palmiers se lèvent de terre devant eux, au fur et à mesure qu’ils disparaissent dans les dunes. Le chœur les accompagne. Deux portraits descendent du ciel, et nous applaudissons.

Ces deux portraits qui sont descendus devant nous ce soir là, ce sont ceux de Rossini et de Beaumarchais, depuis longtemps disparus, et qui reçoivent encore la chaleur du public. Comme un grand Merci de nous avoir permis ce plaisir intact face à une œuvre qui enchante les publics depuis …1816 pour Rossini, et 1775 pour Beaumarchais. Ils ne sont jamais connus, ayant vécus à des époques différentes, mais tous deux reçoivent nos hommages.

C’était la reprise de la mise en scène de Coline Serreau du « Barbier de Séville », que l’on n’avait pas vu à l’Opéra de Paris depuis 2002, et qui date de 1816, Rossini avait 24 ans quand il l’a écrit...

Elle revient au répertoire de Bastille pour une dizaine de représentations.

Elle était là, Coline, sur scène, ce soir, pour recevoir les ovations du public, en complément de celles réservées à Rossini et Beaumarchais, et bien sûr aux interprètes. Elle avait le sourire du bonheur.

L’opéra a démarré depuis trois heures, on n’a pas vu le temps passer.

Le Barbier, c’est une intrigue connue, et des airs attendus ; la calomnie par Basilio (ce soir incarné par Samuel Ramey, basse de référence), « Una voce poco fa » par Rosine (Maria Bayo), maintenue enfermée derrière les grilles de la forteresse par son tuteur Bartolo (mais qui en fait sauter la porte grillagée lors de cet air, comme un symbole de ce qui la pousse vers l’amour de Lindoro,un peu comme dans une vidéo de Madonna ; avec détermination et affirmation de sa volonté), et puis Figaro, le barbier….de qualité, de qualité.

Et cette scène magnifique où les protagonistes n’en finissent plus de se dire au revoir, enchaînant l’un après l’autre des « buena serra » interminables..Harmonie des voix, de la musique, et du jeu théâtral..

La mise en scène est joyeuse, presque un spectacle de guignol, les personnages caricatures d’eux-mêmes, tout ce que l’on attend d’un opéra bouffe.

Le comte Almaviva, amoureux de Rosine qui le prend pour Lindore, et qui ne révèlera son identité qu’à la fin du deuxième acte, juste avant le mariage, était ce soir représenté par un jeune ténor mexicain, pour la toute première fois à l’Opéra de Paris, Javier Camarena, (retenons ce nom),petit de taille mais tout en expression, autant dans la voix que dans le jeu, parfaitement adapté. De quoi être jaloux de Rosine…

A noter aussi l’air, au deuxième acte, de la servante Berta, interprétée par Jeannette Fischer, se lamentant sur cette « maison de fous », et qui ressemble à une techtonik façon XVIIIème siècle étonnante…

Enfin Coline Serreau donne du personnage de Figaro, le barbier, interprété par le baryton roumain George Petean, d'une aisance fabuleuse dans le rôle, une vision particulière.

Figaro, c’est, nous dit elle dans ses « notes de mise en scène » reproduites dans le programme :

«  l’avènement de l’ère des services. Il ne produit rien de tangible, arrangeur et marchand, il vend tout ce qui veut bien s’acheter ».

Dès son entrée en scène, avec cet air si connu, on est fixé : il est habillé comme un genre de clown, l’œil coquin, un parasol multicolore sur la tête, et tire une petite carriole de forain emplie de colifichets divers, des téléphones portables, des bijoux fantaisie, des accessoires pour les cheveux. Et il a un carnet de commandes très rempli pour satisfaire tous ses clients.

En échange de promesse d’or, il va devenir pour le comte Almaviva, son client favori, une sorte de consultant : il imagine les scénarios et les ruses pour lui permettre de rencontrer Rosine, maintenue enfermée par le tuteur Docteur Bartolo.

Et l’on ne peut que se réjouir devant ce duo avec Almaviva (le charmant petit mexicain Camarena) où Figaro vante la capacité de l’or à produire des idées géniales, la musique accompagnant cette vivacité : « A l’idée de ce métal, prodigieux tout puissant, mon esprit commence, à devenir un volcan ». On assiste à ce jaillissement des inventions et des idées, grâce au pouvoir de suggestion de la musique : «  Che invenzione prelibata ! ».

En fait ce consultant si vite inspiré d’idées géniales par l’or qui lui est promis, il n’a finalement pas d’idées si géniales que ça, et ses idées se cassent la figure. Il se fait prendre à chaque fois. Ayant eu l’idée d’introduire le comte avec un billet de logement de l’armée chez le Docteur en simulant l’ivresse, celui-ci risque de se faire sortir par un bulletin d’exemption non prévu. Au deuxième acte, idem, il se prend les pieds dans son plan. Heureusement que le Comte s’en sort, car ce n’est pas son consultant Figaro qui assure le plan. Mais on n’en veut pas au consultant, tant il inspire la sympathie.

Citons encore les notes de Coline Serreau :

«  Le comique de Figaro, c’est ce formidable appétit d’arriver qui s’évertue à trouver des solutions relativement foireuses…Son grand air est plein de la joie d’un homme dont on apprécie les services, mais aussi plein de son angoisse, « uno alla volta per carita », il croule sous le travail… ».

Oui, ce consultant qui court comme un fou pour trouver les idées, et qui s’emmêle les pieds dans l’exécution, dont

« la personne qu’il décrit dans son air, c’est autant celui qu’il aimerait devenir que celui est en vérité ».

Et c’est vrai qu’il court tout le temps ce Figaro, avec cette façon de faire semblant d’avoir arrangé toutes les situations, mais souvent dépassé. Cela nous le rend sympathique et très humain…

Pour bien apprécier cette mise en scène jubilatoire, il vaut mieux emmener son âme d’enfant , et ses oreilles innocentes pour se remplir de ces airs et de cette musique si entraînants, comme si on les découvrait pour la première fois.

Et sans oublier de garder une pensée pour la condition du consultant Figaro affairé, « l’avènement de l’ère des services », qui, bien qu’ayant quitté le monde de Rossini et de Beaumarchais, est encore, aujourd’hui, parfois pris, et dépassé, dans les intrigues des Bartolo, Rosine et Almaviva de notre temps.

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