Interview gastronomique
Mélodie du bonheur

Les noces de Marianne et Emile

Pacsmairiemarianne_2 En ce moment, ils sont, paraît il, plus d'un million à postuler pour le poste de maire d'une commune. Enfin, ils étaient dimanche dernier; avec le deuxième tour, le nombre de prétendants a diminué.

Certains se demandent si le poste de maire ressemble à celui d'un chef d'entreprise.

Alors, observons.

Dans mon arrondissement, les deux listes qui restent présentent des sociologies bien différentes :

Première liste (arrivée en tête au premier tour) - les métiers des membres de la liste :  maître de conférences, assistante administrative, professeur d'histoire géographie, professeur des écoles, responsable gestion logements,...

Deuxième liste - métiers des membres de la liste : chef d'entreprise, commerçante, conseil en communication, chirurgien, mais aussi...directeur de cabinet, ministre (métier précaire), enseignant, fonctionnaire de l'Education Nationale.

Oui, on le voit, il y a plus de fonctionnaires et de professeurs (ceux que Jean Edern Hallier appellait en 1981 les "Emile", en référence à l'Emile de Jean-Jacques Rousseau) que d'entrepreneurs et de chefs d'entreprise du monde privé(Les chefs d'entreprise sont plutôt sur la deuxième liste, celle de droite, on s'en doute)...

Est-ce que cela prédispose pour bien gérer les activités d'une ville, a fortiori une ville comme Paris, même au niveau d'un arrondissement ? Poser la question, c'est y répondre.

Mais il serait bien naïf de croire, ou de faire croire, qu'une ville se gère comme une entreprise.

D'abord, alors que le chef d'entreprise, sous réserve quand même de respecter la loi (et notamment le droit du travail), a tout pouvoir sur son entreprise, cela n'est pas du tout le cas d'un maire ou d'un membre du conseil municipal.

Exemple parmi d'autres, le cas de l'urbanisme : il n'est pas possible de laisser aux propriétaires le libre choix de l'affectation de leur terrain. Les lois interdisent au Maire d'ouvrir à la construction le maximum de terrains.

Encore un exemple : le logement. La loi oblige d'avoir 20% de logements sociaux dans les communes de plus de 50.000 habitants, et de respecter un "plan local de l'habitat" décidé par des apparatchiks dirigistes, sans intervention de l'avis du Maire. Cette histoire de logements sociaux, est-ce un bon moyen pour aider les pauvres à se loger ? Personne n'ose poser la question; c'est devenu un dogme. Et tant pis si ça profite aussi aux petits malins qui connaissent les ficelles pour se trouver un logement pas cher par ce moyen...

Encore un exemple : la fiscalité. Là encore, le Maire applique les lois. Aucune initiative n'est possible, à part sur les taux d'imposition. Mais rien sur les bases imposables, les types d'impôts.

Dernier exemple : les dépenses "contraintes", celles que le Maire ne peut que constater et engager : les bâtiments et infrastructures des écoles publiques (maternelles et primaires), les prestations concernant la petite enfance et la vieillesse, l'accueil des "gens du voyage" (doux euphémisme). Et aussi l'obligation de respecter la règlementation sur le "chèque education".

Bref, quand on est Maire, il ne faut pas chercher à être libéral , ni à élaborer des schémas de gestion et de management comme on le ferait dans une entreprise, mais au contraire de bien appliquer les lois, les contraintes, et toutes les décisions de l'Etat central..Et finalement les "emile" ne sont pas de si mauvais prétendants que ça pour épouser Marianne...Servir et plier sous les "instructions ministérielles", ils en ont pris l'habitude.

En fait, les approches trop "gestionnaires" et "business" sont souvent plus des discours que des réalités.

Alors, c'est quoi qui permet de distinguer une bonne gestion des affaires des communes ?

L'Ecole de Paris recevait, il y a quelques mois, le maire du Chesnay, Philippe Brillaut, qui nous a expliqué la vraie vie d'un maire.

Pour lui, le vrai moment où le Maire exerce sa responsabilité, c'est le vote du budget (encore une différence ave"c l'entreprise, où l'on est de plus en plus en train de rechercher des démarches de management "sans budget"...). Et puis il y a les dépenses d'investissement. Mais là, comme le dit Philippe Brillaut, "il faut être patient". Exemple :

Le Maire décide de construire une école. Oh, là, attention : il faut passer par les marchés publics, et la loi impose la transparence...

Le Maire, à son directeur Général : "prenons un architecte !".

Le DG : " Ah non, Monsieur le maire, il faut définir le cahier des charges du concours, avant de lancer un appel d'offres pour l'architecte !"

Le maire : "ça va prendre combien de temps ?"

Le DG : "Oh, 12 à 18 mois".

Le maire : "Tout ce temps là !!"

Le DG : " Et bien, oui! mais il y a plusieurs types d'appels d'offres. Préférez vous un appel d'offres à concours ou ...?".

Le maire : "Bon! Expliquez moi tout ça !".

Alors, pour choisir l'architecte, le maire va devoir aller voir l'inspection de l'Académie. A son retour :

Le maire :" On peut avancer".

Le DG : "Mais vous n'avez pas vu les enseignants !".

Le maire : "On verra plus tard".

Bon, ça y est, l'architecte est désigné au bout de...16 mois.

Il faut alors rédiger le Dossier de Consultation des Entreprises (DCE). Et des réponses arrivent.

Le maire : "alors, quelle est l'estimation ?"

Le DG : " 25 millions d'euros".

Le maire : "je ne m'attendais pas à ça ! Peut on avoir des subventions ?"

Alors il téléphone à ses amis, de préférence de sa couleur politique.

Pour le permis de construire, pas de chance, l'école va faire de l'ombre à un appartement voisin.

Le DG : "Nous n'échapperons pas à un recours au tribunal administratif".

Le maire : "combien de temps pour ça ?".

Le DG : "entre deux et dix ans".

Le maire : "bon, il faut demander à l'architecte de revoir sa copie".

Deux ou trois ans aprés la décision initiale, l'appel d'offres est lancé aux entreprises. Vu le montant engagé, l'appel d'offres est européen : les entreprises italiennes, belges, françaises, ...pourront y répondre.

Etc...Avec un peu de chances, cette école pourra être construite avant la fin du mandat de 6 ans du maire, mais cela va être dur...

Bref, le mandat de maire, ça nécessite d'être patient, et de ne pas trop rager sur les lourdeurs de l'Administration.

Pourtant, ceux qui s'y investissent vraiment, en tenant compte de ces contraintes, y trouvent apparemment du plaisir, puisqu'ils en redemandent à chaque renouvellement de mandat (voir Bertrand delanoë).

Les maires qui trouvent les bons leviers d'action sont ceux, aujourd'hui, qui se consacrent notamment :

- au développement du territoire : il est évident que pour rendre attractif et dynamique un territoire il faut aujourd'hui favoriser l'implantation d'entreprises, de professions libérales, de commerçants, de populations jeunes. Et se lancer dans une politique de numérisation du territoire et de déploiement de réseaux trés haut débit. Cette vision moderne et technologique du territoire, elle fera la différence. Les maires qui sont des rétrogrades, qui ne comprennent rien aux nouvelles technologies sont ceux qui vont nuire gravement à la santé de leurs administrés.

- à un contrôle de gestion dynamique de leurs activités: comparer les coûts, optimiser les opérations, mieux gérer les investissements, mieux piloter les ressources humaines, comparer la gestion en propre et la délégation du service à une entreprise privée : autant de sujets qui sont souvent mal cernés par les équipes municipales;

- à un bon système de gouvernance entre les élus et les personnels de l'administration : souvent ce sont deux mondes qui s'ignorent, se critiquent, et n'aboutissent à rien. Une vraie implication des élus est indispensable, sinon la technostructure et la bureaucratie vont se cherger de paralyser toutes les initiatives innovantes.

Il va être intéressant d'observer le mandat des nouveaux maires élus dimanche prochain : fini le temps de l'approche "business" qui copie les outils du monde privé sans les comprendre, et fini aussi le temps de la gestion pépère et inexistante. Nous entrons dans une période où l'on parlera de plus en plus de "performance du management public", mais avec des règles et des comportements spécifiques qu'il faut inventer.

Décidément, aux noces d'"Emile et de marianne", il va y avoir des surprises...et de l'innovation...

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