La ronde des savoirs
La peur de la peur

Les sages sont tous du même avis

Tiberius_bust Quand on parle de réseaux et de communautés, on pense aux gens qui nous entourent, à nos amis, aux associations professionnelles, d'anciens de notre école, aux copains d'avant, et maintenant les "réseaux sociaux".

C'est à la mode.

Le réseau, tel ou tel, c'est celui à qui on fait appel pour rechercher des réponses à des questions, de l'aide pour un projet personnel ou professionnel.

Il y a un type de "réseau" qui est plus étrange, plus ésotérique, et qui pourtant constitue pour de nombreuses personnes un vrai référent : c'est un réseau imaginaire des hommes du passé, des sages aujourd'hui disparus , que l'on consulte comme un panthéon personnel.

Napoleon Hill, dans cet ouvrage que je considère comme le plus utile pour toute démarche de planification dite "stratégique", "Réfléchissez et devenez riche" ( ouvrage du début du XXème siècle je crois, toujours réédité), nous propose comme une des règles de réussite de justement nous constituer ce panthéon, et de le consulter régulièrement dans nos moments de réflexion et nos songes pour prendre des décisions.

Il est drôle d'essayer de le constituer, comme un conseil d'administration personnel : mettrions nous Sun Tzu, ou bien Napoléon, Cicéron, voire l'Abbé Pierre...l'exercice est inépuisable.

Je retrouve cette idée dans un texte des années 50 d'Henry de Montherlant, rapporté par son biographe Pierre Sipriot, dans son ouvrage "Montherlant sans masque". Il s'agit de notes pour préparer des interviews à la radio, mais les idées correspondent bien au style et au mode de pensée de Montherlant, qui a réglé toute sa vie sur des figures du passé. Comme il s'en explique :

" Chaque évènement contemporain a son double dans le passé. (...). De là que lorsqu'on connaît bien un seul secteur de l'histoire on n'a pas besoin de connaître les autres : ils ne vous apprendront rien. On peut les connaître en matière de passe temps; mais cela n'est pas nécessaire.

De cette identité de l'homme s'ensuit également un sentiment de communauté avec les hommes du passé. Il se crée en vous une sorte de mécanisme, qui devient une seconde nature, par lequel, à chaque évènement, mais surtout aux évènements qui devraient vous être désagréables, vous vous référez à un homme d'autrefois qui le subissait tout pareil, et cette communauté vous aide à le supporter. Je me souviens qu'au lendemain du 6 février 1934 où je crus voir le commencement d'une guerre civile, mon premier mouvement, mon réflexe irrésistible, fut de me jeter dans des auteurs de l'antiquité, et de "chercher des précédents". J'en trouvai sans peine, et mon émotion s'éteignit. Bien plus, je devins assez content d'avoir l'occasion de vivre des circonstances si semblables à celle de l'histoire romaine."

En allant chercher à son comble les conséquences de cette image, Montherlant cite cette phrase de Bacon : "les sages sont tous du même avis" :

" Sur maint sujet, par exemple sur la superstition, sur la prière, sur le fanatisme, sur le paraître opposé à l'être (pour les condamner), sur la mesure, sur le détachement, sur le sucide (pour les louer), (...), toute une famille de grands esprits, de l'Asie et de l'Europe, de l'antiquité la plus reculée et des temps modernes, a pensé et prononcé les mêmes jugements, souvent sans se connaître les uns les autres. Et, autant on doit faire peu de cas de l'opinion du plus grand nombre (dédain sur lequel ces maîtres sont d'accord également), autant une telle unanimité impose : ces rencontres et ces redites, quelquefois jusque dans les mêmes termes, prennent à mes yeux un caractère comme sacré. Quel livre impressionnant on ferait en groupant, pour chacun des sujets, les opinions des penseurs, étalées sur des millions d'années, et qui toutes concordent ! "

" Le fait de n'avoir pas une pensée originale est sans importance : sur cela aussi les grands esprits sont d'accord. Il faut penser juste ; il n'est pas nécessaire de penser original."

Et il en conclue que les pensées originales sont rares; chacun de nous ne conçoit que trés peu de pensées dont il ait la sensation forte qu'il ne les a jamais entendu ni lues. Et encore, lorsqu'il a cette sensation, n'est-il pas sûr qu'elle ne l'abuse pas ?

Oui, cette communauté des hommes du passé, des sages depuis la nuit des temps, elle imprègne nos pensées comme un inconscient universel.

Alors, avant de compter nos amis sur facebook, peut-être suffit-til déjà de consulter, comme un réseau infini sur les millions d'années qui nous précèdent, en y trouvant l'inspiration, les questions, et les principes, qui nous manquent pour décider et agir.

Reste à oser avoir de la mémoire, et à savoir s'y retrouver dans ces auteurs et sages de tous temps...

Mais l'on peut déjà commencer par un échantillon de ceux que l'on privilégie dans nos comités et panthéons personnels.

Commentaires

Gabriel

Hello Gilles,

Super ce post, j'adore, je suis fan, je recommande, j'en redemande!
Surtout continue ;-)
J'espere que tout se passe bien chez PMP. Bonjour à tous!

Marc

Gilles, ta note m'a fait venir en mémoire la lecture des formidables "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar. Ou comment, par le miracle de son écriture, le lecteur se retrouve transporté dans l'intimité de pensée et d'action d'un empereur romain...

René

Tout ça me fait penser au mot d'Auguste Comte "Il y a plus de morts que de vivants, ce sont les morts qui dirigent les vivants". Il voulait marquer par là la dette que nous avons à l'égard de nos ancêtres.
Quant à dire comme Montherlant qu'ils ont tous le même avis, c'est une vision bien superficielle.
Tout les grands esprits s'accordent sans doute pour une recherche d'une certaine sagesse et la nécessité de dépasser les apparences.
Mais dès l'antiquité, les stoïciens ne sont pas d'accord avec les épicuriens. Et il y a autant de doctrine que de grande famille de pensée, dont certaines s'opposent à peu près sur tout.

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