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Les sages sont tous du même avis

Tiberius_bust Quand on parle de réseaux et de communautés, on pense aux gens qui nous entourent, à nos amis, aux associations professionnelles, d'anciens de notre école, aux copains d'avant, et maintenant les "réseaux sociaux".

C'est à la mode.

Le réseau, tel ou tel, c'est celui à qui on fait appel pour rechercher des réponses à des questions, de l'aide pour un projet personnel ou professionnel.

Il y a un type de "réseau" qui est plus étrange, plus ésotérique, et qui pourtant constitue pour de nombreuses personnes un vrai référent : c'est un réseau imaginaire des hommes du passé, des sages aujourd'hui disparus , que l'on consulte comme un panthéon personnel.

Napoleon Hill, dans cet ouvrage que je considère comme le plus utile pour toute démarche de planification dite "stratégique", "Réfléchissez et devenez riche" ( ouvrage du début du XXème siècle je crois, toujours réédité), nous propose comme une des règles de réussite de justement nous constituer ce panthéon, et de le consulter régulièrement dans nos moments de réflexion et nos songes pour prendre des décisions.

Il est drôle d'essayer de le constituer, comme un conseil d'administration personnel : mettrions nous Sun Tzu, ou bien Napoléon, Cicéron, voire l'Abbé Pierre...l'exercice est inépuisable.

Je retrouve cette idée dans un texte des années 50 d'Henry de Montherlant, rapporté par son biographe Pierre Sipriot, dans son ouvrage "Montherlant sans masque". Il s'agit de notes pour préparer des interviews à la radio, mais les idées correspondent bien au style et au mode de pensée de Montherlant, qui a réglé toute sa vie sur des figures du passé. Comme il s'en explique :

" Chaque évènement contemporain a son double dans le passé. (...). De là que lorsqu'on connaît bien un seul secteur de l'histoire on n'a pas besoin de connaître les autres : ils ne vous apprendront rien. On peut les connaître en matière de passe temps; mais cela n'est pas nécessaire.

De cette identité de l'homme s'ensuit également un sentiment de communauté avec les hommes du passé. Il se crée en vous une sorte de mécanisme, qui devient une seconde nature, par lequel, à chaque évènement, mais surtout aux évènements qui devraient vous être désagréables, vous vous référez à un homme d'autrefois qui le subissait tout pareil, et cette communauté vous aide à le supporter. Je me souviens qu'au lendemain du 6 février 1934 où je crus voir le commencement d'une guerre civile, mon premier mouvement, mon réflexe irrésistible, fut de me jeter dans des auteurs de l'antiquité, et de "chercher des précédents". J'en trouvai sans peine, et mon émotion s'éteignit. Bien plus, je devins assez content d'avoir l'occasion de vivre des circonstances si semblables à celle de l'histoire romaine."

En allant chercher à son comble les conséquences de cette image, Montherlant cite cette phrase de Bacon : "les sages sont tous du même avis" :

" Sur maint sujet, par exemple sur la superstition, sur la prière, sur le fanatisme, sur le paraître opposé à l'être (pour les condamner), sur la mesure, sur le détachement, sur le sucide (pour les louer), (...), toute une famille de grands esprits, de l'Asie et de l'Europe, de l'antiquité la plus reculée et des temps modernes, a pensé et prononcé les mêmes jugements, souvent sans se connaître les uns les autres. Et, autant on doit faire peu de cas de l'opinion du plus grand nombre (dédain sur lequel ces maîtres sont d'accord également), autant une telle unanimité impose : ces rencontres et ces redites, quelquefois jusque dans les mêmes termes, prennent à mes yeux un caractère comme sacré. Quel livre impressionnant on ferait en groupant, pour chacun des sujets, les opinions des penseurs, étalées sur des millions d'années, et qui toutes concordent ! "

" Le fait de n'avoir pas une pensée originale est sans importance : sur cela aussi les grands esprits sont d'accord. Il faut penser juste ; il n'est pas nécessaire de penser original."

Et il en conclue que les pensées originales sont rares; chacun de nous ne conçoit que trés peu de pensées dont il ait la sensation forte qu'il ne les a jamais entendu ni lues. Et encore, lorsqu'il a cette sensation, n'est-il pas sûr qu'elle ne l'abuse pas ?

Oui, cette communauté des hommes du passé, des sages depuis la nuit des temps, elle imprègne nos pensées comme un inconscient universel.

Alors, avant de compter nos amis sur facebook, peut-être suffit-til déjà de consulter, comme un réseau infini sur les millions d'années qui nous précèdent, en y trouvant l'inspiration, les questions, et les principes, qui nous manquent pour décider et agir.

Reste à oser avoir de la mémoire, et à savoir s'y retrouver dans ces auteurs et sages de tous temps...

Mais l'on peut déjà commencer par un échantillon de ceux que l'on privilégie dans nos comités et panthéons personnels.


La ronde des savoirs

Ronde Dans le monde d’aujourd’hui, c’est facile de s’informer sur plein de choses. La presse, les bibliothèques, les librairies, la télévision, et puis Internet : Google, les blogs, wikipedia,…De quoi s’en saoûler : sur n’importe quel sujet, on a l’impression qu’on peut en savoir autant que le plus grand savant.

Mais voilà, pour qui travaille dans l’entreprise, là, les choses changent.

Pas toujours facile de trouver ce qu’il y a dans la tête et l’expérience des personnes que l’on côtoie tous les jours, ou qui travaillent dans la même entreprise que nous. On va aller chercher dans le public, à l’extérieur de l’entreprise, des informations sur des sujets sur lesquels des informations plus originales et de valeur sont pourtant à côté de nous, comme la lettre volée d’Edgar Poe…

C’est le comble !

Bien sûr, ce sujet est vieux comme le monde, et tous les consultants de la terre lui doivent pas mal de chiffre d’affaires. Vu l’inefficacité de ce qui est proposé, cette source de business n’est pas près de se tarir.

Souvent, on prend le problème par la technique : mise en place de bases de données, d’espaces de stockage de multiples documents, que chacun pourra consulter. Dans le secteur des services professionnels, par exemple le consulting, que je connais bien, ça revient comme les feuilles en automne et les bourgeons au printemps : il y a toujours quelqu’un en charge du « knowledge management »…

Concrètement, les documents ainsi stockés comprennent majoritairement des choses telles que :

- des informations banales, que l’on peut trouver dans le domaine public, absolument pas différenciantes sur les compétences ou les savoirs de l’entreprise. Par exemple, des rudiments d’analyse financière ou stratégique, alors que de bonnes lectures achetées en librairie apporteraient bien plus de savoir. Pire, ces documents soi disant de synthèse sont du genre « la stratégie pour les nuls », et d’aucune utilité pour mener un travail sérieux d’analyse ou de projet ;

- des copies de documents et rapports remis à des clients : là, il s’agit souvent de documents qui ont été remis avec des commentaires oraux, et dans un contexte professionnel, qu’il est indispensable de connaître pour comprendre vraiment ce document. Résultat : ces documents donnent bonne conscience à ceux qui les ont déposés avec amour sur la base partagée, et au chef de projet « knowledge management », mais, objectivement, on ne s’en sert jamais. Où alors, on s’en sert pour téléphoner à celui qui l’a produit et lui demander de nous en parler .Et qui n’a pas trop le temps pour ça : « lis déjà le document, et puis un autre… » … »Merci, robert, je vais aller voir sur Google, ça ira aussi vite.. ».

- des informations pratiques sur les procédures de l’entreprise : comment remplir ma note de frais ? comment demander des congés ? où se trouve le service médical ? Oui, là c’est super utile, enfin , quand on arrive, parce que après, on sait tout ça par cœur. Il y aussi toute la série des « méthodologies », de « gestion de projet », d’ »analyse de marché », etc…qui n’ont d’originales que leur nom rigolo ; sinon tout le monde a les mêmes, et on se permet de ne pas les suivre trop à la lettre.

En fait si on considère que le vrai bénéfice des systèmes organisés d’échanges de savoirs porte sur les contenus correspondant à ce qui est vraiment distinctif, ultra compétitif, dans l’entreprise (ce qui fera que ce savoir, diffusé à tous, fera de l’entreprise un super champion), et bien on n’a pas grand-chose. Les informations banalisées et les informations pratiques, propriété de l’entreprise mais pas distinctives (pas facile de gagner des parts de marchés grâce à sa procédure de note de frais, ou même sa méthodologie « gestion de projet »..), constituent sinon la totalité, l’essentiel.

Pourtant, les esprits les plus éclairés n’arrêtent pas de nous dire combien les entreprises et leurs employés seraient formidables si toutes les intelligences et tous les savoirs voulaient se donner la main pour constituer une ronde de la connaissance autour du monde. Comme cela serait beau à voir, mignon à écouter, …

Lowell L.Bryan et Claudia I.Joyce, deux consultants de New York, ont sorti un ouvrage l’année dernière, « mobilizing minds – creating wealth from talent in the 21st-century organization », visant, selon une démarche proche de celle de Gary Hamel, à imaginer des processus d’organisation innovants pour les entreprises d’aujourd’hui.

Alors que Gary Hamel se focalise plutôt sur le management, ces deux auteurs adressent plutôt l’organisation. Bien qu’ils aient tous deux dans les pattes des décennies de consulting, ils nous préviennent : les idées innovantes de leur ouvrage n’ont pas encore été mises en œuvre ; cela reste à faire. C’est donc un livre de « management fiction »…Ils apportent les idées et la théorie, au lecteur d'imaginer la pratique. Ce qui ne semble pas toujours facile.

Parmi les chapitres, il y en a un sur ce qu’ils appellent « knowledge marketplaces ». Cela consiste à créer dans l’entreprise une place d’échanges de savoirs organisée comme un marché.

A lire le chapitre, il est facile de laisser courir son imagination pour concevoir ce type de places.

Comme tout marché, il y a d’abord besoin d’ »objets valables à échanger ». Cet « objet » sera qualifié de valable par l’acheteur, qui y verra une façon d’acquérir une information utile et différenciante plus vite, et moins coûteux en recherche, que par un autre moyen. Pour cela, il va falloir, non pas charger n’importe quel document sans commentaires, mais au contraire produire, pour le « vendeur », un document spécifiquement destiné à cet échange de savoir, un peu comme un article de « blog » ou pour wikipedia . On imagine bien que, déjà, cette notion de « objet valable à échanger » dans l’entreprise nécessiterait une véritable analyse, pas si facile que ça à conduire, tant la pratique usuelle consiste plutôt à stocker tout et n’importe quoi, comme un écureuil.

Autre composant important pour le marché : un mécanisme de prix. Il faut que les auteurs, apporteurs de savoirs différenciants, soient motivés par l’échange, et reçoivent donc un « prix » pour cet échange. Normalement, le prix principal est la réputation, la fierté, qui accompagnera cet échange pour lui. Cela suppose donc que les « objets » soient signés. Mais il est possible d’aller plus loin, en mettant en place des systèmes qui vont permettre aux meilleurs approvisionneurs de savoirs, ceux qui sont les plus demandés, de bénéficier de meilleures appréciations de leur performance dans l’entreprise, voire de bonus financiers résultant de la réalité des échanges, et de la satisfaction des « acheteurs » (ça fait penser à e-bay avec ses indices de confiance). Dans ce système, c’est l’entreprise, en tant qu’institution, qui bénéficie globalement de cette « ronde des savoirs » qui paye le prix, et non les « acheteurs ».

Pour compléter notre marché, il faut ajouter un autre ingrédient : un mécanisme de régulation. Il va falloir une infrastructure pour les échanges, une agora électronique. Il faut aussi pouvoir identifier les « experts » qui procureront la meilleure information et le meilleur savoir par rapport à notre recherche. Là encore, on peut s’inspirer, pour construire le référencement des experts, au système des « tags » sur internet et dans nos blogs.

On peut ajouter des standards pour mettre en forme et échanger les savoirs. Là, ça dépend de notre conception du marché, plutôt libéral, ou plutôt très régulé(comme en Chine, ou en France, où l'on n'est finalement pas si libéral que ça; on aime bien l'interventionnisme de l'Etat)…

Enfin, pour qu’un marché fonctionne bien, il faut de la compétition. L’efficacité de la « knowledge marketplace » va dépendre de la capacité à diffuser le plus largement possible dans l’entreprise les savoirs et connaissances les plus distinctifs et différenciant pour la performance de l’entreprise sur ses marchés. Mais, comme les « acheteurs » peuvent aussi trouver de nombreuses informations par de nombreux autres moyens, il va falloir que la « knowledge marketplace » délivre vraiment de bons produits. Pour qu’un marché délivre de bons produits, le marché ne connaît qu'une réponse : la compétition, la concurrence (et non l’économie planifiée comme l’a crû Staline, et comme le croient encore les fervents de la centralisation).

Il faut donc que les « producteurs de savoirs » soient motivés pour produire les contenus de la meilleure qualité possible. L’entreprise va dons créer un mécanisme pour récompenser et mettre en évidence les contributeurs les plus talentueux et les plus pertinents. Cela peut passer par une évaluation par des experts ou le senior management, ou bien par la popularité (mesurée par le nombre de téléchargements ou de consultations, ou des notes de satisfaction exprimées par les acheteurs).

Autre ingrédient : des « market facilitators » . Ce sont les « insiders » de la marketplace, ceux qui en connaissent les fonctionnements secrets et invisibles, et font constamment progresser le système avec des idées nouvelles…Ces facilitateurs vont aussi s’assurer, par exemple, que les objets ont les bons tags, les bonnes descriptions. Ils ne sont pas des « vendeurs » ou « acheteurs » du système, mais plutôt des experts en fluidité de son fonctionnement. Là encore, comme les brokers ou intermédiaires sur un marché boursier.

En fait pour faire marcher la ronde des savoirs dans l’entreprise il suffirait de s’inspirer de qui marche sur internet, e-bay, google,et sur les marchés, les plus libéraux possibles.

On avait déjà vu les dirigeants d'IBM comparer l'entreprise à un jeu vidéo collaboratif (ICI).

Maintenant on est dans le marché des savoirs comme wikipédia...

Reste à confronter tout ça à l’épreuve du feu.

Qui veut jouer le premier ?


Qui s'occupe de Télémaque ?

Telemachus_and_mentor_white Oui, l'Odyssée, Ulysse, on connaît l'histoire...

Lorsqu'il s'est absenté pour la guerre de Troie, Ulysse s'est adressé à un ami de confiance pour s'occuper de l'éducation de son fils Télémaque.

Comment s'appelait cet ami de confiance ?

Mentor.

Et c'est de là que vient cette expression de mentor, qui représente un personnage qui nous guide, qui nous fait grandir, et que l'on admire dans sa vie personnelle ou professionnelle.

Malheureusement, dans nos entreprises, les Télémaques manquent de mentors...et ceux qui devraient avoir ce rôle ont oublié leurs responsabilités.

Si l'on demande à un manager ayant passé la quarantaine, on trouvera facilement une référence à quelqu'un qui les a aidé à réussir, à s'élever dans l'entreprise.

Par contre, essayons le même exercice sur les plus jeunes collaborateurs, et l'on constate souvent que cette figure n'existe pas.

C'est vrai que dans l'entreprise, pour progresser, on pense qu'il faut d'abord être un bon développeur du business, notamment dans les entreprises de services professionnels (conseil, audit, informatique,..), alors que les talents de mentor ne paraissent pas prépondérants. Et puis, lorque l'on est concentré sur le développement de son entreprise, on pense d'abord à trouver des clients, faire des affaires, mieux gérer la rentabilité. S'occuper de Télémaque, ça ne paraît pas aussi décisif. Aprés tout , les collaborateurs n'ont qu'à suivre et la fermer; si ils ne sont pas contents, qu'ils aillent voir ailleurs...

Pourtant, dans un univers d'hypercompétition, où les entreprises se ressemblent de plus en plus en termes d'offres, de positionnement, et de prix, que reste-t-il pour faire la différence ?

Thomas J.Delong, John J.Gabarro et Robert J.Lees sont catégoriques dans un article paru dans HBR de janvier 2008 : ce qui fait la différence, ce sont les capacités de "mentoring" des leaders et managers.

Savoir s'occuper des collaborateurs, les faire rêver, leur donner envie de devenir comme leurs chefs, voilà des secrets pour garder les talents, maintenir une bonne ambiance dans l'entreprise, et faire que chacun des collaborateurs se sente comme un "protégé". Les auteurs se concentrent sur les entreprises de services professionnels, mais leurs observations valent pour de nombreux contextes, car, finalement, tous les services et départements de nos entreprises, notamment les fonctions transverses, ne sont ils pas des "entreprises de services professionnels", au service de leurs clients "internes", et les mêmes besoins de fidéliser les collaborateurs talentueux.

Oui, mais voilà, on fait comment pour doter son entreprise, ou son service, de ces qualités de mentoring qui feront la différence ?

Ce que l'on retient des auteurs, c'est d'abord qu'il serait complètement innefficace d'imaginer de bâtir un système standardisé de mentoring, comme essayent de le faire certaines firmes. Tout ce qui ressemble à quelque chose de packagé, d'impersonnel, fera fuir les collaborateurs. Au contraire, ils seront sensibles à des approches personnalisées, à des feedbacks sincères, et assez fréquents, de la part de leur mentor direct.

Deuxième principe important : il serait absurde de croire que ces efforts de mentoring sont réservés aux top collaborateurs, ceux que l'on appelle les "A players", les meilleurs, et que pour les autres il n'est pas nécessaire de trop se casser la tête.

C'est exactement l'inverse : ces top guns sont, par nature, les minoritaires. Par contre la plupart des collaborateurs sont ce que l'on appelle les "solid citizens", les bons soldats. Ils représentent peut être 70% des employés. Ils ont tendance à rester plus longtemps dans l'entreprise, à être plus fidèles. Ils sont de fait un peu la mémoire de l'entreprise. Ils sont aussi ceux qui ont envie de réussir, qui sont consciencieux et persévérants dans l'effort.De plus, ils vont être sensibles à un minimum d'attention et de mentoring, et non hyper exigents comme des primas donnas (voir ICI).

Et puis, cette histoire de "mentoring", cela marche dans les deux sens : pour le collaborateur qui souhaite un mentor qui l'aide à grandir, il ne suffit pas d'attendre qu'il se présente en face de lui. Il faut au contraire gérer son propre parcours, son propre comportement, comme son entreprise personnelle ("Moi S.A"), et trés tôt identifier quels son nos alliés, notre réseau interne et externe, les personnes avec qui on se sent bien, qui nous aident, et favoriser tous les contacts avec eux.

En fait, s'occuper sérieusement, et avec des principes efficaces, de "mentoring", c'est travailler pour développer le capital immatériel de son entreprise. Ce capital immatériel, c'est celui qui fait la différence sur les marchés, notamment dans les activités de services.

Alors, pour être un bon mentor, les auteurs nous donnent 7 règles de comportement qu'il est bien utile de garder en tête . Un bon mentor est celui qui :

1. est quelqu'un d'absolument crédible dont l'intégrité transcende le message, qu'il soit positif ou négatif;

2. vous dit des choses que vous n'avez peut être pas envie d'entendre, mais vous laisse avec le sentiment que vous avez été écouté;

3. interagit avec vous d'une façon qui vous donne envie d'être meilleur;

4. vous fait vous sentir suffisamment en sécurité pour avoir envie de prendre des risques;

5. vous donne la confiance pour dépasser vos doutes et vos peurs;

6. encourage vos tentatives pour vous fixer à vous-même des objectifs ambitieux;

7. vous fait percevoir des opportunités et des challenges élevés que vous n'auriez pas identifiés tout seul.

De bons conseils à recouper avec ceux de David Maister pour mieux élever les juniors.

Oui, s'occuper de nos Télémaques, et être ce mentor aux 7 vertus, ce n'est pas une activité en plus pour les leaders et managers, c'est une condition de survie et d'excellence, pour le leader et pour l'entreprise.

La guerre de Troie, la guerre des talents, a commencé depuis longtemps...et va continuer...

Bonne Odyssée....


Mélodie du bonheur

Melodiebonheur_2  Quand l'Etat vient s'occuper des entreprises, c'est pas toujours bon signe...ça parle souvent de nouvelles obligations et de contrôles.

Le nouveau sujet qui fait l'objet de l'attention du gouvernement est le stress au travail.

Xavier Bertrand a demandé en novembre dernier à Philippe Nasse, magistrat, et Patrick Légéron, médecin psychiatre, un rapport sur "la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail".

Ce rapport de 40 pages lui a été remis hier... (consultable ici sur le site du Ministère du Travail).

Ce sujet dont l'Etat s'empare, c'est avec la motivation de rendre heureux au travail tous les salariés. Et pour ça, bien entendu, il n'est pas suffisant de faire confiance aux entrepreneurs et aux chefs d'entreprise, à leurs managers et collaborateurs, non, il faut mettre le grain de sel des "partenaires sociaux", des "experts", des instituts de toute nature, tels l'Agence Nationale pour l'amélioration des conditions de travail, l'institut de recherche et documentation en économie de la santé, et j'en passe : les deux experts nommés par le Ministre ont rencontré près de 80 personnes de ce genre...

cette envie de devenir "garant du bonheur" de la part des pouvoirs publics, ça pourrait faire sourire. C'est un peu comme dans les pays communistes, cette obsession de bureaucratiser le bonheur, comme en Corée du Nord...ça marche pas toujours terrible...

Mais là où l'on commence à prendre peur, c'est en lisant le rapport et le discours de présentation de Xavier Bertrand.

Les deux auteurs ont recherché les indicateurs qui permettent de diagnostiquer le "stress" au travail. Ils ont découvert qu'il y en a déjà énormémént, mais que ces indicateurs se contredisent, sont incomplets, bref, ça déconne...

Donc, ils proposent de créer un "observatoire statistique" pour en ajouter encore, mais là ça sera super mieux . Citation p.25 :

"Si nous partageons l'opinion qu'il sera difficile de tirer un, ou quelques indicateurs synthétiques de la masse des indicateurs spécifiques disponibles, nous souhaitons affirmer notre conviction forte, qu'il est nécessaire et possible de construire un "indicateur global" rapprochant deux mesures simultanées : d'une part la mesure au sens médical du terme de la situation psychique des personnes concernées, et, d'autre part, la mesure de l'exposition aux dangers et les risques encourus, tels que ressentis par ces personnes dans leur environnement social de travail".

Ce qui est fantastique, c'est cette histoire de "conviction forte", qui fait que, même si cela semble "difficile", il suffit d'y croire fort pour que ça marche..

Alors, forts de cette "conviction forte", les deux experts y vont à fond et nous livrent huit propositions brillantes que Xavier Bertrand, dans le rôle de Julie Andrews, est venu chanter sur les estrades ces deux derniers jours.

En gros, ces recommandations, ça consiste à créer des statistiques,à recenser les suicides, à lancer une "campagne publique d'information", et à "former les acteurs de l'entreprise, notamment les délégués du personnel, etc...". Ils pensent aussi qu'il va falloir "mettre à disposition de tous, entrepreneurs, salariés, syndicats, médecins, des guides méthodologiques et des référentiels, des exemples de bonnes pratiques,etc...". Tout ça bien sûr sur un portail internet. Bon , ça va faire du travail pour les consultants et les agences de communication tout ça...

De la paperasse, des statistiques, on est bien partis...

Le grand moment pour la suite, c'est, nous a rappelé le ministre , la "conférence sur les conditions de travail", en avril, avec plein d'experts et de "partenaires sociaux"..

Et puis il y a une mesure phare : "un référentiel commun de formation obligatoire à la santé mentale et physique au travail dans les écoles de commerce et d'ingénieurs et les formations de DRH". Mais c'est pas complètement calé, cette affaire, et donc Xavier Bertrand a confiée une nouvelle mission sur le sujet à William Dab, "qui rendra ses conclusions au début du mois de mai". (on attend ça avec impatience...). On croit rêver...

Et puis j'adore aussi la phrase de conclusion du magistrat et du psychiatre :

"C'est finalement à la formation d'un consensus sur la nécessité d'agir que nous voudrions que ce rapport contribue....

Ainsi, point n'est besoin d'attendre pour agir ensemble, si nous le voulons, et pour remettre l'homme au centre du modèle et des préoccupations de l'entreprise..".

Comme si les entreprises les avaient attendus pour avoir de telles préoccupations !!

Pour résoudre les problèmes de stress au travail, par contre, au-delà de ces beaux discours, il va falloir attendre encore un peu, forcément...puisqu'on n'a pas "d'indicateur global"...

En attendant, on peut réécouter Julie andrews dans "la mélodie du bonheur", c'est un excellent remède contre le stress que les deux experts auraient pû proposer comme neuvième recommandation...


Les noces de Marianne et Emile

Pacsmairiemarianne_2 En ce moment, ils sont, paraît il, plus d'un million à postuler pour le poste de maire d'une commune. Enfin, ils étaient dimanche dernier; avec le deuxième tour, le nombre de prétendants a diminué.

Certains se demandent si le poste de maire ressemble à celui d'un chef d'entreprise.

Alors, observons.

Dans mon arrondissement, les deux listes qui restent présentent des sociologies bien différentes :

Première liste (arrivée en tête au premier tour) - les métiers des membres de la liste :  maître de conférences, assistante administrative, professeur d'histoire géographie, professeur des écoles, responsable gestion logements,...

Deuxième liste - métiers des membres de la liste : chef d'entreprise, commerçante, conseil en communication, chirurgien, mais aussi...directeur de cabinet, ministre (métier précaire), enseignant, fonctionnaire de l'Education Nationale.

Oui, on le voit, il y a plus de fonctionnaires et de professeurs (ceux que Jean Edern Hallier appellait en 1981 les "Emile", en référence à l'Emile de Jean-Jacques Rousseau) que d'entrepreneurs et de chefs d'entreprise du monde privé(Les chefs d'entreprise sont plutôt sur la deuxième liste, celle de droite, on s'en doute)...

Est-ce que cela prédispose pour bien gérer les activités d'une ville, a fortiori une ville comme Paris, même au niveau d'un arrondissement ? Poser la question, c'est y répondre.

Mais il serait bien naïf de croire, ou de faire croire, qu'une ville se gère comme une entreprise.

D'abord, alors que le chef d'entreprise, sous réserve quand même de respecter la loi (et notamment le droit du travail), a tout pouvoir sur son entreprise, cela n'est pas du tout le cas d'un maire ou d'un membre du conseil municipal.

Exemple parmi d'autres, le cas de l'urbanisme : il n'est pas possible de laisser aux propriétaires le libre choix de l'affectation de leur terrain. Les lois interdisent au Maire d'ouvrir à la construction le maximum de terrains.

Encore un exemple : le logement. La loi oblige d'avoir 20% de logements sociaux dans les communes de plus de 50.000 habitants, et de respecter un "plan local de l'habitat" décidé par des apparatchiks dirigistes, sans intervention de l'avis du Maire. Cette histoire de logements sociaux, est-ce un bon moyen pour aider les pauvres à se loger ? Personne n'ose poser la question; c'est devenu un dogme. Et tant pis si ça profite aussi aux petits malins qui connaissent les ficelles pour se trouver un logement pas cher par ce moyen...

Encore un exemple : la fiscalité. Là encore, le Maire applique les lois. Aucune initiative n'est possible, à part sur les taux d'imposition. Mais rien sur les bases imposables, les types d'impôts.

Dernier exemple : les dépenses "contraintes", celles que le Maire ne peut que constater et engager : les bâtiments et infrastructures des écoles publiques (maternelles et primaires), les prestations concernant la petite enfance et la vieillesse, l'accueil des "gens du voyage" (doux euphémisme). Et aussi l'obligation de respecter la règlementation sur le "chèque education".

Bref, quand on est Maire, il ne faut pas chercher à être libéral , ni à élaborer des schémas de gestion et de management comme on le ferait dans une entreprise, mais au contraire de bien appliquer les lois, les contraintes, et toutes les décisions de l'Etat central..Et finalement les "emile" ne sont pas de si mauvais prétendants que ça pour épouser Marianne...Servir et plier sous les "instructions ministérielles", ils en ont pris l'habitude.

En fait, les approches trop "gestionnaires" et "business" sont souvent plus des discours que des réalités.

Alors, c'est quoi qui permet de distinguer une bonne gestion des affaires des communes ?

L'Ecole de Paris recevait, il y a quelques mois, le maire du Chesnay, Philippe Brillaut, qui nous a expliqué la vraie vie d'un maire.

Pour lui, le vrai moment où le Maire exerce sa responsabilité, c'est le vote du budget (encore une différence ave"c l'entreprise, où l'on est de plus en plus en train de rechercher des démarches de management "sans budget"...). Et puis il y a les dépenses d'investissement. Mais là, comme le dit Philippe Brillaut, "il faut être patient". Exemple :

Le Maire décide de construire une école. Oh, là, attention : il faut passer par les marchés publics, et la loi impose la transparence...

Le Maire, à son directeur Général : "prenons un architecte !".

Le DG : " Ah non, Monsieur le maire, il faut définir le cahier des charges du concours, avant de lancer un appel d'offres pour l'architecte !"

Le maire : "ça va prendre combien de temps ?"

Le DG : "Oh, 12 à 18 mois".

Le maire : "Tout ce temps là !!"

Le DG : " Et bien, oui! mais il y a plusieurs types d'appels d'offres. Préférez vous un appel d'offres à concours ou ...?".

Le maire : "Bon! Expliquez moi tout ça !".

Alors, pour choisir l'architecte, le maire va devoir aller voir l'inspection de l'Académie. A son retour :

Le maire :" On peut avancer".

Le DG : "Mais vous n'avez pas vu les enseignants !".

Le maire : "On verra plus tard".

Bon, ça y est, l'architecte est désigné au bout de...16 mois.

Il faut alors rédiger le Dossier de Consultation des Entreprises (DCE). Et des réponses arrivent.

Le maire : "alors, quelle est l'estimation ?"

Le DG : " 25 millions d'euros".

Le maire : "je ne m'attendais pas à ça ! Peut on avoir des subventions ?"

Alors il téléphone à ses amis, de préférence de sa couleur politique.

Pour le permis de construire, pas de chance, l'école va faire de l'ombre à un appartement voisin.

Le DG : "Nous n'échapperons pas à un recours au tribunal administratif".

Le maire : "combien de temps pour ça ?".

Le DG : "entre deux et dix ans".

Le maire : "bon, il faut demander à l'architecte de revoir sa copie".

Deux ou trois ans aprés la décision initiale, l'appel d'offres est lancé aux entreprises. Vu le montant engagé, l'appel d'offres est européen : les entreprises italiennes, belges, françaises, ...pourront y répondre.

Etc...Avec un peu de chances, cette école pourra être construite avant la fin du mandat de 6 ans du maire, mais cela va être dur...

Bref, le mandat de maire, ça nécessite d'être patient, et de ne pas trop rager sur les lourdeurs de l'Administration.

Pourtant, ceux qui s'y investissent vraiment, en tenant compte de ces contraintes, y trouvent apparemment du plaisir, puisqu'ils en redemandent à chaque renouvellement de mandat (voir Bertrand delanoë).

Les maires qui trouvent les bons leviers d'action sont ceux, aujourd'hui, qui se consacrent notamment :

- au développement du territoire : il est évident que pour rendre attractif et dynamique un territoire il faut aujourd'hui favoriser l'implantation d'entreprises, de professions libérales, de commerçants, de populations jeunes. Et se lancer dans une politique de numérisation du territoire et de déploiement de réseaux trés haut débit. Cette vision moderne et technologique du territoire, elle fera la différence. Les maires qui sont des rétrogrades, qui ne comprennent rien aux nouvelles technologies sont ceux qui vont nuire gravement à la santé de leurs administrés.

- à un contrôle de gestion dynamique de leurs activités: comparer les coûts, optimiser les opérations, mieux gérer les investissements, mieux piloter les ressources humaines, comparer la gestion en propre et la délégation du service à une entreprise privée : autant de sujets qui sont souvent mal cernés par les équipes municipales;

- à un bon système de gouvernance entre les élus et les personnels de l'administration : souvent ce sont deux mondes qui s'ignorent, se critiquent, et n'aboutissent à rien. Une vraie implication des élus est indispensable, sinon la technostructure et la bureaucratie vont se cherger de paralyser toutes les initiatives innovantes.

Il va être intéressant d'observer le mandat des nouveaux maires élus dimanche prochain : fini le temps de l'approche "business" qui copie les outils du monde privé sans les comprendre, et fini aussi le temps de la gestion pépère et inexistante. Nous entrons dans une période où l'on parlera de plus en plus de "performance du management public", mais avec des règles et des comportements spécifiques qu'il faut inventer.

Décidément, aux noces d'"Emile et de marianne", il va y avoir des surprises...et de l'innovation...