Farinelli à l'horizon 2
20 janvier 2008
Farinelli, c'est ce castrat dont le film de Gérard Corbiau, de 1994, retrace la vie de chanteur qui enthousiasmait les foules et notamment les dames. Celles-ci prolongeaient parfois le concert dans son lit, où, au moment de la conclusion, il se faisait remplacer par son frère ...
Il y a dans l'entreprise un personnage qui ressemble un peu à ce Farinelli, c'est celui qu'on appelle le "Directeur de la Stratégie".
C'est vrai, la Stratégie, c'est la spécialité de qui dans l'entreprise ?
Généralement, on va vous répondre que c'est le job du Président, celui qui a été nommé par le Conseil d'Administration précisément pour ça, pour définir et conduire la stratégie.
Alors, le Directeur de la Stratégie, il sert à quoi ?
Toutes les entreprises n'ont pas cette fonction, d'ailleurs, et je connais des dirigeants qui l'assument sciemment, considérant justement qu'ils n'ont pas besoin de tels Farinellis, car ils sont capable de mener le concert du début à la fin...
Alors, les autres, pourquoi ont ils choisis d'avoir auprés d'eux un tel personnage ?
Cette fonction se développe de plus en plus, si l'on en croit la Harvard Business Review, qui lui consacre un article, signé Timothy S. Breene, Paul F. Nunes et Walter E. Shill (oui, ils écrivent à trois), dans le numéro d'octobre 2007.
La HBR n'évoque pas, bien sûr, Farinelli, mais tente de justifier l'existence de la fonction, et de nous donner les bonnes recettes pour l'exercer correctement.
En fait, la stratégie, quand est-ce qu'on s'en occupe ? Pas trés souvent, finalement, car le dirigeant est souvent accaparé par des sollicitations plus court terme, afin d'alimenter les actionnaires en résultats trimestriels. C'est ce que les auteurs appellent l'horizon 1.
Et puis, il y a aussi les envolées qui tentent de livrer une Vision, quelque chose que l'on voit de loin, une ambition, un rêve, quelque chose de lyrique qui se passe dans 10 ans environ. C'est l'horizon 3.
Et entre les deux il y a ce qui se passe dans les 2, 3 ou 5 ans qui viennent; c'est l'horizon 2.
Les auteurs ont même fait une étude pour fixer la bonne répartition du temps entre les trois horizons pour le Directeur de la Stratégie :
Horizon 1 : 25%
Horizon 2 : 39%
Horizon 3 : 36%
Et c'est cet horizon 2, et tout le pilotage de son exécution, qui gagne la course.
C'est ce job de fureteur dans l'entreprise, qui est libre de circuler dans tous les étages, qui est celui du Directeur de la Stratégie.
Ayant la délégation du dirigeant ,un peu comme son frère , il peut poser les questions dérangeantes, il peut proposer des idées nouvelles, ou les faire émerger en faisant travailler ensemble ceux qui ne rencontrent pas souvent.
Il est le réalisateur qui fait fonctionner les "usines à idées" dans l'entreprise. Il est celui qui incarne la créativité. Il convertit tout le monde dans l'entreprise pour exécuter la stratégie.
C'est aussi celui qui est obsédé par l'éxécution de la stratégie. Il a surtout des dons d'influenceur, et ne fonctionne jamais comme un dictateur.
C'est idyllique non ?
Dans les faits, je ne suis pas sûr que tous les Directeurs de la Stratégie ont cette superbe. Souvent ce sont des gens un peu isolés, qui passent leur temps à faire des "plans stratégiques" en couleurs, que personne n'utilisera, ou bien, encore plus cool, à payer les factures des consultants qui feront le boulot à leur place...Certaines entreprises vont même jusqu'à outsourcer cette fonction à des cabinets de conseils spécialistes en Farinelli...
C'est donc une vision rénovée, une réhabilitation, que nous proposent les auteurs pour la Direction de la Stratégie, et ils citent des exemples de sociétés américaines qui se sont mises à créer de tels postes (Motorola, Universal Pictures, Yahoo,..). Bien sûr ils ne parlent pas de la France (pour la Harvard Business Review, la France, c'est souvent "les petites îles"..on n'en parle pas trés souvent).
Ils insistent aussi beaucoup sur le couple que constitue le dirigeant avec son Directeur de la Stratégie. On croirait presque à une histoire d'amour.
Décidément,...
C'est une drôle d'histoire la Stratégie, finalement...On aimerait savoir comment ça finit.
Peut être faut il revoir Farinelli pour avoir la réponse...
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