L'innovation et le syndrome du mess des officiers
22 décembre 2007
Dans le monde de l'entreprise, et des blogueurs inspirés, elle est toujours heureuse, et positive.
L'innovation, c'est le thème bateau pour parler de l'entreprise performante.
Sur n'importe quel sujet, on nous la ressert : il y a de l'innovation au menu dans le management, l'organisation, les produits, les services,...
Pourtant, ces discours habillent le mot "innovation" de bien drôles d'habits..
L'histoire commence souvent par le nom d'un génial inventeur, qui trouve, comme Archimède, un truc fantastique. Et aprés son entreprise devient trés riche, et lui il comble ses collaborateurs et ses clients de bienfaits.
Pour ceux qui se présentent comme les penseurs du sujet, on va décortiquer un truc bizarre, le "process de l'innovation", celui qui permet de prendre des risques, d'impliquer tout le monde, etc...C'est toujours un peu la même histoire, seuls les noms et le nombre des étapes de la méthodologie qui va bien, changent.
Pourtant, il y a dans ce mot "innovation", devenu tellement usé qu'il ne veut plus rien dire, un côté obscur qui fait peur, surtout à ceux qui ne baignent pas dans le jargon du monde de l'entreprise.
Lors de ma rencontre avec Jean Pruvost, il a livré quelques explications, en présentant le "CV du mot innovation".
Ce mot vient de loin, puisqu'il est entré dans la langue française en 1297. C'est un terme de droit du Moyen Âge, correspondant à la transformation d'une ancienne obligation : la substitution d'un nouveau débiteur à l'ancien.
C'est sûr que la signification de ce mot a bien changé, si l'on compare toutes les sornettes qu'on nous raconte aujourd'hui à son propos.
Mais, ce qui est intéressant, c'est de se rendre compte que ce mot "innovation" n'est pas un mot appartenant au langage des écrivains et de la culture, et lorsqu'on le rencontre exceptionnellement dans la culture, il est presque toujours négatif.
Rappelons nous Flaubert, dans son dictionnaire des idées reçues :
"Innovation : toujours dangereuse"
L'innovation ainsi perçue, c'est celle de la personne qui délire, qui dérègle ce qui marche, qui apporte des transformations qu'il croit bonnes, mais qui sont complètement en opposition au bonheur collectif...
En politique, idem : quand on parle d'innovation, elle esr souvent "dangereuse", "funeste", et caractérise l'espèce de dictateur qui veut innover dans la démocratie, suspecté de supprimer les libertés individuelles et d'opresser le peuple (voir la récente tentative de Chavez de modifier la constitution à son profit, qu'il présentait comme une volonté de modernisation et d'innovation).
Et puis l'innovation, c'est aussi : mais est on sûr que ces innovations seront bonnes pour le genre humain ? En fait les conséquences seront peut être dramatiques, et on ne le sait pas encore. Le téléphone mobile, c'est le cancer du cerveau pour tout le monde; les nouveaux produits proposés par les entreprises agroalimentaires vont nous empoisonner;etc...Bref, l'innovation, c'est la fin du monde programmée, dans des souffrances horribles.
Une autre citation, particulièrement représentative, de Perroux ("l'économie du XXème s. "- 1964) :
" Que sera cette innovation : une nouveauté éventuellement toute temporaire et funeste à une clientèle finalement subjuguée...?"
Une autre :
" L'innovation au théâtre est la plus difficile et la plus dangereuse de toutes" (Théophile Gauthier)
En fait, cette exploration linguistique de l'innovation nous fait découvrir toutes les choses horribles qu'elle transporte avec elle depuis trés longtemps, et combien cette terreur est présente dans le sens commun, dans les comportements et les mémoires des "gens ordinaires", c'est à dire la majorité, et combien les experts en jargon, qui se gargarisent entre eux des bienfaits de l'innovation, sont minoritaires.
Pire, les discours que véhiculent les dirigeants à leurs troupes manquent souvent leur but pour cette raison : le dirigeant parle de bonheur et d"innovation heureuse", le public entend majoritairement "inquiétude", "danger", ...
Tous ceux qui sous estiment cette réalité, et se contentent de discours un peu trop naïfs, qui traitent les clients et publics comme des demeurés, peuvent craindre des troubles plus ou moins graves de comportement au sein de leur personnel, que l'on constate régulièrement dans les entreprises : soit une agressivité accompagnée de jugements rapides ("je sais que tu racontes des histoires, tu es un menteur"), soit un désengagement, une apathie, une désaffection du travail et du métier (certains appellent ça le "syndrome du mess des officiers").
Bien sûr, c'est le discours externe, et notamment publicitaire,sur l'innovation, qui est le plus diffusé et peut faire le plus de dégâts en interne dans les entreprises dans les attitudes par rapport à l'innovation .
Le CV des mots, voilà une notion bien utile pour faire attention aux mots qu'on emploie, et à notre façon de parler...
Mise à jour le 12/04/08 :
Résultat du sondage ici (61 réponses) :
L'innovation ?
8.19% | ![]() |
Toujours dangereuse |
6.55% | ![]() |
un mot vide de sens |
4.91% | ![]() |
Souvent fausse |
45.9% | ![]() |
Une nécessité |
34.42% | ![]() |
J'adore |
Bon, l'innovation les lecteurs de Zone Franche y croient, voire l'adorent...
Commentaires