Performance et affectif
25 novembre 2007
Pour piloter la performance et développer une culture de la performance, que faut-il ?
C'était la question vendredi au Sénat, lors d'une manifestation de la DFCG, association des directeurs financiers et contrôleurs de gestion, organisée par le groupement "Secteur Public", avec une question : Les techniques de gestion du privé peuvent elles s'appliquer au pilotage de la performance des organismes publics ?
Un des débats, réunissant notamment des représentants de l'ANPE, de La Poste et de la Mairie de Paris, a tenté de trouver les ingrédients pour "mettre en place une culture de la performance dans les services publics".
Tous se sont empressé de nous faire étalage des outils, des indicateurs, des tableaux de bords, des revues de gestion, et même des systèmes de primes et rémunérations variables...Oui, pas besoin de les forcer, les gestionnaires publics ont eu vite fait de copier ce qu'ils croient être les techniques "du privé" pour mieux "piloter la performance"...Pour beaucoup, encore, la performance, c'est une histoire d'outils.
Alors, tout va bien, les organismes publics sont devenus performants ? C'est là que ça bloque...Les témoins n'ont pas pu s'empêcher de mettre en évidence les "difficultés rencontrées".. Et là de quoi ont-ils parlé ?
De la difficulté à motiver, à responsabiliser, à mobiliser...à rendre performante une communauté humaine.La Poste a d'ailleurs renommé son programme d'amélioration des performances "Performance et confiance".
Ils ont découvert qu'il ne suffit pas de créer un système de mesure pour que tout fonctionne bien. lls commencent à comprendre combien il est illusoire de croire que la performance se met en équation et qu'il suffit ensuite de la mesurer avec les bons indicateurs et de verser les primes variables à partir de calculs mathématiques. Ils découvrent que la dimension du management est toute aussi déterminante.
Et si le fonctionnement d'un système de pilotage de la performance se basait aussi sur des critères affectifs, comme le suggérait un sociologue invité à participer au débat, en définissant le manager comme celui "qui fait faire à autrui ce qu'il ne ferait pas tout seul" ?
Quoi, horreur, l'affectif, ça veut dire quoi ?? Dans le secteur public, il y a des règles, des responsables, des procédures, du contrôle, surtout a priori, alors l'affectif, non, on ne voit pas de quoi l'on parle...la simple idée qu'il puisse y avoir du "jugement" dans l'évaluation de la performance, et que certains se voient reconnus ce droit à juger l'autre, est souvent vivement rejetée dans les organisations publiques. Alors, pour éviter de devoir reconnaître leur limites managèriales, les chefs vont essayer de se convaincre qu'un bon tableau de bord et des "instructions" feront l'affaire, et leur permettrons d'être tranquilles...Pour la performance, on attendra un peu.
Et pourtant, la vraie évaluation de la performance d'un collaborateur, elle dépend aussi de l'appréciation de celle-ci par le manager, qui porte ainsi un jugement, avec une part aussi subjective, sur la performance de son collaborateur. Ce jugement bienveillant, c'est celui qui aide, qui fait grandir, qui repousse toujours plus loin les limites de la capacité humaine, et de la performance.Oui, ce jugement affectif des managers, il est déterminant dans la qualité de fonctionnement du système de pilotage de la performance. Le management est ainsi fait de face à face entre les managers et leurs collaborateurs, de jugement sur la valeur et la contribution de chacun, et c'est cette capacité à correctement juger et évaluer, à faire gravir les marches de la performance à l'autre, en équité, qui fait la qualité des systèmes de management.
Cela demande bien sûr du courage, de l'écoute, de l'envie de faire grandir ses collaborateurs, et c'est plus complexe que de barder son organisation de mesures et d'indicateurs, et grâce à des calculs automatiques, de désigner les performants et les non-performants : un tel système, tel un robot, auquel semble encore rêver quelques responsables d'organisations publiques, ne peut conduire qu'à la déresponsabilisation, à un sentiment de défiance où les chefs surveillent les collaborateurs.
Il est vrai que cette nouvelle étape de la culture de la performance, elle va nécessiter des mutations beaucoup plus grandes, et d'abord mentales, que de mettre en place des balanced scorecard, et autres outils. Elle va nécessiter de sortir du système de défiance qui caractérise encore trop souvent les comportements du secteur public : on y manage par circulaire, par contrôle a priori, par des échelons hiérarchiques inutiles qui contrôlent ceux qui contrôlent ceux qui contrôlent ceux qui travaillent, et dont l'Administration en général est pleine...
Il va falloir parler de sens, de confiance, d'"empowerment"...d'affectif, de leadership, de management...et trouver les mécanismes de fonctionnement des communautés humaines où des gens ordinaires font faire des choses extraordinaires à d'autres gens ordinaires. Ceux qui imaginent que c'est le charisme d'un chef qui suffit à faire prendre la dynamique se trompent. C'est justement le comportement des managers et des agents de proximité qui fait la performance des organisations publiques (comme des autres), et non les incantations et discours des élites.
En écoutant les débats et interventions lors de cette journée de la DFCG, on sentait combien cette transformation ne faisait que commencer.
Ce qui était amusant, c'est que les sponsors de cette manifestation, qui étaient fortement représentés dans l'assistance, étaient majoritairement des sociétés informatiques Cap Gemini, Unilog, Atos, venus s'épier les uns les autres, et dont la vocation est justement de commercialiser et de mettre en oeuvre des "solutions" et systèmes d'informations de tous ordres...Les débats et états d'âmes des entreprises et administrations publiques présentes étaient la criante démonstration que ces outils, bien sûr utiles, ne permettraient jamais de garantir la moindre performance, ou culture de performance, et que ce sont les managers et les leaders de ces organisations qui doivent s'en charger, leurs prestataires d'outils ne pouvant rien pour eux...On sent la fin de cette "griserie" qui a sévit au cours des dix dernières années où le mirage des technologies et des méthodes de contrôle de gestion ( fortement promues par les consultants techniques en tous genres) a illusionné les cadres des administrations et collectivités locales sur leur capacité à influencer ainsi la performance.
La performance par l'affectif et l'humain, et non par les outils...
Indéniablement, les organisations publiques progressent dans leur réflexion...
Le challenge est de traduire tout ça en comportements, actions et résultats.....
D'autant que sur ce sujet, il n'est pas sûr que ce qu'ils appellent "le privé" leur fournisse les solutions sur étagères. La recherche d'un nouveau modèle de management pour être performant, c'est une question éternelle autant pour les organisations publiques que privées.. et pour ceux qui essayent de se prétendre leurs conseils...
Ont-ils évoqué l'intelligence émotionnelle qui, à mon sens, est un élément, et même un passage obligé, pour générer de la performance ?
L'écoute active, l'empathie, la compréhension de soi et des autres, la transmission de la volonté dépassent de loin, en terme d'efficacité, le simple QI et une mémoire excellente ; critères d'évaluation et d'embauche de nos entreprises publiques en vigueur à ce jour. A quand les concours basés aussi sur le QE ?
Rédigé par : pierre | 25 novembre 2007 à 11:30