Dans certaines entreprises, on reste longtemps, on ne quitte jamais, ou presque jamais. On m'a dit un jour que chez Air France, il y a plus de décés que de départs...Glups !
Et puis dans d'autres, les départs sont monnaie courante. Le secteur de l'informatique en sait quelque chose. Et c'est pire encore dans la restauration ou le BTP, qui n'ont pas une cote terrible auprés des jeunes, malgré les efforts de promotion que font les responsables de ces secteurs, en mettant en avant que ces jobs peuvent constituer un vrai ascenseur social pour, notamment, des non-diplômés.
Et puis, quel que soit le secteur, un turnover en surchauffe, c'est toujours quelque chose qui coûte énormément, et beaucoup plus qu'on ne le croit.
Il suffit d'imaginer, dans une entreprise où le turnover dépasse les 100%, combien il en coûte de trouver des candidats, de les recruter, de les former, de les intégrer, de les rendre efficaces dans leur poste...Et si, avec tout ça, c'est pour les voir partir en masse avant même d'avoir passé un an dans l'entreprise, il y a de quoi vraiment se dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
Alors, ensuite, une fois le problème identifié, reste à trouver les causes...et les remèdes.
Si vous interrogez les "experts" ou les "consultants", ils vont généralement vous expliquer pourquoi les employés quittent leur job par une des raisons suivantes (essayez autour de vous...on est entouré d'experts en tout de nos jours) :
1. ils ont une mauvaise relation avec leur manager,
2. ils ne se sentent pas assez reconnus et appréciés,
3. l'employé pense que ses talents ne sont pas, ou pas assez, correctement utilisés; il pense qu'il pourrait offrir plus;
4. l'employé n'a pas les moyens de mesurer ses progrés .
Bien sûr, là-dedans, il y aura probablement des raisons valides, mais on peut aussi considérer que tout ça, ce ne sont que des raisons finalement secondaires.
C'est ce que pense profondément Matthew Kelly, qui vient de sortir un livre au titre éloquent : "The dream manager", qui se lit comme un conte. Il est d'ailleurs écrit sous forme d'une fiction.
Sa thèse est toute simple :
La première raison pour laquelle un collaborateur quitte son job, c'est parce qu'il ne voit pas de lien entre le travail qu'il fait tous les jours, et le futur qu'il imagine pour lui.
Quand un employé est convaincu que ce qu'il fait dans son travail l'aide à accomplir son rêve personnel, il peut tolérer son travail. Sans compréhension de ce lien entre leur travail quotidien et leur futur, les employés partiront pour n'importe quelle raison triviale officielle, mais la raison profonde sera toujours la même.
Le livre présente une entreprise imaginaire, dont les employés sont des hommes et des femmes de ménage dans les bureaux. C'est exprés qu'il a choisi justement un secteur qui n'est pas des plus sexy pour s'épanouir dans son travail. C'est d'ailleurs ce que dit le patron, face au constat du déplorable turnover : c'est normal, on fait un métier d'abrutis, donc on ne peut rien faire d'autre; à part donner un peu d'argent de temps en temps. Et c'est vrai que nombreux pensent que pour réduire le turnover et fidéliser, un carnet de chèques suffit.
C'est une autre voie que suggère le livre : celle, justement, de s'occuper du rêve personnel de chaque employé. L'entreprise embauche donc à l'extérieur un "dream manager", une sorte de Mary Poppins des employés. Ce "dream manager", que va-t-il faire ? Il va poser une seule question à chacun (l'entreprise se lance dans une grande enquête) :
WHAT'S YOUR DREAM ?"
Et va ensuite rechercher toutes les initiatives pour rendre réels ces rêves des employés.
Et le livre raconte, à partir de nombreux exemples concrets qui rappellent des contextes que l'on rencontre dans nos entreprises en général, comment les employés vont ainsi être fidélisés et comment le turnover va décroître au-delà des espérances les plus folles, compensant ainsi largement le coût de ce dream manager (bientôt rejoint par toute une équipe de dream managers)...
A première vue, tout cela peut paraître bien nunuche, histoire à l'eau de rose typiquement américaine, vantant le fameux "rêve américain", et allant appeler à la rescousse Martin Luther King ("I had a dream.."), ou Abraham Lincoln...
Oui, il y a un peu de ça, mais il serait dommage d'en rester là, car l'ouvrage est plein de réflexions et d'approches de l'entreprise trés pertinentes. Et il aide à rêver d'une entreprise meilleure.
Un élément intéressant, et trés significatif, c'est que la principale difficulté que rencontre cette démarche au début, ce n'est pas de trouver les actions à conduire pour réaliser les "rêves" des employés, mais, tout simplement, de leur faire exprimer qu'ils ont un rêve.
Et à qui s'applique cette remarque en priorité, qui est donc le principal coupable de ce manque de rêve dans l'entreprise ?
Oui, vous l'avez vu venir, ce personnage, c'est le dirigeant lui-même.
Le dirigeant qui ne rêve pas pour lui-même, qui est vide de projet et d'envies personnels, que peut il communiquer comme rêve ou vision à son entreprise ?
Et sans ce point de départ, tout le reste en découle : le dirigeant sans rêve génère une entreprise sans rêve, et les employés ne rêvent pas non plus face à un dirigeant qui ne les fait pas rêver....histoire sans fin...
Matthew Kelly nous encourage à répondre à cette question : quel est mon rêve ? en continu, et même à tenir un "dream book" où l'on écrira tous nos rêves. Certains rêves sont trés atteignables, voire en cours de réalisation ( je rêve d'aller voir un bon film avec mes amis), d'autres sont plus lointains, voire a priori innaccessibles (le rêve d'une reconnaissance sociale, le rêve d'être le patron d'une grande entreprise, ou d'une petite...), peu importe. C'est cet exercice de "rêve" qui fera naître d'autres rêves, et ceux des autres . Les personnes qui rêvent et communiquent sur leurs rêves vont donner envie à leur entourage de rêver aussi, et de communiquer...
Et in fine, il considère que les dirigeants, les employés, et l'entreprise ont une responsabilité absolue :
L'employé a la responsabilité d'apporter de la valeur ajoutée à la vie de son entreprise, et l'entreprise a la responsabilité d'ajouter de la valeur à la vie de son employé. C'est le principale composant, bien que non écrit, du contrat entre les employés et leurs employeurs.
C'est une nouvelle façon de concevoir la loyauté dans l'entreprise. L'entreprise ainsi conçue ne peut pas garder un employé qui n'ajoute pas de valeur, ou n'aide pas son entreprise à devenir une meilleure version d'elle-même. Inversement, une entreprise ne peut attendre de son employé qu'il soit loyal et fidèle si les exigences et attentes de cette entreprise conduisent de façon évidente cet employé à devenir une moins bonne version de lui-même.
Cette notion d'aider ses collaborateurs à devenir toujours une meilleure version d'eux mêmes est vraiment trés inspirante, mais aussi exigente.
Bon, alors cette histoire de rêve, de "dream manager", où pourrait on l'imaginer en ce moment ?
A la SNCF, par exemple, ça serait comment ?
Et à la RATP ?
Ouh la la...c'est pas facile d'imaginer ce rêve en ce moment...ça coince trop sur les retraites...qui risquent de ne pas trop faire rêver...
De toute façon, c'est pas grave, dans ces deux entreprises le turnover est extrêmement faible...
Comme quoi les histoires américaines ne sont pas complètement transposables à nos bonne vieilles entreprises nationales....
Mais on peut toujours rêver que cela change un jour....
Mettons le dans notre "dream book"....on verra bien.
Bons rêves !